La Cour suprême russe dissout l’ONG Memorial, pilier de la défense des libertés dans le pays

Police officers restrain a supporter of the human rights group International Memorial outside a court building during a hearing of the Russian Supreme Court to consider the closure of International Memorial in Moscow, Russia December 28, 2021. The placard reads: "We will live forever". REUTERS/Evgenia Novozhenina

L’association s’attache à protéger les droits humains et étudie les crimes du régime soviétique. Les poursuites la visant sont perçues comme un nouveau palier dans la répression du président, Vladimir Poutine, à l’égard des voix critiques.

Le Monde avec AFP

Publié aujourd’hui le 

La décision est hautement symbolique dans la Russie de Vladimir Poutine. La Cour suprême russe a annoncé, mardi 28 décembre, la liquidation de l’ONG Memorial, pilier de la lutte contre les répressions dans la Russie contemporaine et gardienne de la mémoire des victimes du goulag.

Cette décision survient en conclusion d’une année marquée par la répression croissante des personnes, ONG et médias perçus comme critiques à l’égard du président, Vladimir Poutine, au pouvoir depuis bientôt vingt-deux ans.

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Fondée au crépuscule de l’URSS par des dissidents, dont le Prix Nobel de la paix Andreï Sakharov, Memorial avait pour mission de mettre en lumière les millions de victimes des crimes soviétiques. Pour ses défenseurs, elle subit désormais la promotion de plus en plus accentuée par le Kremlin d’une vision de l’histoire glorifiant la puissance de l’URSS et minimisant les dérives du stalinisme.

Une décision qui « renvoie la Russie à son passé »

« C’est une décision malfaisante, injuste », a réagi l’avocate de la défense, Maria Eïsmont. Memorial enquête depuis plus de trente ans sur les purges soviétiques et recense les répressions contemporaines, notamment celles du régime de M. Poutine. L’organisation avait affirmé avant le verdict qu’elle allait s’efforcer de continuer son travail, même en cas d’interdiction. « Liquider Memorial International renvoie la Russie à son passé, et accroît le danger de [nouvelles] répressions », avait estimé devant la cour Mme Eïsmont.

Devant la cour mardi, le procureur, Alexeï Jafiarov, s’est fendu d’une attaque en règle visant l’ONG, l’accusant de « créer une image mensongère de l’URSS en tant qu’Etat terroriste », de « salir la mémoire » de la seconde guerre mondiale et de chercher à « réhabiliter des criminels nazis ».

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Mais les problèmes judiciaires de Memorial ne s’arrêtent pas là. Dans un autre dossier, le parquet exige la dissolution de son Centre de défense des droits humains, spécialisé dans les violations commises à ses yeux par l’Etat russe contemporain. Il est accusé d’apologie « du terrorisme et de l’extrémisme », en plus de violations de la loi sur les « agents de l’étranger ». Dans cette affaire, une audience est prévue mercredi devant un tribunal de Moscou.

Des dizaines d’ONG, opposants et médias indépendants poursuivis

Au début de 2021 – et pour deux ans et demi –, les autorités ont incarcéré l’opposant numéro un du Kremlin, Alexeï Navalny, puis interdit en juin son organisation pour « extrémisme ». Plusieurs de ses partisans ont encore été arrêtés mardi. Des dizaines de personnes, des ONG défendant les droits humains ou des minorités sexuelles et des médias indépendants ont été reconnus « agents de l’étranger » ou accusés d’extrémisme.

Moscou est aussi passé à l’offensive sur le front numérique, multipliant les blocages de sites Internet jugés dissidents et les amendes contre les géants du Web qui ne suppriment pas des contenus liés à l’opposition. Les ennuis de Memorial illustrent l’affrontement entre deux visions de l’histoire russe, trente ans après la dislocation de l’Union soviétique, qualifiée par Vladimir Poutine de « plus grande catastrophe géopolitique » du XXe siècle.

Pour ses activités, Memorial subit de longue date des pressions et a déjà payé un lourd tribut. En 2009, sa responsable en Tchétchénie, Natalia Estemirova, avait été kidnappée puis exécutée. L’un de ses historiens, Iouri Dmitriev, a été condamné lundi à quinze années de prison pour une affaire « d’agression sexuelle » dénoncée comme un coup monté destiné à le punir pour ses recherches sur la terreur soviétique.

Le Monde avec AFP

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