Le résumé ci-dessous a été établi par Vincent Présumey principalement au moyen des messages quotidiens de Jacques Chastaing.
Nos photographies : femmes assemblées le 8 mars ; AG des ouvriers des aciéries Vizag.
Le 8 mars, journée internationale de lutte pour l’émancipation des femmes, à l’échelle mondiale, c’est en Inde que les choses importantes se sont passées. Ce jour-là, les organisations paysannes ont appelé à se ranger derrière les femmes, comme les 50 000 travailleuses de la moutarde, arrivée devant Delhi ce jour-là dans un costume jaune évoquant les champs où elles travaillent.
Comme l’explique notre camarade Jacques Chastaing, « … les femmes, paysannes ou non, Intouchables, musulmanes, sikhs ou hindoues, souvent des employées des crèches rurales et aides-soignantes rurales en lutte elles-mêmes depuis des mois, ont investi les Mahapanchayats, organes de la mobilisation paysanne à partir du 29 janvier 2021.
Ces Mahapanchayats issus d’un très lointain passé, étaient souvent de ce fait, assez traditionalistes, patriarcaux, misogynes, où les femmes n’étaient fréquemment pas admises. Dans leur élan, les femmes les transformèrent en des structures de la démocratie directe paysanne du soulèvement actuel, mais ouvertes à tous, femmes, jeunes, ouvriers, Intouchables, musulmans, sikhs, hindous tous ensemble, et en firent un organe de combat mais aussi les structures d’un monde embryonnaire débarrassé de toutes les oppressions. »
Notons bien cela : c’est l’intervention des femmes dans la poussée révolutionnaire qui, en imposant leur présence massive, à donné décisivement forme à ce que nous pouvons, fort de l’expérience de deux siècles de combats émancipateurs, appeler des « formes soviétiques d’organisation » au vrai sens du terme !
La nouvelle étape de la vague, après celles de 2020, du 26 janvier et du déploiement des Mahapanchayats (voir notre article du 6 mars dernier), s’est effectivement lancée d’elle-même sur l’élan du 8 mars. Quelques jours plus tard en effet, les appels se précisent : les organisations paysannes appellent à virer le BJP, parti au pouvoir, dans tous les nombreux scrutins locaux et d’Etats de ces mois de mars et d’avril, et ils appellent à l’unité d’action avec les ouvriers et les salariés, qui réalise de sérieux pas en avant avec l’appel des ouvriers en grève de l’aciérie Vizag, à Visakhapatnam, seconde ville de l’Andhra Pradesh (grand Etat du Sud), qui appellent les organisations paysannes à l’action commune pour bloquer les routes, et l’appel à une grève totale du secteur des banques et des assurances du 15 au 18 mars, faisant suite à une journée nationale contre les privatisations le 15 mars – alors même que les participants aux campements qui entourent Delhi commencent à construire en dur les maisons de « l’Armée sociale paysanne », et qu’une nouvelle marche de tracteurs monte sur Delhi et une autre sur Patna (Bihar), grande ville de la plaine du Gange.
C’est dans ce contexte que Modi tente de reprendre la main en déclarant, le 12 mars, que dans tout le pays des marchés aux prix dérégulés peuvent et doivent s’ouvrir. Rakesh Tikait lui répond le 14 mars par cette phrase : « Personne ne pourra nous arrêter : nous allons prendre le Parlement et le transformer en marché aux grains. »
Les journées d’action et grèves des 15-18 mars, sous la pression de la grève réellement totale des employés des banques et assurances, et du mouvement paysan global, comportaient certes un aspect visant à encadrer, limiter et étaler le mouvement, de la part des directions des centrales syndicales qui, plus ou moins à reculons, sont depuis des mois obligées d’appeler régulièrement à de telles actions. Mais, le 17 mars, une réunion assez largement ouverte, de représentants de 43 organisations dont les centrales syndicales, les organisations paysannes, étudiantes, féminines, etc., décide d’un appel à une grève générale effective pour le 26 mars. La convergence du Delhi de 3 marches paysannes démarrant le 18 mars, depuis le Pendjab, l’Haryana et l’Uttar Pradesh, et d’une quatrième déjà partie du Karnataka, dans le lointain Sud, aboutissant le 23 à la journée, déjà lancée avant le 8 mars, d’hommage à Baghat Singh, désignée comme « fête de la liberté et de la laïcité (secularism) » contre Modi. Tous les éléments politiques et sociaux s’alignent pour unir un immense mouvement démocratique et prolétarien.
Signe de cet approfondissement : dans la ville de Rewa, au Madhya Pradesh (centre de l’Inde), sous la pression des « paysans » et des femmes, les autorités municipales ont annoncé qu’elles pratiqueraient désormais des mariages « révolutionnaires », c’est-à-dire sans prêtres ni frais. Ces peuples de l’Inde, cette nation indienne composite, que l’on nous dépeint comme arriérée en engoncée dans ses castes, est elle-même entrée en mouvement pour régler les questions les plus pressante : celle de la terre, de la démocratie, du droit des femmes … que le capitalisme n’a jamais réglé et ne fait qu’aggraver !
Sous des formes adaptées, le mouvement des Mahapanchayats s’étend du Nord de l’Inde, auquel le régime voudrait le cantonner en le faisant passer pour archaïque, à tout le pays. Il fait la jonction avec la poussée ouvrière et les AG de grévistes de l’Andhra Pradesh. Il s’étend maintenant aussi, depuis le Madhya Pradesh, vers le Gujarat, dans tout ce recoin Ouest d’où sont partis le néolibéralisme et l’ethno-nationalisme de Modi. Des Mahapanchayats se tiennent cette fois-ci tout autour de Bangalore, la métropole industrielle, ouvrière et informatique du Sud, et les ouvriers -dont les chauffeurs qui avaient déjà appelé les leaders paysans à la rescousse cet automne – s’y rendent. A Sunam, au Pendjab, se forment des structures de jeunes du mouvement paysan, filles et garçons, qui décident le blocage de la plate-forme logistique de Kila Raipur. Les tribu (100 millions d’habitants) inscrivent la préservation des forêts et des milieux au programme du mouvement global.
A la veille de ce 26 mars, les directions des centrales syndicales mettent en circulation d’autres dates postérieures, tandis que monte encore la pression d’en bas. En outre, un élément important est que la lutte qui se déroule au Myanmar est soutenue par les Indiens et que, dans les zones frontalières, les deux commencent à interférer, via les minorités ethniques de Etats indiens du Nord-Est, Arunachal Pradesh, Nagaland, Manipur, Mizoram et à travers eux l’Assam, et, de l’autre côté, le peuple Chin, nationalité opprimée de Birmanie.
25/03/21.
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