Présidentielles : parlons un peu des candidats …, par Vincent Presumey par aplutsoc

Nouvel article sur Arguments pour la lutte sociale

Présidentielles : parlons un peu des candidats …, par Vincent Presumey
par aplutsoc
A Aplutsoc, nous avons fort peu écrit sur les candidats à la présidentielle, et cela pour une bonne raison : nous nous efforçons d’être accès sur les plus larges masses, sur leur mouvement effectif, et non sur ce que peuvent raconter les médias, dont nous ne négligeons certes pas le rôle pour autant. Nous avons donc pas mal écrit sur la présidentielle elle-même, dans une optique encore rare mais qui pourtant correspond pour beaucoup d’entre nous à ce mouvement effectif des plus larges masses : elles s’en détournent, elles ne mettront pas fin à leurs mobilisations quand elles seront vraiment là, et elles pourraient les rejeter par une abstention majoritaire. Ceci ne fera pas « le jeu » de tel ou tel épouvantail : ceci portera un coup au régime, et le combat pour formuler publiquement le contenu politique de ce mouvement vise à aider à faire en sorte que ce coup soit un coup décisif.

Mais le tintamarre médiatique et les préoccupations des couches militantes – lesquelles sont souvent aujourd’hui non pas un pas en avant, non pas cent pas en avant, par rapport aux plus larges masses, mais, disons, pas mal de pas en arrière et en barrage … doit tout de même nous inciter à causer un peu des grenouillages et autres sondages qui se trament à l’approche du scrutin clef du régime de la V° République. Cela, du point de vue de la démocratie, et dans la perspective de la lutte pour le renverser.

Macron ?

La fonction de ce scrutin est tout au contraire d’aller contre la démocratie et de reconstituer les bases, plébiscitaires, d’un quinquennat de plus qui serait un quinquennat de trop (quel que soit le petit empereur) pour la population et pour les besoins les plus élémentaires. C’est pourquoi le principal enjeu est celui d’une candidature du président en place afin de gagner l’élection avec une participation suffisante. Contrairement à ce qui est implicite chez la plupart des commentateurs, nous avons au moins un point d’accord, et un seul, avec Emmanuel Macron : sa candidature n’est toujours ni acquise ni gagnée.

Cela bien que, dans ce régime tel qu’il a évolué, tout président en exercice est plus ou moins de facto candidat à son second mandat. Mais justement, ceci ne va pas de soi. Rappelons que cela n’avait marché ni pour Sarkozy, battu en 2012, ni pour Hollande, non candidat en 2017. Le cas Macron est plus grave : sa non candidature acterait certes l’échec de sa tentative de renforcement autoritaire du régime, mais sa candidature pourrait finir de la dynamiter.

En lançant son offensive antisociale le 12 juillet au soir, utilisant la vaccination comme paravent à la plus scandaleuse des unions nationales de fait pour le protéger, incluant les directions syndicales nationales, et bien des bonnes âmes « à gauche toute », Macron voulait gagner une bataille appelée à créer les conditions de sa candidature, c’est-à-dire de sa crédibilité du point de vue du capital. Car cette crédibilité ne va pas de soi.

En effet, il n’a réussi ni à restaurer une V° République autoritaire et solide, « jupitérienne », ni même à asseoir un « parti du président » dans l’État, parmi les élus, et moins encore dans le pays réel. L’abstention largement majoritaire aux Régionales de juin le montrait avec éloquence. Or, malgré l’union nationale et la mise en avant de la « journée d’action du 5 octobre » pour le protéger et aider son attaque, il n’a toujours pas abouti. En effet, la résistance sociale est considérable, combinant les manifestations anti-passe (ainsi que la non application de la loi, de fait, dans bien des lieux), et les grèves pour le maintien des services de santé, et, de plus en plus, pour les salaires alors qu’une inflation nouvelle frappe la population.

D’où le paradoxe de la faible application, à ce jour, de la menace de suspendre sans salaire 300.000 soignants, attaque gravissime qu’il est tout simplement mensonger et honteux de soutenir peu ou prou au nom de la « vaccination » (la vaccination, en réalité, se traîne depuis fin août). Ce rapport de force n’est pas terminé. La résistance sociale parvient malgré la politique des organisations syndicales et « de gauche » à neutraliser en partie l’attaque de Macron, qui y joue sa crédibilité bourgeoise.

D’autre part, l’impérialisme français subit revers sur revers et humiliations sur humiliations, de la « trahison australienne » à la progression des mercenaires de l’impérialisme russe en pleine chasse gardée malienne et sahélienne. Les mouvements de menton sur l’ « Europe qui doit prendre ses responsabilités » ne peuvent rien changer à ce bilan lui aussi fort mauvais, du point de vue des besoins du capitalisme français doublement en crise, comme capitalisme, et comme capitalisme français.

Il y a un indice de ce que la candidature Macron n’est ni acquise ni gagnée. Ce samedi 9 octobre, Édouard Philippe lance son parti. Tous les médias racontent que c’est pour « 2027 ». Mais ce parti est, de fait, une machine de guerre contre le parti macronien du président qui n’est jamais parvenu à voir le jour tout au long du quinquennat, n’y parvient toujours pas, et n’y parviendra pas. Officiellement, il s’agit de soutenir efficacement Macron, mais ce soutien ressemble de plus en plus à celui de la corde au pendu. La possibilité d’une non candidature de Macron, ses parrains l’estimant trop casse-cou, demeure et dans ce cas, E. Philippe se positionne pour le pugilat que cet espace vide suscitera. Le pugilat, de fait, s’amorce par anticipation, ce qui est très mauvais pour Macron, y compris s’il est finalement bel et bien candidat.

LR, RN : rien ne s’arrange.

L’implosion par anticipation d’un parti du président qui n’existe pas est une belle illustration du prétentieux et dispendieux vaudeville qu’aura été le dénommé « macronisme ». Or, simultanément, le vieux parti historique de la V° République, LR, ne sort pas de sa propre crise. Immédiatement après les Régionales de juin dernier, Xavier Bertrand semblait en position de jouer le candidat crédible du capital en « prenant » LR du dehors, d’une manière typiquement bonapartiste plaçant le « chef » au-dessus du soi-disant « parti ». Trois mois et demi plus tard, sous l’action, au fond, des rapports sociaux où la majorité sociale résiste aux coups de Macron que LR soutient, ce coup est usé avant même d’avoir eu lieu, suspendu en l’air. Ils ont fondamentalement le même programme (casser les droits sociaux et la démocratie) : l’affaiblissement de Macron les affaiblit et ses gains les affaiblissent aussi.

Casser les droits sociaux et la démocratie : tel est aussi le programme du RN, mais dans un cadre impérialiste international modifié, misant sur l’alliance russe plus que sur le « couple » franco-allemand. Je renvoie ici à mon article du 14 juin dernier sur le RN, qui est une menace mais pas une menace fasciste, mais l’une des vieilles jambes, aux visages successifs depuis les putschistes du 13 mai 58, de la V° République (Marine Le Pen présidente : qu’est-ce que le RN ?). Le visage de ce second pilier du régime était en 2017 celui, écrivais-je, d’une « alternative possible pour le capitalisme français en cas de crise grave », fort mal appelée « souverainisme ». Mais le RN ne s’est pas renforcé depuis 2017 car ce quinquennat a été celui des affrontements sociaux, qui ne sont pas son bol de thé. Et Macron, au départ européiste voulant relancer le « couple » franco-allemand, a montré qu’il était capable d’à peu près toutes les gesticulations en politique internationale (y compris servir la soupe à Poutine), et surtout capable de n’arriver à rien quelle que soit l’orientation suivie – soyons justes, cette incapacité n’est pas personnelle : elle est celle de l’impérialisme français depuis assez longtemps déjà, et la V° République devait surmonter ça et ne l’a pas fait (tant mieux !).

Pourquoi Zemmour.

Voilà une situation d’attente énervée de la part du macronisme, de crise non surmontée et entêtante de LR, et de stagnation du RN : c’est alors qu’une espèce de marionnette à la Nosferatu, produit de synthèse médiatique de A à Z au même titre que n’importe quel « boy band » (comme l’était Macron !), fait opportunément irruption, surtout parce que depuis juin l’abstention majoritaire, associée au recul combiné de LREM et du RN, a clairement annoncé le rejet par avance du « second tour Macron/Le Pen » programmé, depuis 2017 en fait, par Macron, par Le Pen, et par leur régime.

Le voilà donc qui occupe tout l’espace de l’artifice, de la fausse image et du fantasme de mauvais goût, loin, très loin, des mouvements réels qui vivent et combattent à la base de la production et de la vie sociale : M. Zemmour, produit de synthèse, est censé agiter la pauvre galerie.

La propulsion d’un Zemmour manifeste l’impasse des présidentielles telles que le quinquennat Macron aurait voulu les façonner. Son assise « programmatique » est la même que celle sur laquelle Le Pen avait commencé à regrouper en 2017, à savoir le prétendu « souverainisme » – qui n’a rien à voir avec la vraie souveraineté populaire, dont l’article 1° serait : abolition de la V° République, destruction de son appareil d’État et assemblée constituante souveraine. Il est en partie mieux placé pour opérer ce regroupement car la base traditionnelle de droite, en déshérence depuis la liquidation de Fillon (parti chez Poutine, on le rappelle …) le ralliera plus facilement.

En outre, et c’est important, alors que Marine Le Pen, opérant une manœuvre d’élargissement par rapport à son père, affectait de ne pas relancer le vieux racisme fondamental et identitaire de ce courant, Zemmour le remet frontalement en avant, appelant à une agression sociale généralisée contre les gens peu ou prou issus du Sud de la Méditerranée (bien qu’il soit l’un d’eux !). Et dans le registre raciste de la persécution des migrants, des réfugiés, de leurs familles et des travailleurs sans papiers, il déclenche une surenchère qui, n’en doutons pas une seconde, ira jusqu’à Macron.

Marine Le Pen n’était plus en mesure de faire réélire Macron au second tour, c’est aussi pour cela que Zemmour apparaît. L’abstention sera donc criminelle, méchante, punissable ! La fonction de Zemmour est de relancer la petite musique sur la « fascisation de la société » et de faire en sorte qu’un maximum de militants de gauche y croient : le fascisme n’est-il pas derrière cette aide-soignante pas vaccinée ? Dans ces manifestations du samedi ? Dans ces fédérations syndicales « pas claires sur la vaccination » ? Dans ces tendances « populistes » à vouloir des hausses de salaires face à l’inflation ? Sus aux agents doubles de Zemmour ! Et ne soyons pas trop contre Macron …

L’état des candidatures à gauche, de son côté, n’est plus seulement le résultat de la politique de ses organisations, laquelle demanderait qu’on la discute voire qu’on la combatte en agissant pour une unité sur le meilleur programme possible. Nous n’en sommes plus là : les Gilets jaunes ont tenté de prendre l’Élysée … l’expérience réelle, mais inarticulée, des plus larges masses, est cent pas en avant de cette vieille politique qui n’est plus unitaire, comme elle peut croire l’être, car l’unité c’est le mouvement réel.

Quels que soient les coups de théâtres éventuels, ils ne feront à ce stade que confirmer l’incapacité assumée et quasi institutionnelle à gagner des « candidatures de gauche » dont la fonction n’est pas celle-là : aucune candidature « de gauche » n’a cette fonction. Cela explique assez que les plus larges masses ne peuvent pas s’en saisir, et que même ceux qui sont encore plus ou moins intéressés pourraient avoir une autre perspective, celle d’infliger une défaite à tout le régime, avec comme message « Qu’ils s’en aillent tous !», en donnant son sens à l’abstention et en agissant du coup pour aider à ce qu’elle soit majoritaire.

Mélenchon.

Un seul des candidats actuels « de gauche » a, dans le passé, constitué une perspective politique pour de larges masses lors d’élections présidentielles. Mais le rôle de J.L. Mélenchon dans la situation présente est de ce fait structurel, et ne vise nullement à gagner : il n’est là -et c’est visiblement le fond de sa pensée- que pour participer, en combattant notamment … l’abstention. En 2012, il fut candidat réformiste de gauche avec un début de front unitaire derrière lui, et il a de ce fait assuré la défaite de Sarkozy au second tour. Avec ce capital politique il pouvait, même avec un PCF ne voulant pas de ce processus, gagner en 2017. Mais il a choisi pour cette raison de devenir « populiste » en lançant un mouvement bonapartiste, anti-partis, éventuellement antisyndical, plébiscitaire et voué à son culte, se projetant comme président de la V° République octroyant une fausse constituante et « construisant le peuple », assurant donc l’union sacrée, pour du capital. C’est cela le « populisme ». Son effet réel a été de lui barrer la route du second tour puis d’aider Macron à avoir une large majorité parlementaire dont il n’a pas pu faire un parti du président.

Mélenchon est pratiquement à l’origine du quinquennat Macron, tel fut au fond, bien qu’il ne l’ait sans doute pas voulu, son « rôle historique ». Le Mélenchon d’après cette bataille, en 2021, espère au mieux un « score à deux chiffres ». Cet objectif s’intègre entièrement au programme de la bourgeoisie : faire élire un Macron, une Le Pen, un Zemmour, un Bertrand ou un Barnier, et ne fait qu’apporter de la légitimité à ce scrutin en augmentant la participation -et Mélenchon l’a dit : c’est l’abstention son ennemi principal. Pas Macron.

Pour ces raisons, il peut y avoir des illusions dans des couches militantes, mais il n’y aura pas de saisie de sa candidature par les larges masses, qui ne sont pas si bêtes !

Candidats des luttes ?

Une « candidature des luttes » -Poutou, Kazib ou qui que ce soit – n’est du coup pas une candidature des luttes. Car les luttes, il leur faut une perspective. Leur dire « on montre aux présidentielles qu’il y a des luttes en s’en faisant les porte-voix », c’est leur signifier qu’elles ne peuvent rien sur les présidentielles elles-mêmes, donc que l’État reste celui des capitalistes, donc que les luttes n’ont pas de perspectives. Or, elles peuvent en avoir une : l’abstention majoritaire, à laquelle il faut donner conscience d’elle-même, porterait un coup au régime, de Macron à Zemmour, qui pourrait être mortel.

Voilà une perspective pour les luttes ! – elle implique bien entendu de ne pas être candidat à ce théâtre, même si elle n’interdit nullement, bien au contraire, d’entraîner dans l’unité des luttes, et partant du combat contre ce régime, des militants qui pensent encore soutenir un candidat !

Pour conclure.

En conclusion, ce petit tour non exhaustif (ce n’était pas nécessaire) des candidats ou supposés tels, confirme l’orientation politique de l’abstention active, sans qu’elle en soit le motif premier, qui est la situation réelle dont cet état des candidatures n’est pas la cause, mais la conséquence. Cette orientation n’est pas abstentionniste, en tout cas pas au sens habituel : il s’agit bien d’aider à une intervention active dans la crise de régime réelle.

VP, le 08/10/21.

aplutsoc | 9 octobre 2021

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