En Colombie, l’explosion sociale appelée Paro qui s’est développée à partir de la grève générale et des manifestations de masse du 28 avril dernier se poursuit et s’approfondit. Six jours après le début des mobilisations, le 3 mai, le gouvernement détesté d’ Ivan Duque était contraint de suspendre sa réforme fiscale et notamment les mesures d’augmentation de la TVA sur les aliments, des augmentations sur le prix de l’eau, de l’électricité, du gaz, l’élargissement de la base de l’imposition, l’augmentation du prix de l’essence, l’installation de nouveaux péages, un paquet de mesures anti-populaires appelées « paquetazo » ou « paquet de la famine ». Ivan Duque était également contraint de virer son ministre des finances Alberto Carrasquilla, pour tenter de rendre crédible une présentation ultérieure de sa réforme fiscale « modifiée ». Mais restaient aussi prévus le gel des salaires dans le secteur public jusqu’en 2026 et des coupes dans les programmes sociaux. Une « réforme » du droit du travail pour en diminuer le coût en le précarisant, et une réforme régionalisant le système de santé et développant sa privatisation. Et bien sûr une « réforme » des retraites…
Le 3 mai, les manifestants exigeaient : « Arrêtez le massacre ! » suite aux dizaines de meurtres, commis à Cali notamment, par l’ ESMAD, la police anti-émeute, parfois secondée par des milices paramilitaires de civils armés.
Duque répond en renforçant alors la répression, faisant intervenir l’armée, et bloquant la communication par internet des informations et des images des manifestants tués ou blessés.
Depuis six semaines les manifestations et leurs points de résistance se sont installés à Cali, cœur de la mobilisation, à Medellin, à Bogota mais aussi dans des villes de moindre importance et dans des villages, et par des milliers de barrages routiers, jusqu’à couvrir 70% du pays.
Aux premières revendications se sont ajoutées celles pour la paix et la sécurité, contre les violations par Duque de l’accord de paix signé en 2016 entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), censé mettre fin à 50 ans de guérilla. Les indigènes, la Minga indigena, sont d’autant plus mobilisés sur cette revendication que « la guerre de Duque » se poursuit sur leurs territoires, ajoutant leurs morts à ceux des guerres de colonisation, dans une destruction continue de leurs communautés.
Mais les travailleurs colombiens affrontent aussi une crise économique aggravée par la pandémie, le taux de chômage monte à 16,8 % et la pauvreté frappe 42,5 % de la population. Le travail dissimulé, sans contrat, atteint des sommets qu’on ne peut, par définition, mesurer. Mais l’impact sur le taux de syndicalisation est bien là : seuls 4% des travailleurs sont syndiqués.
Les travailleurs, les jeunes, les femmes, les indigènes, ne croient pas au dialogue avec Duque, sur tous les points de résistance, dans les manifestations, dans les grèves, le mot d’ordre de « faire tomber Duque » est présent partout. Tous disent « nous sommes là, en pleine pandémie, parce que le gouvernement est plus dangereux que le virus »
De fait, à défaut d’avoir pu imposer le « paquet famine », Ivan Duque pratique une répression sanglante qui a fait plusieurs dizaines de morts, des centaines de disparus, des centaines de blessés et des centaines d’arrestations violentes donnant lieu à plus d’un millier de détentions arbitraires.
Face à ce président de tous les dangers, le Comité national du Paro (CNP) composé des directions des confédérations syndicales (CUT, CTC et CGT) et de la Fecode (Fédération colombienne de l’éducation), des représentants d’ associations citoyennes et communautaires cherche un dialogue avec le gouvernement.
Mais si la violence de la répression contient encore le soulèvement, elle interdit aussi le dialogue et provoque l’échec des négociations auxquelles Duque, le 10 mai convoquait le CNP. Le CNP ne pouvait avoir comme préalable à la discussion que l’arrêt des massacres.
Le dialogue social s’est vite terminé par un nouvel appel du CNP à une grève générale le 12 mai. La marge de manœuvre du CNP diminue et la méfiance de la base grandit. Sur les points de résistance se développent des formes d’auto-organisation qui cherchent à se coordonner et à se centraliser. Là aussi la violence de la répression a entraîné une réponse adaptée des manifestants : jeunes en première ligne, ligne de soutien, ligne logistique. Ces points de résistance ont vu leur composition évoluer avec les « mamans de première ligne », en uniforme, boucliers noirs et casques bleus qui scandent: « si nos enfants manifestent et vont au combat, les mères les soutiendront et se battront avec eux ». Une combativité qu’on dirait importée des mères du Black lives matter.
Une Rencontre nationale des Assemblées populaires a été organisée le 22 mai ; l’exigence que le CNP convoque des assemblées générales dans les syndicats avec l’objectif d’organiser le blocage complet de la production, de se joindre aux barrages et de participer aux assemblées populaires s’y est exprimée. Une Assemblée populaire nationale a été convoquée pour les 6, 7 et 8 juin à Bogota, afin de renforcer et d’organiser le Paro illimité, de vaincre la répression et de faire avancer la lutte pour les revendications populaires urgentes en matière de santé et de vaccination de masse. Et aussi : l’ abandon définitif de toutes les mesures du « paquetazo », l’éducation gratuite, le droit à emploi et à un salaire minimum, la protection de la production paysanne, la défense des territoires indigènes, la dissolution de l’ESMAD, la justice pour les camarades assassinés, la libération de tous les manifestants incarcérés. Et le départ d’Ivan Duque.
Le 10 juin, les manifestations massives à Bogota montraient à nouveau la détermination du Paro, comme une marche vers la révolution en Colombie dont nous soutenons toutes les revendications et saluons le mouvement.
Nous appelons à la plus large solidarité de toutes les organisations ouvrières et démocratiques françaises pour ensemble exiger l’arrêt de la répression criminelle du gouvernement Duque contre le peuple colombien.
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