Malalai Joya : « Je continue de croire que l’Afghanistan prendra en main son propre destin. L’histoire a montré à plusieurs reprises que seul le peuple lui-même est capable de se libérer. » (Photo de Die Linke)
Le 15 août, les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan. Après l’annonce du départ des troupes américaines, c’était le moment ou jamais. En moins d’une semaine, en plus des régions rurales et d’une douzaine de villes, ils ont pris d’assaut Kaboul, la capitale. 20 ans d’intervention militaire des États-Unis et de l’OTAN, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, ont ainsi ramené les Afghans dans le giron de la terreur rétrograde des talibans. Encore une preuve que les interventions humanitaires occidentales sont vouées à l’échec. La rédaction de Solidaire s’est entretenue avec la militante Malalai Joya.
Elle a déjà connu la terreur des talibans. Elle combat les chefs de guerre de son pays, des salles de classe au parlement. Mais elle a toujours refusé de devenir la figure de proue de l’ingérence humanitaire occidentale dans son pays. Lorsque les États-Unis et l’OTAN ont bombardé l’Afghanistan au nom de la « guerre contre le terrorisme », Malalai Joya s’y est opposée. Et quand le régime des Talibans a été remplacé par d’autres chefs de guerre extrémistes, elle s’est opposée à ce régime fantoche. Malalai Joya s’est toujours engagée pour les droits des femmes et des plus opprimés. C’est le fil conducteur de sa vie.
« Après l’intervention occidentale, l’Afghanistan n’a pas vraiment changé. Les dirigeants portent désormais des costumes et sont pro-Occident, mais ils sont toujours aussi corrompus et meurtriers. » Joya a également été élue au parlement : « Au parlement, j’ai mené une dure bataille contre ces chefs de guerre corrompus. C’est pour cela que j’ai été jetée dehors. Je l’ai presque payé de ma vie. »
Pourquoi l’intervention militaire occidentale en Afghanistan n’a-t-elle rien changé ?
Malalai Joya. Nous, les Afghans, savons depuis longtemps que la war on terror (guerre contre le terrorisme) en Afghanistan était vouée à l’échec. Et apparemment, toutes les administrations américaines qui ont fait la guerre en Afghanistan le savaient aussi. Dès le début de la guerre, les États-Unis n’avaient aucune idée de l’objectif final de leur mission. Ils savaient que la guerre d’occupation ne pouvait être gagnée, car le gouvernement de Kaboul était aussi corrompu qu’incompétent. Un rapport d’enquête approfondi publié par le journal The Washington Post confirme tout cela.
Pourtant, on a toujours affirmé que l’intervention était nécessaire.
Malalai Joya. Puisque la guerre en Afghanistan était un échec, il a évidemment fallu faire tourner la machine de propagande à plein régime. Obama nous a aussi menti. Il avait promis la fin de la guerre, mais n’a fait qu’augmenter la présence américaine. D’ailleurs, il ne s’agit pas seulement de la présence ou de l’absence de troupes terrestres. Les États-Unis contrôlent le territoire afghan par le biais du régime fantoche, ainsi que l’espace aérien afghan, les matières premières afghanes et l’économie de la drogue.
Pourquoi l’Afghanistan est-il si important pour les États-Unis ?
Malalai Joya. J’étais si fière quand ma mère disait que l’Afghanistan était au cœur de l’Asie. Cependant, c’est aussi une malédiction. Parce que nous nous trouvons au cœur de l’Asie, il est important pour les États-Unis de disposer de bases militaires sur notre territoire, et de garder le contrôle de l’extraction et du transport du pétrole et du gaz. De cette façon, ils veulent contrôler les autres superpuissances, surtout la Chine. C’est pourquoi les États-Unis et l’OTAN soutiennent et arment directement et indirectement les groupes terroristes. Pour eux, le terrorisme est un outil stratégique de déstabilisation de l’ensemble de la région. Les États-Unis, mais aussi les puissances régionales, comme le Pakistan et l’Inde, utilisent l’Afghanistan dans leurs jeux de pouvoir.
Que pensez-vous de la thèse selon laquelle l’enseignement en Afghanistan a été rendu possible grâce à l’intervention militaire ?
Malalai Joya. C’est ce que l’Occident voudrait nous faire croire. Cela fait partie de la propagande de guerre. Pendant des années, on a fait croire à tout le monde que l’intervention de l’OTAN en Afghanistan était une réussite, que nous passerions d’une société médiévale à une démocratie en quelques années, que des millions de personnes ont soudainement eu accès à l’enseignement. Ce qu’ils ne disent pas, c’est que les bâtiments scolaires sont en mauvais état, que les cours ne durent souvent pas plus de trois heures par jour et que les enseignants ne sont pas formés. Il est vrai qu’on a construit des écoles, mais celles-ci ont servi à justifier l’occupation. L’Afghanistan a reçu des milliards de dollars d’aide pour la reconstruction et l’éducation, mais les Afghans continuent de souffrir de la faim et restent massivement analphabètes. Où est passé tout cet argent ?
Quelle est la situation des femmes sous l’occupation ?
Malalai Joya. Regardez ce qui est arrivé à Farkhunda. Cette jeune femme a été violée, lapidée et brûlée vive à Kaboul en 2015, en plein jour, à quelques mètres à peine du palais présidentiel. Ses proches n’ont jamais obtenu justice et les vrais coupables n’ont jamais été exécutés. Il y a aussi Masha, 6 ans, enlevée et assassinée en mai 2019, ainsi que Donya et Hadis, 13 et 7 ans, tués dans un attentat suicide. C’est le véritable Afghanistan « démocratique », caché derrière la machine de propagande. Les femmes sont les premières victimes.
Toutefois, cela ne s’applique pas qu’à nous. En Europe, il y a beaucoup de jeunes réfugiés afghans qui cherchent à mener une vie digne. Pourtant, ceux-ci sont souvent expulsés, car ils seraient soi-disant de nouveau en sécurité en Afghanistan. De retour dans leur pays, ils ont trois possibilités : ils deviennent toxicomanes, rejoignent les talibans ou l’EI – où ils gagnent la belle somme de 600 dollars par mois – ou sont enrôlés dans l’armée afghane.
En Occident, vous êtes rapidement devenue le symbole du « nouvel Afghanistan », où les femmes peuvent être actives au parlement sans burka.
Malalai Joya. J’ai toujours refusé d’être instrumentalisée au profit de cette machine de propagande. Les États-Unis n’ont pas envahi l’Afghanistan pour sauver les femmes afghanes. Après le 11 septembre, ils ont occupé l’Afghanistan au nom de la soi-disant war on terror. Mais en choisissant l’Alliance du Nord comme allié, ils ont mis au pouvoir des terroristes qui sont encore pires que les talibans (l’Alliance du Nord était composée de groupes du nord de l’Afghanistan qui ont combattu les talibans, ndlr.). Ces chefs de guerre extrémistes étaient responsables de toutes les atrocités commises pendant la guerre civile (1992-1996). Pour les Afghans ordinaires, il n’y a aucune différence entre les talibans et ces chefs de guerre, tout aussi fondamentalistes. En Afghanistan, nous avons cette expression : les talibans tuent avec le couteau, les seigneurs de la guerre sans le couteau. Ils ont tous du sang sur les mains. Le fait qu’une personne soit qualifiée de « terroriste » ou non dépend de son utilité pour les États-Unis dans la réalisation de leurs objectifs stratégiques.
Où trouvez-vous l’énergie pour continuer le combat ? Voyez-vous des signes d’espoir ?
Malalai Joya. Dans mon pays, les choses ne vont pas changer rapidement. Nous avons été dévastés par des décennies de guerres. Quatre-vingt pour cent des Afghans vivent dans une extrême pauvreté. Il y a tellement de chômage, tellement de corruption, tellement de peur de la répression et des attentats terroristes Les Afghans sont préoccupés par leur survie, pas par la révolution. Mais je continue de croire que l’Afghanistan prendra en main son propre destin. L’histoire a montré à plusieurs reprises que seul le peuple lui-même est capable de se libérer.
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