Présidentielle 2022 : « La baisse de l’intention d’aller voter à trois semaines du scrutin, c’est assez alarmant »

INTERVIEW Adelaïde Zulfikarpasic est directrice de l’institut BVA Opinion, qui a publié ce lundi une étude détaillée sur les abstentionnistes en vue de l’élection présidentielle

Propos recueillis par Rachel Garrat-ValcarcelPublié le 21/03/22
Sur des panneaux électoraux, en 2010, à Paris. (archives) — JOËL SAGET / AFP
  • Le taux d’abstention au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 pourrait battre le record du 21 avril 2002.
  • Même s’ils sont plus nombreux, les abstentionnistes viennent toujours des mêmes groupes de la population, souligne Adelaïde Zulfikarpasic, directrice de l’institut BVA Opinion, dans un entretien à 20 Minutes.
  • Jean-Luc Mélenchon a tout à gagner à faire voter ceux qui hésitent à se rendre aux urnes, ils sont plus enclins à voter pour lui.

28,4 %. Ce chiffre, c’est le record d’abstention à un premier tour d’élection présidentielle, traditionnellement le scrutin le plus mobilisateur en France. C’était le 21 avril 2002, et on se souvient de la commotion provoquée à l’époque par la qualification de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour. Le 10 avril prochain, cela pourrait être bien pire, si on en croit les sondages, qui sont rares à voir l’abstention sous les 30 % des électeurs et électrices inscrites. Adelaïde Zulfikarpasic, directrice de BVA Opinion explique à 20 Minutes les ressorts de cette abstention, et qui a à gagner à faire revenir les Françaises et les Français aux urnes.

Il est traditionnellement difficile pour les sondeurs d’évaluer la participation électorale. Qu’en est-il cette année ?

De manière générale, on évalue la participation sur une échelle de 0 à 10, en demandant aux personnes inscrites sur les listes électorales si elles ont l’intention d’aller voter au premier tour, « 0 » exprimant le fait d’être absolument certain que, quoi qu’il advienne, vous n’irez jamais voter et « 10 » exprimant l’inverse – quoi qu’il en soit, vous êtes absolument certain d’aller voter. On agrège ensuite les notes « 9 » et « 10 » pour évaluer le taux de participation. Ça, on l’a observé empiriquement.

Aujourd’hui, on mesure une participation qui est en baisse par rapport à 2017 : 71 % des Français ont l’intention d’aller voter, 29 % pourraient s’abstenir – donc davantage que le 21 avril 2002. Il y a eu un regain d’intérêt de participation dans notre vague précédente, liée à l’annonce des candidatures officielles, l’entrée en campagne du président et de la crise ukrainienne, qui a ravivé l’intérêt pour la politique à un moment où ça devient très concret. Je pensais que ça allait durer, mais ce n’est pas le cas.

Quel est le principal moteur de cette potentielle non-participation ?

Il y en a deux. On avait déjà fait un premier focus, en octobre, sur l’abstention et la non-inscription sur les listes et, à l’époque, le moteur principal, c’était le désenchantement, la désillusion et ce sentiment d’inutilité du vote. Ce qu’on nous disait, c’était « Je n’attends pas grand-chose de ces élections » ; « ça ne changera rien à mon quotidien ». Aujourd’hui, ça reste le premier moteur, mais il y en a désormais un second, cité au même niveau, qui est l’impression que les jeux sont déjà faits, l’absence de suspense de cette élection [avec Emmanuel Macron largement en tête des intentions de vote au premier tour], qui renforce encore plus le sentiment d’inutilité du vote. C’est tout cela, beaucoup plus que de la colère. On entend parfois dire que l’abstention est un cri de colère, ce n’est pas le cas, ça n’arrive qu’en sixième position seulement des motivations, dans notre sondage.

Depuis le début de la campagne, l’intention de participation a des hauts et des bas, elle n’est pas linéaire. Est-ce que c’est un trait particulier à cette élection ?

En 2017, il y avait aussi eu des hauts et des bas. En revanche, si près du premier tour, c’est surprenant. D’habitude, l’intérêt est croissant dans les dernières semaines. En 2017, le vote avait lieu le 23 avril [deux semaines plus tard que cette année] et, dans notre vague des 15-17 mars 2017, l’intention d’aller voter était à 73 %, 76 % la semaine suivante, et 77 % début avril. Dans les derniers jours de la campagne officielle, ça monte à 80 % pour finalement arriver à un résultat de 77 %. Le fait que ça redescende à trois semaines du scrutin, c’est assez alarmant.

Vous vous faites un descriptif assez précis de « qui s’abstient ». Et même si, a priori, ils pourraient être plus nombreux, leur profil est très classique, finalement.

Classiquement, les abstentionnistes sont des gens qui sont moins « dans le jeu », moins dans le système, parce qu’ils ne sont pas encore intégrés professionnellement ou socialement. On trouve donc là les jeunes et les CSP-. C’était déjà eux qui votaient moins il y a trente ans et ce sont toujours eux qui votent moins aujourd’hui. Dans des proportions plus importantes – parce que globalement les gens votent moins –, mais il n’y a rien de nouveau. On apprenait déjà ça dans mes cours de sociologie électorale il y a plus de vingt ans !

Est-ce qu’il y a des candidats qui ont plus à perdre que d’autres à une forte abstention ?

Oui, on le voit de manière très frappante dans notre enquête : il y a un vrai enjeu sur la participation électorale pour Jean-Luc Mélenchon. Quatre sympathisants de La France insoumise sur dix disent pouvoir s’abstenir. On le voit aussi dans d’autres enquêtes qu’on a pu faire sur les hésitants, qui sont plus du côté de Jean-Luc Mélenchon. Sur une échelle de 0 à 10 de l’intention d’aller voter, ceux et celles qui nous répondent 7 ou 8 sont plus enclins à vouloir voter Mélenchon que ceux qui répondent 9 ou 10. Marine Le Pen a aussi potentiellement un peu à perdre avec une faible participation parce qu’elle est aussi sur des catégories socioprofessionnelles, notamment les CSP-, qui votent moins. Néanmoins, les CSP- qui sont sur le seuil de la participation, ils sont plus chez Jean-Luc Mélenchon que chez Marine Le Pen.

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