LA GRÈVE GÉNÉRALE DE MAI-JUIN 1936

LA GRÈVE GÉNÉRALE DE MAI-JUIN 1936 QUI A OBTENU LES 40 H ET LES CONGÉS PAYÉS S’EST DÉCLENCHÉE PAR MÉFIANCE DU FRONT POPULAIRE ET DU SEUL PROCESSUS ÉLECTORAL
On entend souvent dire que les grèves de mai-juin 1936 furent suscitées par les « espoirs » que les travailleurs avaient placés dans le Front Populaire, au lendemain de sa victoire électorale. En fait, les grèves furent provoquées par le manque de confiance des classes populaires dans la capacité du Front Populaire à briser la résistance patronale. Elles se méfiaient tout particulièrement du Parti Radical. Elles voulaient, à leur manière, « aider » le Front Populaire à prendre des mesures décisives contre les capitalistes. Les dirigeants du Front Populaire refusèrent cette aide de toute leur force. Mais en obtenant du patronat des concessions qui allaient plus loin que le programme du Front Populaire, les travailleurs ont prouvé, une fois de plus, que les véritables réformes sont toujours des sous-produits de révolutions. C’est ce qu’il nous faut préparer aujourd’hui. Il n’y aura pas de véritable succès de la nouvelle union de la gauche sans mobilisation dans la rue. On ne peut rien attendre du PS et de EELV qui viennent de passer des années à faire la politique du grand patronat. Ils ne vont pas changer du jour au lendemain mais au contraire s’employer à paralyser tout ce que voudraient faire PCF et LFI à supposer que ces derniers aient une réelle volonté de changement si la nouvelle union de la gauche avait la majorité absolue aux législatives de juin 2022, ce qui n’est pas gagné, loin de là..
Le Front Populaire qui a gagné les élections législatives du 3 mai 1936 était composé de la SFIO (PS aujourd’hui), du PCF et du Parti Radical.
Le Parti Radical présenté à l’époque par la gauche comme le parti des classes moyennes représentait d’abord et avant tout l’aile gauche du capital financier, les intérêts des capitalistes, qui l’utilisait pour s’asservir, politiquement, les classes moyennes. L’union avec ce parti n’était pas l’union avec les classes moyennes, mais avec les grands capitalistes. Les radicaux – comme aujourd’hui le PS ou EELV -s’opposaient systématiquement à toute mesure susceptible de contrarier les « 200 familles » qui tiraient les ficelles de l’économie.
L’alliance de la gauche avec le Parti Radical était en contradiction avec toute la dynamique de la situation. Comme aujourd’hui, la crise du capitalisme s’accompagnait d’une polarisation croissante de la société – vers la gauche et vers la droite. La classe ouvrière se déplaçait rapidement vers la gauche. Quant aux classes moyennes, elles désertaient le Parti Radical au profit, soit de la gauche, soit de la droite et de l’extrême droite.
C’est ce que montra le premier tour des élections législatives d’avril 1936 comme le premier tour des élections présidentielles de 2022. Alors que la SFIO maintenait son score de 1932 – malgré la scission du groupe droitier des « néo-socialistes » comme aujourd’hui les notables du PS – le PCF passait de 780 000 à 1 470 000 voix, cependant que les radicaux en perdaient plus de 500 000. Ainsi, malgré le soutien que les dirigeants communistes et socialistes apportaient aux radicaux, les travailleurs et une partie importante des classes moyennes rejetèrent les radicaux et doublèrent les voix en faveur du PCF qui se réclamait de la révolution d’Octobre.
Le deuxième tour donna une majorité absolue aux partis du Front Populaire. Le PCF passa de 10 à 72 sièges, la SFIO de 97 à 147, les radicaux de 159 à 116. Premier groupe parlementaire du Front Populaire, la SFIO envoya son chef, Léon Blum, à la tête du gouvernement. Mais au lieu de provoquer la démission immédiate du gouvernement en place, Léon Blum décida de respecter le « délai constitutionnel » d’un mois. C’était une façon de dire aux travailleurs : « nous respecterons les lois de la République capitaliste ». Contre cela, les classes populaires répondirent par une mobilisation révolutionnaire d’une ampleur inédite, peut-être un des plus grands mouvements sociaux de l’histoire de France, la grève générale de mai-juin 1936.
A l’image des très nombreuses grèves actuelles sur les salaires ou les manifestations des Gilets Jaunes et des anti-pass, les signes avant-coureurs de la vague de grèves de mai-juin 1936 n’avaient pas manqués. Par exemple, en août 1935, les travailleurs des arsenaux de Brest et Toulon se soulevèrent, drapeau rouge en tête, contre l’amputation de leurs salaires. Des événements similaires se sont produits à Limoges, en septembre de la même année.
Le 11 mai 1936, une grève éclate à l’usine Bréguet du Havre : 600 ouvriers occupent les bâtiments. Le 13 mai, ce sont les travailleurs de Latécoère, à Toulouse, qui occupent leurs usines. Le 14 mai, c’est le tour des usines Bloch, à Courbevoie. Les jours suivants, les grèves avec occupation se multiplient dans la métallurgie de la région parisienne. Le 24 mai, la traditionnelle célébration des Communards, au Père Lachaise, rassemble 600 000 personnes. Les radicaux y brillent par leur absence. A partir du 2 juin, le mouvement de grève s’étend à d’autres secteurs que la métallurgie et gagne l’ensemble du pays. En l’espace de 15 jours, la contagion révolutionnaire s’étend à plus de 2,5 millions de travailleurs.
Cette grève massive et déterminée face à montée de l’extrême droite, sa tentative de coup d’Etat en France en 1934 et la prise du pouvoir de Hitler en Allemagne, constituait l’amorce d’une révolution. La signification des occupations n’a pas échappé aux capitalistes : il s’agissait d’une atteinte directe à la sacro-sainte propriété privée – qui, aux yeux de millions de salariés, cessait justement d’être sacro-sainte. Les travailleurs indiquaient qu’ils voulaient être les maîtres là où ils n’avaient jusqu’alors été que des esclaves. La question était posée devant tous : « Qui doit contrôler l’économie : les capitalistes ou les travailleurs ? » Dans un tel contexte, la création de conseils ouvriers, liés les uns aux autres de l’échelon local jusqu’au national, et socialiser l’économie sur cette base, était dans les possibilités.
Les militants de base de la SFIO et en particulier ceux du PCF et de la CGT, étaient largement impliqués dans le mouvement. Mais leurs dirigeants furent, comme les capitalistes, pris de panique. Le 3 juin, avant même de prendre ses fonctions comme ministre de l’Intérieur, le député socialiste Roger Salengro déclarait à l’Assemblée : « Que ceux qui ont pour mission de guider les organisations ouvrières fassent leur devoir. Qu’ils s’empressent de mettre un terme à cette agitation injustifiée. Pour ma part, mon choix est fait entre l’ordre et l’anarchie. Je maintiendrai l’ordre contre l’anarchie ». Selon lui, l’« ordre », c’était l’anarchie capitaliste, et l’« anarchie », la lutte pour l’ordre socialiste !
Les dirigeants du PCF, pesèrent de toute leur autorité pour ramener « l’ordre » que réclamaient Salengro et les chefs radicaux. De concert avec Léon Jouhaux, le chef de la CGT réunifiée, Maurice Thorez décréta que les objectifs de ce mouvement étaient « purement économiques », et que toute autre interprétation ne pouvait être que le fait de provocateurs ou d’irresponsables. Après que, dans la nuit du 7 au 8 juin, les représentants du grand patronat eurent signé l’Accord de Matignon – qui prévoyait, entre autres, la semaine de 40 heures, les deux semaines de congés payés et une augmentation des salaires de 7 à 15 % – Thorez déclara : « Il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue ». Or, au même moment, de nouvelles grèves avec occupation éclataient, notamment dans les Grands Magasins parisiens. Mais les directions de la CGT, de la SFIO et du PCF parvinrent, au cours du mois de juin, à faire rentrer le mouvement dans le canal des « revendications économiques ». La grève s’estompa peu à peu – non sans que, dans certains cas, le Front Populaire ne mobilise la police pour mettre un terme aux « troubles ».
La classe dirigeante n’avait fait des concessions que parce qu’elle craignait de tout perdre. Cependant, la vague révolutionnaire passée, elle conservait toujours le contrôle de l’économie, et s’en servit pour reprendre d’une main ce qu’elle avait dû lâcher de l’autre. La mécanique parlementaire – avec son Sénat, son administration bureaucratique, etc. – lui permettait de saboter l’action gouvernementale. Par ailleurs, la fuite des capitaux menaçait le gouvernement Blum de banqueroute. Cédant à la pression, il procéda à une dévaluation du Franc, accentuant ainsi un mouvement d’inflation qui annula rapidement les augmentations de salaires consenties en juin 1936.
Faute de s’attaquer au pouvoir économique de la classe dirigeante, Blum fut condamné à l’impuissance et, en juin 1937, démissionna. Les gouvernements qui suivirent glissèrent toujours plus vers la droite. Les grèves étaient durement réprimées, notamment celles que déclencha, en novembre et décembre 1938, la remise en cause des 40 heures par le gouvernement du radical Daladier. Démoralisé et paralysé par ses propres dirigeants, le mouvement ouvrier fut entraîné sur la voie de la guerre, puis finalement atomisé par le régime de Pétain, en 1940.
« Révolution socialiste ou dictature réactionnaire » il n’y a pas d’autres perspectives. Hier comme aujourd’hui.
Il n’y aura aujourd’hui un succès de la gauche électorale et une application d’un, programme de gauche que s’il y a en même temps une préparation à la grève générale.

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