SAMEDI ANTI PASS DU 16/10 : UN MOUVEMENT PEUT EN CACHER UN AUTRE

SAMEDI ANTI PASS DU 16/10 : UN MOUVEMENT PEUT EN CACHER UN AUTRE
Jacques Chastaing le 17/10/2021
Ce qui est extraordinaire dans le mouvement anti-pass, comme d’autres avant lui dans cette période, c’est qu’il dure. Et qu’en durant, il se transforme.
Bien sûr, les esprits chagrins auront remarqué qu’il y avait moins de monde ce samedi 16 octobre que les samedis précédents. Mais ce qui est remarquable, lorsqu’on on observe le monde avec l’ envie de le changer, c’est que le mouvement s’est quand même maintenu dans plus de 200 villes après 15 semaines de luttes continues et, encore plus remarquable, qu’il s’y est ajouté cette fois-ci, la reprise d’une centaine de rond-points par les Gilets Jaunes ainsi que des opérations escargots et des libérations de péages autoroutiers contre les hausses des prix des carburants, du gaz et de l’électricité.
Ce qui est considérable.
Bien sûr, là encore les grincheux et les sceptiques dans la traîne des médias des milliardaires, en séparant la comptabilité des deux mouvements se sont empressés de dire que comme le mouvement anti-pass déclinait, de son côté, la tentative des Gilets Jaunes de reprendre les rond-points, avait été un échec puisqu’il y avait moins de monde qu’en 2018 !
Certes, mais si l’on veut comparer, c’est l’incomparable, puisque ce mouvement est nouveau car il additionne le mouvement anti-pass et le mouvement contre la hausse des prix des Gilets Jaunes.
Ainsi, clairement, en plus des nombreux cortèges qui fusionnaient les deux mouvements et leurs deux revendications, on a vu à Montpellier ou à Pau les manifestations anti-pass rejoindre les ronds-points des Gilets Jaunes ou encore à Caen, les deux manifester ensemble au slogan de « Convergence ».
Cela constitue au total un très gros week-end de mobilisations ouvrant à toutes sortes de possibilités dans le contexte actuel. Et c’est ce qui est le plus important.
Personne ne peut savoir si comme l’espèrent bien des Gilets Jaunes, et moi avec, la reprise des rond-points amorce tout à la fois un début de débats et d’organisation, et donc de nouvelles initiatives dans les jours qui viennent comme certains en avancent la perspective.
Par contre, ce qui est sûr, c’est que cette convergence entre un mouvement social actif et encore important même s’il décline doucement, et ce qui reste à un fort niveau d’un ancien mouvement qui peut lui apporter son expérience concentrée dans ses objectifs de changer la démocratie, est tout à la fois hors du commun. En même temps cette convergence s’inscrit dans les évolutions des mouvements de ces six dernières années.
Avec cette convergence, nous sommes probablement au début d’une nouvelle période de mobilisations encore plus vastes, encore plus profondes.
Dans cette période où s’estompe la peur du covid, on peut lire les caractéristiques du mouvement qui vient au travers non seulement de l’extension du mouvement anti-pass à quasi toute l’Europe, la réapparition des Gilets Jaunes et une forte remontée des luttes sociales tous azimuts aujourd’hui en France, en Italie, aux USA ou encore ailleurs, mais aussi dans le fait que le mouvement actuel s’inscrit dans les mouvements continus de ces six dernières années, depuis 2016, pour ne pas remonter jusqu’aux révolutions arabes, ou au mouvement du LKP de Guadeloupe, pour au fond, n’en faire qu’un seul. Il s’agit d’un immense mouvement – six ans d’existence !
C’est le mouvement des classes populaires qui cherchent leur émancipation face à un capitalisme qui s’effondre sur lui-même et nous entraîne tous dans la catastrophe.
SEPT MOUVEMENTS IMPORTANTS EN SIX ANS ET PEUT-ETRE UN HUITIEME DEMAIN
En six ans donc, depuis 2016 nous avons connu pas moins de sept mouvements sociaux massifs – alors que nous entrons peut-être dans un huitième – aux formes et aspirations diverses mais aux motivations profondes communes qui forme au final un même et seul grand mouvement qui ne cesse pas et qui gagne en conscience au fur et à mesure qu’on avance dans le temps.
Du jamais vu depuis les périodes qui ont précédé mai 1968, juin 1936 ou encore les grandes grèves insurrectionnelles de 1948.
1. Il y a eu d’abord le mouvement contre la loi travail El Khomri au printemps 2016 sous le gouvernement Valls rognant le code du travail qui a duré plusieurs mois, a entraîné plusieurs secteurs professionnels avec notamment un blocage des raffineries et dépôts de carburants pendant 18 jours et qui a réuni par deux fois 500 000 personnes dans des manifestations. Déjà, contre les limites politiques de ce mouvement, a surgi « Nuit debout » pour poser la question du système général et pas que de cette loi, qui a occupé les places publiques tous les soirs avec la reprise en nombre des libérations de péages autoroutiers.
Ce mouvement contre la loi travail 1, comme toux ceux qui vont suivre, s’est fait sans ou contre les directions syndicales et politiques de gauche. Il est né de la base à l’occasion de la signature d’une pétition de 1 million de signatures en quelques jours contre la loi Khomri, en même temps le hashtag #onvautmieuxqueça devenait viral sur les réseaux sociaux en dénonçant l’exploitation, l’humiliation au travail des jeunes en particulier. « On vaut mieux que ça » témoigne déjà de tout ce qui va marquer la période qui suit jusqu’à aujourd’hui : on vaut mieux que les dirigeants politiques de Trump à Valls ou Macron ; on vaut mieux que ces notables, journalistes, experts et dirigeants d’entreprises, qui ressemblent à des escrocs allant de scandale en scandale des Panama aux Pandora Papers, mais qui nous font la morale ; on vaut mieux que cette fausse démocratie représentative ; on vaut mieux que le capitalisme.
Dans la foulée de la pétition et du hashtag, les organisations de jeunesse ont appelé à descendre dans la rue contre la passivité/complicité des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier. Le mouvement était enclenché.
2. En 2017, la colère monte à nouveau durant la campagne électorale présidentielle du printemps où Macron et ses députés sont élus par défaut contre M. Le Pen avec une abstention importante. Le Front Social se crée alors réunissant 200 structures de la base syndicale contre les directions syndicales et politiques à la fois comme expression de la colère sociale dans la rue et en même temps comme tentative de donner une expression à cette colère et conscience face au faux choix électoral Macron/le Pen. Il appelle à un tour social dans la rue la veille du scrutin. Et dés le premier jour de l’élection de Macron, il appelle à sa démission dans une manifestation de 25 000 personnes tout en proposant de marcher sur l’Élysée.
Le mécontentement large accumulé en ce printemps 2017 éclate à l’automne avec un nouveau mouvement contre la loi travail 2 avec notamment une manifestation en septembre 2017 qui réunit 500 000 manifestants et, pour la première fois de manière aussi significative, on voit apparaître le cortège de tête en partie lié au Front Social, exprimant une nouvelle fois une insatisfaction à l’encontre des politiques des directions syndicales et une volonté de radicalisation.
3. En janvier 2018, la colère sociale redémarre et ne cessera pas de se faire entendre jusqu’en juillet avec d’abord le mouvement Notre Dame Des Landes qui fait reculer Macron, puis dans le même temps une grève dure et longue des agents de la pénitentiaire, un mouvement lycéen rampant, l’apparition du mouvement Colère – avec également les motards – dont les manifestations atteindront jusqu’à 250 000 personnes qui donnera ensuite les Gilets Jaunes, et enfin un mouvement massif dans les ehpad avec 2 000 maisons de retraite en grève qui montera le rôle important du prolétariat féminin dans les mobilisations de la période. De cette dernière grève naîtront les hashtags #balancetonehpad et #balancetonhosto qui soulèveront l’indignation populaire en faisant connaître largement les lamentables conditions de travail dans les hôpitaux et dans les ehpad ainsi que dans ces derniers les honteuses conditions de résidence des seniors. Sous la pression de cette montée sociale et celle du Front Social -tandis qu’une « fête à Macron » pour le dégager réunit 50 000 personnes en mai – et alors que naissent de grandes grèves étudiantes, l’appareil syndical se résout à lancer une grève aux apparences radicales, une grève de trois mois des cheminots… mais seulement deux jours par semaine, ce qui équivaut à la torpiller et à gâcher sa capacité à entraîner l’ensemble des classes populaires. Cependant, témoignage des colères en cours, cette grève est très suivie, ce qui encourage la base et particulièrement les secteurs jeunes des électriciens et gaziers à entrer à leur tour sans les appareils dans une grève qui durera un mois et demi avant que les vacances ne l’éteignent. Sur le terrain politique, l’ensemble des forces de gauche tentent de donner une expression politique à cet épisode avec des manifestations, les « marées » fin mai contre la politique de Macron qui réuniront jusqu’à 250 000 personnes, mais qui sont vouées à n’avoir pas de suite parce que ses principaux organisateurs n’offrent pas d’autre perspective que de bien voter en 2022.
4. En novembre 2018, dans le sillage de « Colère » mais aussi des acquis des mouvements précédents, le mouvement des Gilets Jaunes démarre contre les hausses de prix. Tout de suite il va hausser le ton de la radicalité cherché depuis un moment en voulant – comme le Front Social mais dans une plus grande dimension – prendre l’Elysée. Le mouvement se maintient longtemps en occupant jour et nuit des centaines de rond-points où il multiplie débats et rencontres tout en manifestant tous les samedis et libérant des péages autoroutiers, bloquant des grandes surfaces, etc… Début 2019 jusqu’au début 2020, apparaît l’ Assemblée des Assemblées, qui tente de donner une expression politique unifiée au mouvement des Gilets Jaunes tout en le tirant sur la gauche contribuant à donner au mouvement cette image alors que le gouvernement, les médias et les directions syndicales tentent de lui faire une réputation d’extrême droite. Le mouvement des Gilets Jaunes marque de manière importante toute la fin de l’année 2018 et le début de l’année 2019 avant de se maintenir mais à un niveau nettement moindre… ce qui lui permettra toutefois de réapparaître aujourd’hui.
5. En décembre 2019, la base des agents de la RATP veut reprendre la radicalité des Gilets Jaunes et lance une grève illimitée contre la réforme des retraites que voudrait faire passer le gouvernement menaçant donc de bloquer toute l’activité de la région parisienne. Les traminots entraînent avec eux les cheminots et quelques autres secteurs avec jusqu’à 1 500 000 manifestants avant que début 2020, faute de secteurs ayant suffisamment suivi puis le covid, ne mettent un terme à cette mobilisation.
6. Début mars 2020, un mouvement court mais massif et explosif de 15 jours à nouveau parti de la base, voit des centaines de milliers de travailleurs appliquer spontanément le « droit de retrait » en n’allant pas au travail face au covid pour ne pas risquer leur santé au seul bénéfice de leurs patrons. Ce mouvement a été largement invisibilisé par les médias et les directions syndicales pour qu’on n’ait pas le souvenir et la conscience de ce mouvement subversif où les prolétaires faisaient passer leur vie avant le profit des capitalistes. Par contre le grand patronat et le gouvernement paniquent. Sous la pression du Medef, Macron concède alors dans son discours du 16 mars de faire passer la santé avant « l’économie ». C’est bien sûr hypocrite puisque si le gouvernement paye le chômage partiel qu’il met en place il réplique surtout par son confinement ultra policier afin de casser et faire oublier ces velléités ouvrières à dire ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Cela dit, c’est ce mouvement qui déclenche toute cette période où on se met à rêver du « jour d’après », où les soignants prennent eux-mêmes en main l’organisation des services face à des ARS et des directions incapables, où on découvre le courage et l’utilité des premiers de corvée qui deviennent les héros du jour, où la solidarité active s’organise dans les quartiers envers les plus fragiles, un avant-goût de ce que pourrait être un monde échappant à la loi du profit égoïste. Mais la pression des médias, des directions politiques et syndicales, des institutions et du gouvernement feront qu’on ne retiendra de ce moment, avec ironie, que le seul fait qu’on applaudissait les soignants le soir.
7. Le discours de Macron du 12 juillet 2021 qui prend le contre-pied de celui du 16 mars 2020, veut tout à la fois définitivement effacer la période qui a suivi ce dernier où on a rêvé d’un monde d’après et en même temps casser toute possibilité de soulèvement populaire en cette période de fin d’épidémie et de préparation des présidentielles. Mais au contraire, cela provoque en résistance à partir du 14 juillet le mouvement anti-pass où est contesté l’autorité du gouvernement et de ses experts en matière médicale, parce que tout le monde a compris de la période que les mesures prétendument sanitaires du gouvernement sont surtout des mesures policières.
8. Et puis, depuis ce samedi 16 octobre 2021, nous entrons peut-être dans l’amorce d’un huitième mouvement.
UN TERREAU DE LUTTES SOCIALES ET DE PROGRES DE CONSCIENCE SUR LEQUEL POUSSENT LES GRANDS MOUVEMENTS
Pour comprendre ce huitième mouvement possible, il faut bien voir que les 7 mouvements précédents ont tous été accompagnés de très nombreuses autres mobilisations mais plus dispersées, ponctuelles, moins visibles. En même temps, c’est cette mobilisation large autour des mouvements décrits plus hauts qui les a permis en créant une sorte de terreau d’où ils sont sortis.
Or ce terreau se reconstitue aujourd’hui depuis avril-mai 2021, avec l’interruption de l’été, mais une reprise encore plus importante de luttes sociales diverses depuis septembre.
Il faut ajouter que durant ces grands mouvements, il y en a eu d’autres de même ampleur ou plus encore, dans les Dom-Tom, notamment une grève générale de plus d’un mois en Guyane en 2017 et à Mayotte aussi en 2017 où l’île n’a connu que 20 jours sans conflits et en 2018 avec une grève générale d’un mois tandis que la Guadeloupe, la Martinique et la Polynésie connaissaient des mobilisations soutenues durant toutes ces années. Enfin, Guyane, Martinique, Guadeloupe, Polynésie et Nouvelle Calédonie connaissent à l’heure actuelle des quasi grèves générales rampantes depuis plus d’un mois contre l’obligation vaccinale et le pass sanitaire.
Tous ces grands conflits décrits plus haut, ont été entourés, précédés, suivis par une foule d’autres moins médiatisés mais importants, tant en ces périodes de contestation générale, les luttes sont communicantes.
Il y a eu des manifestations antiracistes importantes, d’autres de travailleurs sans papiers notamment en 2020, d’autres encore contre les lois liberticides durant 4 mois en 2021 qui ont amené dans la rue des dizaines de milliers de jeunes manifestant parfois pour la première fois. Il y a eu aussi des manifestations pour le climat en particulier en 2018 et 2019 entraînant jusqu’à 350 000 manifestants ; des manifestations féministes avec une sorte d’apogée avec Metoo en 2019 ; et puis encore des grèves quasi incessantes mais dispersées chez les hospitaliers et personnels de santé qui m’en a fait compter près de 4 000 en 2017, des grèves rampantes non négligeables chez les lycéens en 2018, 2019, 2020 et 2021, la grève importante des pompiers qui a duré plusieurs mois en 2019 jusqu’à début 2020
Pour 2021, il y a eu le mouvement des occupations de théâtres qui a eu duré deux mois et occupé plus de 100 théâtres et lieux de culture au printemps, des centaines de grèves des agents territoriaux contre la loi de transformation de la fonction publique qui les fera travailler plus longtemps sans les payer plus, des grèves qui durent depuis 2020, se sont intensifiés en 2021 en particulier de mars à mai, et continuent aujourd’hui, mais des grèves extrêmement dispersées, le plus souvent par ville.
Il y a encore eu un mouvement de grève dans les hôpitaux un peu plus visible durant cet été contre les suspensions des personnels non vaccinés. Et puis récemment des grèves à caractère catégoriel toujours dans la santé mais bien suivies, sages-femmes, infirmiers de blocs, psychologues, services de réanimation, Samu, ambulanciers…
Et puis, toujours aujourd’hui, les grèves des chauffeurs de bus, qui durent depuis début septembre touchent une cinquantaine de villes, mais là aussi dispersées, sans coordination, sauf, quand la grève tend à s’étendre sur la même zone géographique, comme pour la société Transdev en Île de France.
Enfin, la grève des employés de bibliothèques et médiathèques – la seule grève professionnelle contre le pass sanitaire – qui dure pour certains depuis presqu’un mois et qui a touché plusieurs centaines de bibliothèques, médiathèques et établissements culturels avec deux journées d’action en octobre sans que les grandes confédérations syndicales les soutiennent à l’exception de Solidaires.
Ces luttes sont entourées ces dernières semaines d’une forte extension de grèves diverses dans tous les secteurs pour des augmentations de salaires, contre des licenciements, pour l’amélioration de conditions de travail et en particulier depuis la journée syndicale nationale d’action du 5 octobre qui a redonné confiance à un certain nombre de militants de base, tandis que poussés par cette tendance et le mouvement anti-pass qui continue, les grandes confédérations syndicales multiplient en ce mois d’octobre 2021 les journées d’action profession par profession, deux à trois par semaine environ, pour d’une part disperser la colère et d’autre part éviter qu’une coordination des luttes se fasse et sans elles.
Les plus pessimistes peuvent penser que la multiplication des luttes, qui souvent durent, est due à la résistance des patrons qui ne cèdent rien ou pas grand chose et du gouvernement qui cogne fort. Oui, bien sûr, mais face à un tel mur, elles pourraient se décourager et s’arrêter. Or, c’est le contraire qui se passe, ne pas gagner, perdre ne décourage pas mais encourage à y revenir plus fort et plus conscients. Et la multiplication des luttes actuelles témoigne du fait que le mouvement social cherche une issue collective qui définit la possibilité d’un huitième mouvement.
Tout cela définit une période.
NOUS VIVONS UNE PERIODE DE GREVE GENERALE A LAQUELLE IL NOUS FAUT CONSTRUIRE SON EXPRESSION POLITIQUE
La grève générale ne se définit pas tant par l’importance des luttes mais par l’esprit commun subversif qui les les anime.
Or ce terreau large de luttes, c’est aussi celui dans lequel s’est formée silencieusement une méfiance générale envers la police, la justice, la presse, les partis politiques, les élections, les directions syndicales, le clergé, les valeurs de réussite individuelle au détriment des autres, les croyances religieuses, la protection des frontières, l’expertise scientifique sanitaire ou climatique de l’Etat, la pseudo honnêteté des dirigeants économiques, des nantis… Cela existait plus ou moins auparavant mais est devenu aujourd’hui un langage véritablement commun dans les classes populaires.
Et petits ou grands, tous les mouvements sont habités de cette conscience.
Ainsi, contrairement aux périodes précédentes, où chaque lutte se vivait de manière indépendante des autres, chaque échec démoralisait, aujourd’hui chaque échec apprend à faire mieux demain, cela aussi bien en France qu’à l’échelle du globe.
Cet esprit général forme un seul et même mouvement ou plus exactement, une seule et même période qu’on peut appeler « période de grève générale » au sens ou ce qui définit l’infinie variété de mouvements est que la tendance dominante en est habitée par l’importance croissante de la prise de conscience que pour gagner, il faudrait une grève générale, s’y mettre tous ensemble et renverser le système.
Les bourgeois sont clairement conscients de ce qui est en jeu.
C’est pourquoi ils font beaucoup d’effort pour placer dans leurs médias nombre de journalistes et chroniqueurs fascistes ou fascisants afin d’une part de brouiller les esprits et d’autre part de préparer pour demain, s’ils y arrivent, des troupes fascistes face à une montée insurrectionnelle du prolétariat et leurs attaques contre les protections des chômeurs ne sont peut-être pas indépendantes de ces calculs afin de créer une base de masse, miséreuse, pour la création de forces fascistes.
De son côté, la majorité de la gauche syndicale et politique complète cette même confusion en faisant semblant de confondre la fascisation des sommets et celle d’en bas. Elle dénonce les quartiers populaires comme électeurs des Le Pen, ce qui est faux les quartiers s’abstiennent ; elle dénonce comme « fascistes » les mouvement populaires d’émancipation, les Gilets Jaunes, le mouvement anti-pass, ou en Italie les ouvriers qui se battent pour ne pas être licenciés. Ainsi, les partis trouvent-ils encore là la justification à leur présence aux élections pour y soit-disant « battre le fascisme », ce qui concrètement revient en fait à la justification de la politique du moindre mal tandis que les directions syndicales ont trouvé là, la justification de leur inaction face aux reculs, l’argument des masses devenues fascistes venant remplacer celui des masses qui ne se battent pas.
Pour le moment, les classes populaires n’ont pas vraiment toute cette conscience par la réflexion, mais elle grandit toutefois par l’expérience.
Cependant, il est important dans cette période de faire plus et plus vite, parce que la réaction bourgeoise peut taper fort très vite avant justement que les classes populaires en viennent à la conscience révolutionnaire vers laquelle elles tendent. Il s’agit d’accélérer les prises de conscience en liant les expériences actuelles aux lointaines expériences du mouvement ouvrier dans ses moments révolutionnaires et aux leçons qu’il en a tirées.
C’est Rosa Luxembourg qui en son temps avait initié cette idée de « période de grève générale » autour de la révolution de 1905 et les tâches qui en découlaient. Elle estimait cette période pour cette époque à une période de dix ans. C’est encore elle qui écrivait au même moment que dans cette période, « la révolution précédait la grève », signifiant que la grève, fut-elle générale, ne pouvait déboucher, ne pouvait gagner, avoir un débouché, que si elle était animée de l’expérience concentrée et des perspectives du mouvement ouvrier dans ce qu’il avait de réellement socialiste et révolutionnaire.
Aujourd’hui, la première étape de prise de conscience socialiste révolutionnaire est d’avoir la conscience de cette période de grève générale et ses tâches en ayant déjà la mémoire des luttes de ces dernières années et de la restituer, car cette mémoire définit une compréhension commune de la période ce qui permet en retour d’y agir plus efficacement.
En même temps, cette mémoire définit un « parti » au vrai sens du terme, non pas au sens de discipline, mais au sens de « partisans » libres d’un même combat, d’un même but. C’est ce « parti » ou le terreau de ce « parti » qui prend forme aujourd’hui de manière informelle par les multiples échanges et prises de contacts de militants divers, sur fond d’une prise de conscience large. Il reste à accélérer ce mouvement en lui donnant un caractère plus formel.
La convergence Gilets Jaunes/mouvement anti-pass qui s’est dessinée ce 16 octobre nous dit que la situation et mûre pour que se cristallise à nouveau ce que le Front Social ou l’Assemblée des Assemblées ont tenté en leur temps, voire plus tôt auparavant le NPA dans ses objectifs de ses tout débuts et le LKP guadeloupéen, dans un moment qui à l’époque englobait les révolutions arabes et à partir de laquelle on peut mesurer l’évolution des prises de conscience qui ont mené jusqu’à aujourd’hui.
Nul ne peut savoir ce que peuvent être ce nouveau NPA, LKP, Front Social ou Assemblées des Assemblées de demain.
Par contre, ce qui est sûr, c’est qu’il y a aujourd’hui des centaines de militants qui tout en participant aux combats des Gilets Jaunes ou au mouvement anti-pass, ont déjà fait l’expérience, tout ou partie, de ces regroupements en ayant à l’esprit la mesure de leurs erreurs ou fragilités et qui cherchent à se rassembler. Il y a également des milliers de Gilets Jaunes qui tout en animant en partie le mouvement anti-pass sanitaire cherchent le moyen d’être plus efficaces qu’ils ne l’ont été et cherchent des idées en ce sens, des regroupements en ce sens. Il y a des milliers de militants syndicalistes de base qui s’étaient déjà regroupés dans le Front Social et qui ont repris du poil de la bête autour et à partir de la journée syndicale nationale d’action du 5 octobre.
Par ailleurs, il y a fort à parier que plus on avancera vers le piège des élections présidentielles, plus le mouvement social actuel qui n’a pas de candidat et qui se définit entre le mouvement anti-pass, les Gilets Jaunes, les syndicalistes de base qui animent les luttes actuelles, les militants révolutionnaires ou radicaux à gauche, cherchera à y avoir sa propre expression politique. Il cherchera à faire passer le message révolutionnaire qui découle de son expérience et de ses méfiances et qui déborde les élections et leur résultat. Il cherchera à donner un message qui offre des perspectives révolutionnaires tout à la fois totalement indépendantes du jeu électoral mais qui en même temps englobe ce moment électoral en permettant de maintenir l’unité du mouvement par delà des choix électoraux des uns ou des autres qui divisent – participation et vote pour tel ou tel ou abstention – et qu’il pourra définir collectivement en fonction des circonstances concrètes du moment.
La perspective de construire cette nouvelle force politico-sociale carrément révolutionnaire sur fond général d’évolution subversive des consciences et de luttes qui ne cessent pas, c’est maintenant.
Jacques Chastaing le 17/10/2021

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