Dans un billet de blog hébergé un temps sur le site de Mediapart, et dépublié le 4 août, le sociologue Laurent Mucchielli affirme que la vaccination contre le Covid-19 est à l’origine d’une « mortalité inédite » en France, et responsable de « près de 1.000 morts potentiellement« . Son billet repose sur des données de pharmacovigilance qui sont des signalements de décès postérieurs à une vaccination contre le Covid. Pour une large majorité ces décès n’ont pas été à ce jour imputés à la vaccination. Pourtant, le billet est repris à tort comme une preuve du décès « d’un millier de personnes » à cause des vaccins.
« Dans Mediapart ; qui cite l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), le vaccin a tué près d’un millier de personnes ces 6 derniers mois !« , écrit par exemple l’eurodéputé RN Gilbert Collard dans une publication Facebook, relayée 1.200 fois depuis le 31 juillet 2021.
Mais le billet ne démontre pas qu’un millier de personnes sont décédées en France des conséquences d’une vaccination contre le Covid-19. Par ailleurs, s’il a été hébergé un temps sur la partie « blog » du site de Mediapart, ce n’est pas un article écrit par des journalistes du site d’information, comme sa rédaction l’a précisé dans un thread sur Twitter le 2 août :
Le 4 août, le site a annoncé avoir « dépublié » l’article évoquant une « fausse information » qui « n’est pas sans conséquence si l’on y porte crédit puisqu’elle incite à ne pas recourir à l’une des protections collectives face à l’épidémie, la vaccination « .
Laurent Mucchielli, sociologue et directeur de recherche au CNRS, spécialiste de la délinquance, a écrit cet article avec cinq autres personnes. Parmi elles se trouve notamment Amine Umlil, pharmacien au centre hospitalier de Cholet, dont des propos erronés sur la vaccination ont déjà été vérifiés par l’AFP.
Intitulé « La vaccination Covid à l’épreuve des faits. 2ème partie : une mortalité inédite« , Laurent Mucchielli entend « observer froidement les données de la pharmacovigilance« . Selon lui, la « vaccination de masse conduit » à « une mortalité inédite dans l’histoire de la médecine moderne » et « il y a urgence à la suspendre« .
Il utilise les données officielles de la pharmacovigilance en France: l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) diffuse en effet sur son site un bilan bimensuel « des effets indésirables suspectés d’être en lien avec la vaccination et déclarés par les professionnels de santé, les personnes vaccinées ou leur entourage« , fondé sur l’analyse de différents centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV).
Dans son article, M. Mucchielli se réfère à quatre rapports de pharmacovigilance écrits par ces centres régionaux couvrant les vaccins Pfizer et Moderna, AstraZeneca et Janssen pour des périodes allant jusqu’au 1er juillet ou jusqu’au 8 juillet selon les vaccins.
Le sociologue extrait les chiffres concernant le nombre de personnes décédées, qui avaient précédemment été vaccinées. En additionnant ces éléments (761 pour Pfizer, 44 pour Moderna, 7 pour Janssen et 170 pour Astrazeneca depuis le début de la campagne de vaccination), il conclut qu’il y a « près de 1.000 morts potentiellement liés à la vaccination anti-covid« .
« Pas des cas avérés »
Cette affirmation est toutefois à remettre dans son contexte, selon deux experts interrogés par l’AFP. Les chiffres de décès utilisés par Laurent Mucchielli sont ainsi « des signaux, pas des cas avérés », a expliqué le 3 août Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie à l’Université de Bordeaux.
Concrètement, comme expliqué sur ce visuel de l’ANSM, un professionnel de santé, mais aussi une personne vaccinée ou son entourage, peut déclarer des effets indésirables sur une plateforme de signalement en ligne. Ces données sont ensuite compilées par des experts des centres régionaux de pharmacovigilance qui établissent les rapports.
Mais les signalements initiaux ne sont pas nécessairement la preuve d’un « lien causal », avec la vaccination précise Bernard Bégaud. « Cela permet d’avoir un suivi du terrain » de tout évènement survenu après vaccination, a-t-il précisé.
Autrement dit, un infarctus qui n’a pas forcément de lien avec le vaccin peut se retrouver dans ces rapports, s’il a fait l’objet d’un signalement. “Les gens signalent quelque chose après un vaccin mais ça ne veut pas dire que c’est dû au vaccin”, a abondé auprès de l’AFP le 4 août Catherine Hill, épidémiologiste de l’Institut Gustave Roussy. « Vous vaccinez 30 millions de gens, pendant ces 3 mois il va y avoir des gens qui vont mourir parce que la vie continue, (le vaccin) ne protège pas de toutes les causes de morts qui peuvent arriver« , a-t-elle dit.
Ce que contiennent les rapports
Si l’on se fie simplement au tableau extrait du billet de blog, tel qu’il est relayé par Gilbert Collard, le vaccin Pfizer aurait ainsi entraîné 761 décès depuis le début de la campagne de vaccination, jusqu’en juillet 2021. Mais, dans la partie « analyse et expertise des cas de décès » du rapport par le CRPV de Bordeaux, il est écrit qu’ au 1er juillet, « aucun signal ne concernant la mortalité n’est identifié à ce jour à partir des données françaises de notification spontanée ». Le vaccin Moderna serait lui responsable de 44 décès, selon le même raisonnement. Le rapport des CRPV au 1er juillet précise que 41 de ces signalements concernaient des personnes âgées entre 50 et 92 ans (pour une médiane de 76 ans) et que 73% d’entre-elles présentaient des facteurs de risque.
« Malheureusement la mort est très répandue chez les sujets âgés – c’est très difficile, par la pharmacovigilance, de faire une imputation causale« , a commenté le Professeur Bégaud.
Le tableau fait mention de 7 décès survenus postérieurement à une injection de vaccin Janssen. Le rapport du CRPV estimait qu’au 8 juillet qu’il n’y avait « pas de lien établi avec la vaccination à partir des informations à disposition« , à l’exception d’un cas « consécutif à un choc anaphylactique, chez une patiente sans antécédent connu d’allergie« .
Pour le vaccin Pfizer, l’ANSM indique dans sa synthèse couvrant les données validées, depuis le début de la campagne jusqu’au 8 juillet, que « concernant les cas de décès déclarés, les élément transmis n’indiquent pas un rôle potentiel du vaccin » . Pour le vaccin Moderna et Janssen, il est écrit que « concernant les cas de décès déclarés, les données actuelles ne permettent pas de conclure qu’ils sont liés au vaccin« .
Pour le vaccin AstraZeneca, le tableau mentionne 170 décès intervenus postérieurement à une vaccination, depuis le début du suivi de pharmacovigilance.
Or, le rapport du CRPV pour la période allant jusqu’au 8 juillet donne le détail de ces décès signalés. Sur ces 170 décès, 153 personnes présentaient des « facteurs de risques cardiovasculaires avérés« . Le rapport indique également qu’une autopsie « a été faite et/ou demandée » dans 19 cas. Quatre ont été reçues : pour les deux premières, « les éléments ne permettent pas de retenir un lien avec le vaccin« . Pour les deux autres, « les résultats partiels dont nous disposons ne permettent pas de conclure pour le moment”.
L’ANSM recense de son côté 13 décès survenus après des thromboses atypiques liées au vaccin AstraZeneca au 8 juillet. « Le caractère très atypique de ces thromboses et de ces troubles de la coagulation, leur tableau clinique commun et le délai de survenue homogène ont conduit le comité de suivi à confirmer la survenue, très rare, de ce risque thrombotique chez les personnes vaccinées par le vaccin Vaxzevria (AstraZeneca)« , est-il écrit.
4 août 2021 Corrige coquille au 1er paragraphe
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