Comprendre les oppositions d’hier et écouter celles d’aujourd’hui ne pourra que renforcer la campagne vaccinale, estime, dans une tribune pour « Le Monde », le chroniqueur scientifique Raphaël Chevrier.
La loi relative à la gestion de la crise sanitaire vient d’entrer en vigueur. Mais les opposants au passe sanitaire et à l’obligation vaccinale pour les soignants continuent de se mobiliser et de défiler dans les rues. Le sujet divise au sein des familles et des cercles amicaux.
Pourtant, « même en situation d’urgence, l’adhésion de la population est une condition importante du succès de la réponse », écrivait le conseil scientifique dans une note confidentielle, révélée par Mediapart, transmise le 14 avril 2020 à l’Elysée. Cet avis reste d’actualité, tant la vaccination constitue une intervention sanitaire complexe qui ne mérite ni précipitation ni brutalité.
La vaccination a toujours suscité une profonde méfiance, dès sa mise en application en 1796. Edward Jenner, jeune médecin de campagne, a l’idée d’inoculer volontairement la vaccine, une infection bénigne qui se transmet à l’homme par l’intermédiaire des vaches, à un enfant. Puis il lui injecte la variole, une maladie transmissible qui fait des ravages depuis des temps immémoriaux. Laquelle n’a aucun effet. Le principe de vaccination est né : l’inoculation volontaire à une personne saine, d’un agent pathogène inoffensif, l’immunise contre une maladie dangereuse.
Pourtant, malgré la menace que représentent la variole et les promesses que la vaccination laisse entrevoir, certains médecins s’opposent à l’idée contre-intuitive d’injecter une maladie issue de l’animal dans le corps humain. Plusieurs personnes accusent Jenner de vouloir contrarier la volonté du Créateur. D’autres s’inquiètent que leur poussent des cornes de vache sur la tête… Aujourd’hui encore, on retrouve ces refus chez certains individus, dont on a le sentiment qu’ils accepteraient plus facilement les mesures de confinement que de se voir imposer l’injection dans le corps d’une substance étrangère.
Chaque vaccin est unique et doit être évalué comme tel
A cette singularité de l’acte vaccinal, s’ajoutent les polémiques qui l’ont fréquemment accompagné. Le 9 mars 2016, la justice conclut à l’absence de « causalité certaine » entre les vaccins contre l’hépatite B et l’apparition de certaines pathologies. En 2002, un premier rapport accusait les pouvoirs publics d’avoir vanté plus que de raison les avantages du vaccin. Cet avis fut contredit par une seconde expertise en 2006, dans laquelle les experts se montraient néanmoins réservés sur la nécessité de vacciner « les jeunes et des adultes ne présentant pas a priori de facteur de risque ». En 2010, plusieurs cas de narcolepsie signalés à la suite de l’utilisation du vaccin Pandemrix contre la grippe H1N1, ont obligé les autorités de santé européennes à réévaluer son rapport bénéfice/risque.és.
Utilisés comme des contre-exemples par les antivax, ces épisodes devraient plutôt nous rappeler que chaque vaccin est unique et doit être évalué comme tel. En l’occurrence, l’évolution de cette quatrième vague due au variant Delta ne laisse pas de doute quant à la nécessité de faire vacciner le plus grand nombre afin d’éviter la saturation des hôpitaux.
L’unité plutôt que la division
Or les autorités brouillent ces messages en adoptant une position offensive devant toute critique et en imposant par la force des décisions politiques complexes telles que le passe sanitaire. C’est d’autant plus grave que la confiance envers l’actuel exécutif, nécessaire pour faire réussir la vaccination, s’est effritée depuis le début de la crise en raison d’injonctions contradictoires – par exemple sur l’intérêt du port du masque ou de se rassembler à l’extérieur plutôt que dans des lieux clos.
« (…) Faire aussi bruyamment appel au sens du devoir donne à la vaccination une tonalité bizarrement sacrificielle », déclarait au Monde, en 2016, Anne Chailleu, alors présidente de l’association Formindep. Ces propos font écho aux actuels débats entre pro et antivaccins, autour d’arguments faisant plus souvent appel aux valeurs morales qu’à la science, de solidarité pour les premiers et de libre arbitre pour les seconds.
Enfin, la défiance à l’égard de l’industrie pharmaceutique, accusée de privilégier ses intérêts privés au détriment de l’intérêt public, comme l’illustrent les augmentations de prix des vaccins Pfizer et Moderna, complète un cocktail explosif visant à rejeter des interventions médicales qui nous veulent pourtant du bien.
Comprendre les oppositions d’hier et écouter celles d’aujourd’hui ne pourra que renforcer la campagne vaccinale. Pour gagner la bataille contre le Covid-19, il nous faut choisir l’unité plutôt que la division.
Raphaël Chevrier
docteur en physique
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