Nouvel article sur Arguments pour la lutte sociale
La prise de position de Pierre Zarka ( voir notes ) est intéressante, même si on peut en discuter certains aspects, car elle traduit le fait que le mouvement pour donner un débouché constituant aux mouvements sociaux actuels contre Macron et sa politique, va se développer dans des cultures politiques qui n’ont pas la même histoire que la nôtre. Ce sont ces convergences que nous souhaitons tout en discutant librement les positions des uns ou des autres.
La description de ce que François Mitterrand appelait, il est vrai quand il était dans l’opposition et avant même la constitution de cet être hybride et contradictoire qu’était le parti d’Epinay de 1971, « le coup d’état permanent », explose aujourd’hui dans une crise de régime sans précédent. Le baume mis sur les institutions bonapartistes par les gouvernements de « gauche » de la Vème République et prolongeant leur survie au-delà du gaullisme, ne fait plus guère effet. Le démantèlement des acquis sociaux gagnés à la fin de la guerre, les gouvernements de « gauche » sous la Vème République, ont été incapables de s’y opposer car ils se sont installés dans ces institutions. Bien sûr, il n’est pas certain que Pierre Zarka, comme bien d’autres militants issus d’une culture « communiste » ou « socialiste », partagent exactement ce diagnostic.
Pierre Zarka écrit :
« Comment qualifier de démocratique un régime où tant de pouvoirs sont entre les mains d’une seule personne ? Bien sûr on vote, mais c’est pour choisir le maître auquel il faudra obéir ensuite. Pour des forces qui se réclament de la Révolution citoyenne ou pour qui tout doit partir du bas, il y a un singulier paradoxe à vouloir disputer sa place au sommet de l’État… »
Il ajoute :
« Le second effet pervers est que la Présidentielle hypertrophie dans l’opinion la personnalité de la candidature reléguant dans son ombre même les forces qui contribuent à sa présence. Si les mots ont un sens, remarquons que lorsque l’on parle des forces impliquées on dit qu’elles sont derrière la candidature. C’est ce qui explique pour une large part l’échec de candidature unitaire à la gauche de la gauche : personne ne voulant être relégué dans l’oubli. Dans le même mouvement, les législatives apparaissent de plus en plus comme le troisième tour de la présidentielle, et cela leur retire toute dimension d’expression des exigences de la société. Cette élection est à la fois une arme de division et de contournement des enjeux. »
C’est juste formellement, mais c’est une analyse qui ne dépasse pas le théâtre d’ombres qu’est le fonctionnement de l’institution présidentielle qui détruit de fait la représentativité réelle des courants politique au sein du corps social. Le gaullisme classique ne pouvant plus assumer son rôle, le parti socialiste de François Mitterrand en jouant le rôle d’étai des institutions s’est liquidé comme parti social-démocrate. Ses alliés « communistes » dans la gestion gouvernementale ont suivi. Je me souviens d’un certain Georges Marchais, expliquant, face à une campagne progressiste de la vieille OCI lambertiste des années 1979-1980, que « lorsque la gauche sera au pouvoir, nous aurons autre chose à faire que de modifier les institutions ». On a vu la suite !
Alors, comment expliquer l’échec de « la candidature unitaire à la gauche de la gauche » ? Pierre Zarka ne nomme pas cette candidature, il s’agit de Jean Luc Mélenchon. Est-ce seulement parce que cette personnalité a été « hypertrophiée », reléguant au second plan les forces politiques et sociales qui l’ont soutenue ? L’analyse est un peu courte.
En 2012 la percée électorale de Mélenchon de 12% s’appuie sur un mouvement de rassemblement politique large qui ne connaîtra pas de lendemains. Le drapeau est rouge, le leader s’inspire du droit à l’insurrection sociale contenue dans la déclaration des droits de l’homme de 1793, l’entrée en campagne se fait sous la présence tutélaire du 18 mars 1871 et du chant de l’Internationale. Mélenchon marche en dehors des clous de la Vème République. Il va se hâter d’obstruer ce chemin que beaucoup pourtant rejoignaient.
La première chose consistera à casser l’outil, le Parti de Gauche, qui avait permis le développement du Front de Gauche. Idéologiquement on passe d’une position sociale-démocrate de gauche à un ralliement au populisme : un peuple, un leader ! Un leader face au peuple ! Du gaullisme quoi ! La campagne de 2017 se fait aux accents de la Marseillaise et les drapeaux rouges disparaissent des manifestations. Il chante l’Internationale pour la dernière fois. Il promet même, qu’après avoir été élu président, il nous donnera l’Assemblée Constituante et une VIème République ! Comme si la redéfinition du corps politique d’une république sociale, démocratique et laïque pouvait procéder d’une élection présidentielle !
Pierre Zarka conclut :
« Celles et ceux qui agissent dans des cadres alternatifs, qui militent à la gauche de la gauche, les Gilets Jaunes, les défenseurs du climat, les antiracistes, les féministes, des syndicalistes… peuvent trouver dans une campagne de boycott de la présidentielle un premier terrain de rencontre pour un prolongement politique de leurs actes. Ce processus ouvrirait l’imaginaire politique. Il s’agirait de mener une vraie campagne. Elle redonnerait aussi du sens aux élections législatives en les dégageant du carcan de la présidentielle. Elles pourraient découler d’assemblées populaires locales liées aux différentes luttes et expressions d’aspirations démocratiques. »
Je pense effectivement qu’il y a une possibilité d’avancer vers des « assemblées populaires locales », qui ne peuvent s’inscrire à mon sens que dans une démarche d’affrontement avec l’institution clé du régime. Pierre Zarka souligne même que « les législatives apparaissent de plus en plus comme le troisième tour de la présidentielle ». Aujourd’hui il est vrai que certains à gauche et à l’extrême gauche parlent de donner un souffle aux législatives en ignorant ou en contournant la présidentielle. Il ne sert à rien de finasser. La seule sortie possible par le haut s’appuyant sur l’abstention motivée est le contenu politique que l’on donnerait alors à ces assemblées populaires locales que Pierre Zarka appelle de ses vœux. Appuyées sur les mouvements sociaux en cours, elles ne peuvent se développer que comme embryon de double pouvoir : la question de la Constituante souveraine posée par l’association Arguments pour la Lutte Sociale est un enjeu décisif pour notre classe sociale, le salariat.
Robert Duguet, le 27-10-2021.
Notes :
- La contribution de Pierre Zarka a paru sur son blog Mediapart :
https://blogs.mediapart.fr/p-zarka/blog/251021/pour-le-boycott-de-l-election-presidentielle
Voir aussi le site pour lequel Pierre Zarka écrit : https://ceriseslacooperative.info/author/pz/
– Dirigeant national du PCF de 1990 à 2000, après avoir été de 1971 à 1984 responsable de l’UEC puis du MJCF, Pierre Zarka a été député de la Seine-Saint-Denis de 1978 à 1986. Il se classe parmi les « refondateurs » du PCF qu’il quitte en mars 2010, n’ayant pas accepté le maintien de la candidature de Marie Georges Buffet en 2007. Il se définit comme un « communiste » unitaire et a participé au combat de la FASE (Fédération pour une Alternative Sociale et Ecologique) qui a soutenu le Front de Gauche, tout en prenant sa place dans le mouvement Ensemble.
aplutsoc | 27 octobre 2021
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