Rapport du Giec : les coulisses politiques d’un retard

Le dernier volet du sixième rapport du Groupe d’experts sur l’évolution du climat sera publié à 17 heures le 4 avril, plus tard que prévu. Ce texte, très politique, a suscité de nombreuses dissensions, notamment avec les pays les plus pollueurs.

Il était attendu pour ce lundi 4 avril au matin. C’est finalement à 17 heures que le troisième et dernier volet du sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) sera dévoilé au grand public. L’approbation de ce document, qui porte sur les solutions disponibles pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, devait s’achever vendredi 1er avril. Mais les délégués ne se sont mis d’accord que deux jours plus tard, le 3 avril dans la soirée. Un retard important qui s’explique par la charge politique de ce texte.

Ce troisième volet est le fruit d’un long travail collectif, qui a impliqué plus de 230 auteurs pendant cinq ans. Comme pour chaque rapport du Giec, sa publication s’accompagne d’un « résumé à l’intention des décideurs ». Le contenu de cette version condensée du texte est négocié ligne par ligne par les représentants des 195 pays membres du Giec, en collaboration avec les auteurs.

Les tractations ont été particulièrement intenses : « Ce n’est pas surprenant, le troisième volet du rapport est toujours plus politique que les autres, dit à Reporterre le chercheur en sciences politiques François Gemenne, qui a suivi les négociations. C’est le volet le plus utilisé, le plus instrumentalisé par le grand public. Il est certain que les États sont plus attentifs et le scrutent davantage que les autres. »

Un langage qui titille les pays les plus pollueurs

Le contenu de ce rapport est en effet sensible. Y sont notamment identifiées les mesures d’atténuation compatibles avec les objectifs fixés dans l’Accord de Paris. Les retards se sont accumulés au cours des quinze jours de négociations en ligne. « Globalement, comme souvent, c’était surtout les pays les plus pollueurs qui essayaient d’atténuer le langage pour qu’il ne puisse pas être utilisé contre eux, explique François Gemenne. L’Arabie saoudite ne voulait pas que l’on parle d’une sortie complète des énergies fossiles, et le Brésil ne voulait pas que l’on parle de “régime végétalisé”, mais plutôt d’un “régime équilibré”. »

La question du financement international a également créé des tensions. Selon BFMTV, les États-Unis ne voulaient pas intégrer au document final des données montrant que les pays en voie de développement ont besoin d’un soutien financier très important pour respecter l’Accord de Paris, tandis que la Chine souhaitait mettre ce point en avant.

« Personne ne cherche vraiment à le torpiller »

« On essaie toujours de trouver un compromis, une voie entre deux », dit François Gemenne, avant de rappeler que les scientifiques gardent « toujours le dernier mot » : « S’ils ne sont pas satisfaits du texte, ils peuvent bloquer le processus et refuser de publier le rapport. »

Les États n’ont en revanche pas ce pouvoir. Ils ne peuvent que refuser de valider individuellement le rapport. « Les États doivent donc aussi chercher un compromis qui satisfasse les scientifiques. » La marge de manœuvre des représentants est également limitée : « Il est difficile pour les États de contredire frontalement ce que fait le Giec, dans la mesure où il recense des études déjà publiées », dit à Reporterre Clément Sénéchal, chargé de campagne climat à Greenpeace.

Malgré les tentatives des gouvernements « d’infléchir » le contenu du texte, François Gemenne observe que les discussions au sein du Giec sont souvent plus constructives que dans le cadre des négociations internationales sur le climat. Le fait que ces résumés à l’intention des décideurs ne soient pas contraignants juridiquement y contribue peut-être. « Chacun sait que c’est l’intérêt de tout le monde que le rapport soit publié. Personne ne cherche vraiment à le torpiller. » Reste à savoir si ses conclusions – exigeantes – seront suffisamment prises au sérieux.

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Réchauffement climatique : l’humanité au bord du gouffre

Publié le 04 avril 2022 

Réchauffement climatique : l’humanité au bord du gouffre
(Photo d’illustration archive EPA)

Réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre est le seul moyen pour éviter le pire concernant le climat. Telle est la conclusion implacable du sixième cycle d’évaluation des experts climat de l’ONU, dont le troisième rapport – solution de réduction des émissions – a été dévoilé ce lundi après-midi

Un réchauffement qui s’accélère, des impacts qui s’intensifient causant des souffrances sans précédent à l’humanité responsable de cette dévastation, et un seul moyen d’éviter le pire, réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Voici les principales conclusions du sixième cycle d’évaluation des experts climat de l’ONU (Giec) décliné en quelque 10 000 pages et trois rapports – physique du climatimpacts et adaptation, solution de réduction des émissions – publiés en août 2021, février 2022 et ce lundi.
Comme les précédents cycles d’évaluation qui ont lieu environ tous les six ou sept ans depuis 1990, cette trilogie servira de référence pour les prochaines années.

Des preuves qui ne font plus aucun doute

N’en déplaise aux climato-sceptiques, les preuves scientifiques ont levé les moindres doutes qui pouvaient subsister : les humains sont « indiscutablement » responsables du réchauffement de la planète qui a gagné environ +1,1 °C depuis l’ère pré-industrielle.
Le rythme d’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère entre 1900 et 2019, largement liée aux énergies fossiles, est au moins dix fois plus élevé que lors de n’importe quelle autre période des 800 000 dernières années et la concentration de CO2 dans l’atmosphère n’a jamais été aussi élevée depuis plus de 2 millions d’années.

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Le réchauffement ne se limitera pas à + 1,5 °C

L’accord de Paris de 2015 vise à limiter le réchauffement « bien en deçà » de +2 °C, si possible +1,5 °C. Mais, dans tous les scénarios envisagés par le Giec – du plus optimiste ou plus pessimiste -, la température mondiale devrait atteindre +1,5 °C ou +1,6 °C par rapport à l’ère pré-industrielle autour de 2030. Soit dix ans plus tôt qu’estimé précédemment.

Même s’il existe une possibilité de revenir ensuite sous le seuil de +1,5 °C d’ici à la fin du siècle, même un dépassement temporaire provoquerait des dommages « irréversibles » sur certains écosystèmes fragiles (pôles, montagnes, côtes), avec des effets en cascade sur les populations.

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Même si les engagements actuels des États pour réduire les émissions d’ici 2030 étaient respectés, ne pas dépasser +1,5 °C au moins temporairement serait « hors d’atteinte » et atteindre +2 °C serait difficile. Sans renforcement des politiques actuelles, le réchauffement pourrait même atteindre 3,2°C d’ici 2100, soit deux fois plus que l’objectif idéal de l’accord de Paris.

Les effets secondaires vont s’intensifier

Les conséquences dévastatrices du changement climatique, longtemps vues comme un point à l’horizon, sont devenues une réalité aux quatre coins de la planète, avec 3,3 à 3,6 milliards de personnes d’ores et déjà « très vulnérables », soit près de la moitié de l’humanité. Et ce n’est qu’un début.
Sécheresse, canicules avec par endroit des extrêmes de températures littéralement invivables, tempêtes, inondations, pénuries d’eau, pertes de récoltes agricoles… Les effets secondaires du réchauffement de l’atmosphère et des océans sont appelés à s’intensifier, avec un impact disproportionné sur les plus fragiles, comme les populations pauvres et les peuples autochtones.

Exode de centaines de millions de personnes

Sans oublier l’exode possible de centaines de millions de personnes face à la montée inexorable du niveau de la mer principalement liée à la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique.

Même si le réchauffement est limité à +2 °C, les océans pourraient gagner environ 50 cm au XXIe siècle et cette hausse pourrait atteindre près de 2 mètres d’ici 2300 – deux fois plus qu’estimé par le Giec en 2019.

« Réduction rapide, radicale et le plus souvent immédiate des émissions de gaz à effet de serre »

Le Giec ne cesse de répéter que son rôle n’est pas de faire des recommandations, mais les scénarios qu’il a élaborés ne laissent pas de choix si l’humanité veut s’assurer un « avenir vivable » sur la planète : même pour limiter à 2C°, il faut « une réduction rapide, radicale et le plus souvent immédiate des émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs », insiste le Giec en insistant sur l’énergie, les transports, l’industrie, l’agriculture et les villes.

Réduction de l’utilisation du charbon, du pétrole et du gaz

Pour limiter le réchauffement à +1,5 °C, il faudrait ainsi une transformation majeure du système énergétique, avec la réduction de l’utilisation (sans technique de captage du carbone) du charbon, du pétrole et du gaz respectivement d’environ 100 %, 60 % et 70 % d’ici 2050 par rapport à 2019.

Ces trois rapports du Giec n’ont jamais autant fait de place à la possibilité des points de basculement, modifications abruptes du système climatique à « faible probabilité » mais « impacts importants » qui « ne peuvent être exclus ».

Le « très haut risque » à +2,5°C.

Parmi ces impacts, le point de non-retour menant à l’effondrement total des calottes glaciaires, capable de faire monter la mer de dizaines de mètres ; le dégel du permafrost qui renferme des volumes immenses de carbone ; ou encore la transformation en savane de l’Amazonie qui absorbe une partie vitale du CO2 émis par les activités humaines. Si les scientifiques n’ont, pour l’instant, pas de certitude sur le seuil de réchauffement qui déclencherait ces « événements singuliers d’échelle planétaire », ils savent que le risque est plus grand à +2 °C qu’à +1,5 °C. Et qu’on passe dans un « très haut risque » d’ici +2,5 °C.

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