La bagarre entre un ouvrier et son chef révèle les tensions entre Chinois et Congolais dans les mines

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Un ouvrier congolais et son chef chinois en train de se battre sur le chantier d’une usine d’exploitation de cuivre, le 30 juin. © Capture d’écran d’une vidéo publiée par une page Facebook congolaise.

La vidéo a été partagée près de 1500 fois. La légende suggère que l’employé congolais aurait « tabassé sévèrement son chef chinois en raison de mauvais traitement dans son milieu professionnel à Kolwezi ». Elle a suscité des commentaires indignés : « Dans son propre pays, il est maltraité par un étranger » affirme un internaute tandis qu’un autre estime que « les Chinois ont eu beaucoup de pouvoir dans ce pays au point de marcher sur les Congolais ».

Si l’incident date en effet du même jour que celui de la publication sur Facebook, il ne se déroule pas à Kolwezi. Selon nos Observateurs, la scène s’est produite à plus de 100 km, sur le chantier de construction d’une nouvelle usine d’exploitation de cuivre dans la commune de Fungurumè, pour le compte de Tenke Fungurumé Mining, l’un des plus grands producteurs mondiaux de cuivre et de cobalt, détenu depuis 2018 à 80 % par China Molybdenum.

« Les Chinois nous traitent de macaques »

La rixe intervient dans un contexte de tensions sociales entre les responsables chinois de l’entreprise Majengo, chargée du chantier, et les ouvriers locaux. Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, l’un d’eux, qui a été témoin de la scène et qui a requis l’anonymat, raconte :

« C’était tôt le matin. Le superviseur chinois que vous voyez dans la vidéo donnait un ordre à mon collègue qui a refusé de s’exécuter. Le ton est monté. Le Chinois a tenu des propos discourtois. Et ils en sont venus aux mains.

L’ambiance était déjà un peu tendue sur le chantier. La semaine précédente, il y avait eu un mouvement de grève de deux jours le 25 et le 26 juin lié à des questions de prime. L’entreprise Tenke Fungurumé Mining pour laquelle nous construisons l’usine a offert un bonus de 250 dollars (environ 210 euros) à chaque ouvrier du chantier. Mais au lieu de cette somme, les responsables de Majengo, qui sous-traite la construction du chantier, ont diminué la prime à 55 dollars (environ 47 euros). Nous n’étions pas contents. Nous avons négocié pour ramener la prime à 100 dollars (environ 85 euros). Mais des frondeurs ont été suspendus pendant une semaine. L’atmosphère sur le chantier était un peu morose.

C’est très difficile de travailler avec les Chinois. Ils nous font travailler au-delà des huit heures réglementaires. Nous n’avons pas droit aux congés payés. Les absences sont défalquées des salaires à la fin du mois. Et surtout, les supérieurs chinois nous méprisent et profèrent des insultes. Ils nous traitent de macaques. Ce qui passe très mal sur le chantier. »

Nous avons tenté de joindre l’entreprise Tenke Fungurumé Mining sans succès.

Ce n’est pas la première fois que des images montrant des scènes de violence entre Congolais et Chinois circulent sur les réseaux sociaux. En mars, une bagarre avait également opposé un Chinois et un groupe d’ouvriers congolais à Kolwezi sur une concession minière de la Sino-congolaise des mines (Sicomines), une joint-venture avec l’État congolais détenue à 68 % par des groupes chinois dont la China Railway Construction.

En janvier, selon un article du média en ligne Depeche.cd, le tribunal de grande instance de Kolwezi avait ouvert un procès en flagrance contre six Chinois d’une sous-traitance de la Sicomines pour le meurtre d’un Congolais tabassé à mort pour avoir été surpris en train d’apprendre à conduire un engin de service.

« Les Chinois ne considèrent pas la main d’œuvre congolaise mais la méprisent »

Gaston Mushid est ancien journaliste et député provincial de Lualaba – province où s’est déroulée l’incident – qui intervient régulièrement dans les entreprises minières pour défendre les travailleurs.

« Le problème avec les entreprises chinoises, c’est qu’elles ne respectent pas le droit des travailleurs. Il n’y a pas de délégation syndicale et les Congolais travaillent dans des environnements pas toujours sécurisés pour des salaires dérisoires. Il n’y a pas d’équipements adéquats pour les ouvriers qui souvent manipulent des produits chimiques ou font de la métallurgie. Il n’y a pas de sécurité sociale.

Les entreprises chinoises se croient intouchables parce qu’elles bénéficient de couverture au sommet de l’État. C’est une autre forme de colonisation. Les ouvriers congolais en ont marre d’être maltraités. C’est le ras-le-bol de la mauvaise cohabitation qui s’exprime ainsi. »

Selon plusieurs travaux scientifiques, cette mauvaise cohabitation est due aussi aux stéréotypes qu’entretiennent les deux communautés les unes envers les autres : la méfiance des Chinois vis-à-vis des Congolais et de leurs aptitudes au travail, alors que les entreprises chinoises peuvent être vues comme une nouvelle forme de colonisation et d’exploitation.

« Il y aurait moins de problèmes si les expatriés chinois étaient moins en contact avec la main d’œuvre congolaise »

Ce constat est partagé par Freddy Kasongo, secrétaire général de l’Observatoire d’études et d’appui sur la responsabilité sociale et environnementale.

« En République démocratique du Congo, au niveau du secteur minier, les entreprises occidentales qui étaient sur place ont cédé l’ensemble de leurs actifs ou soit la majorité à des groupes chinois. Le management occidental cède donc sa place à un management chinois qui vient avec son lot de problèmes dont le principal est lié à la main d’œuvre.

Les Chinois tout comme les Indiens viennent avec leurs ouvriers. Et cela constitue une frustration parce qu’ils viennent disputer les places avec les populations locales. Or le Code du travail congolais exige que les expatriés n’occupent que des postes dont les compétences ne sont pas disponibles sur le plan local. Ce qui n’est pas respecté.

En plus de cela, les ouvriers congolais sont moins payés, et parfois obligés de travailler bien plus que leurs collègues chinois. Ces différences de traitement exacerbent les tensions que les autorités ont du mal à régler. Mais la recette est qu’il faut obliger les entreprises à respecter le Code du travail et permettre aux ouvriers d’avoir des représentants qui peuvent mieux les défendre.

Il y aurait moins de problèmes si les expatriés chinois étaient moins en contact avec la main d’œuvre congolaise. »

En 2019, le Trésor français estimait que 80 % des exportations congolaises du secteur minier étaient destinés à la Chine dont les entreprises représentent 70 à 80 % du marché du cuivre et du cobalt.

Note : remerciement à Patrick Kerlendo Itshimbu, manager général du média Lualaba Avenir qui a contribué à la rédaction de cet article. Et à notre Observateur Didier Mukaleng.

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