L’étrangeté de la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine

Par Yorgos Mitralias

Samedi 11 Juin 2022

L’étrangeté de la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine est probablement sans précédent historique, pour toute une série de raisons, dont la première est que, pour Vladimir Poutine, qui l’a conçue et lancée, il ne s’agit même pas d’une guerre, mais d’une simple opération militaire spéciale, et malheur au citoyen russe qui la mettrait en doute. En effet, quand dans l’histoire mondiale a-t-on vu quelqu’un jeté en prison pour quelques années juste pour avoir dit que la guerre était une guerre, tout en niant obstinément que les cochons peuvent voler ?

Ensuite, cette guerre est étrange, parce que la majorité de ceux qui se déclarent solidaires de la lutte du peuple ukrainien sont en même temps opposés à l’envoi d’armes qui permettraient à ce peuple de se défendre de manière un tant soit peu efficace. En d’autres termes, ils sont solidaires d’eux à condition qu’ils ne puissent pas se défendre et qu’ils se contentent du rôle de cadavre héroïque.

Mais les bizarreries de cette guerre, qui n’en est pas une, n’ont pas de fin. Par exemple, comment expliquer le fait, sans précédent dans l’histoire mondiale, que les deux pays en guerre n’ont pas les mêmes droits et qu’ils ne se battent donc pas à armes égales ? C’est-à-dire que, tandis que la Russie qui agresse a le droit d’avoir une force aérienne, l’Ukraine qui se défend n’a pas le droit d’avoir une force aérienne. La Russie a le droit de monopoliser le ciel de l’Ukraine, tandis que l’Ukraine qui se défend n’a que le droit de se faire arroser de bombes et de missiles tombés du ciel. Alors que la Russie peut avoir et utiliser des armes lourdes de toutes sortes et sans aucune restriction, l’Ukraine qui se défend ne peut utiliser que des armes défensives et aucune arme offensive. Alors que la Russie peut bombarder l’Ukraine en canonnant et en tirant des missiles depuis les territoires russes et biélorusses, il est expressément interdit à l’Ukraine de riposter en frappant des cibles à l’intérieur de la Russie et de la Biélorussie.

Mais, le plus étrange dans cette guerre, n’est pas que l’Ukraine ait été soumise à toutes ces restrictions scandaleuses de son droit inaliénable à se défendre comme elle l’entend. Le plus étrange est surtout que tous les gouvernements occidentaux et tous les médias occidentaux non seulement soutiennent ces restrictions, qui n’ont aucun précédent dans l’histoire des guerres, mais ils les présentent en permanence comme évidentes, allant de soi, indiscutables et incontestables. Le résultat de cette situation scandaleuse est que, lorsque Volodimir Zelensky ose défier l’une de ces restrictions, par exemple en demandant des avions pour protéger ses villes et leurs habitants, non seulement sa demande est instantanément rejetée, mais elle est également qualifiée d’inappropriée et de dangereuse.

La raison de ce traitement étrange de l’Ukraine par les ennemis, et surtout par les amis, s’est fait connaître progressivement, au fil du temps, et seulement à partir du moment où la possibilité d’un échec ou même d’une défaite de l’opération militaire spéciale russe a commencé à être envisagée. L’Ukraine n’a droit qu’à une défense de basse intensité contre l’invasion russe parce que le président Vladimir Poutine ne doit être ni vaincu ni humilié, et pas seulement cela. Les partisans de cette position qui ne sont pas seulement des réactionnaires avérés comme Viktor Orban ou le vieux zombie Henry Kissinger, mais aussi des démocrates néolibéraux plus présentables, comme tous les dirigeants occidentaux, Emmanuel Macron en tête, ne cessent d’affirmer avec une insistance croissante qu’il doit y avoir une porte de sortie pour Vladimir Poutine, une proposition qui lui permette de gagner quelque chose dans cette guerre, afin d’éviter d’affronter ses compatriotes les mains vides au moment du décompte final, pour qu’il ne soit pas évincé et pour qu’il reste au pouvoir, ce qui est d’ailleurs ce qu’ils souhaitent tous publiquement. Pour atteindre cet objectif, non seulement ils commencent à conseiller de plus en plus instamment à Volodimir Zelensky d’abandonner sa rigidité actuelle, de devenir plus réaliste et d’accepter de donner à Vladimir Poutine une partie de son pays, mais ils ont aussi le culot de commencer à discuter entre eux quelle partie de l’Ukraine ils pourraient céder, ces impérialistes occidentaux, à Vladimir Poutine, dans le dos des ukrainiens et de leur gouvernement.

Bien que nous ayons ici un cas carabiné de l’interventionnisme et du paternalisme impérialiste le plus scandaleux, il y a peu de militants de gauche qui osent faire ce qui va de soi, à savoir le dénoncer publiquement, comme il le mérite, et, malheureusement, sont encore moins nombreux ceux qui osent soutenir le droit encore plus évident et élémentaire des ukrainiens, qu’ils défendent bec et ongles, de se battre jusqu’au bout et par tous les moyens contre les envahisseurs russes, en décidant eux-mêmes librement, démocratiquement et sans aucune ingérence étrangère hostile ou amicale, de l’avenir de leur pays et des personnes qui y vivent.

En fait, un regard sur le passé très récent montre que l’attitude actuelle de l’occident envers la Russie n’est pas surprenante mais, contrairement à ce que pensent certains poutinistes plutôt naïfs, elle s’inscrit dans la continuité de sa position ferme en faveur du développement sans entrave de ses relations économiques avec ce pays, véritable eldorado pour ses capitalistes. En effet, rappelons-nous quelles ont été les premières réactions de tous les leaders occidentaux, Joseph Biden, Emmanuel Macron et Boris Johnson, dans les heures et les jours qui ont suivi l’invasion russe en Ukraine. Ils ont suggéré à Volodimir Zelensky de l’exfiltrer d’Ukraine, car eux-mêmes et les médias de leur pays croyaient fermement que l’occupation de Kiev, et du pays entier, par l’armée russe était une question de quelques jours.

Tout a changé lorsque Volodimir Zelensky a exhorté ses compatriotes à résister, en répondant à la proposition de Joseph Biden par une phrase désormais historique, « la bataille sera menée ici, en Ukraine. J’ai besoin d’armes et je n’ai pas besoin d’un taxi ». En effet, c’est parce que le peuple ukrainien a résisté et résiste encore bec et ongles, provoquant une vague de sympathie et de solidarité sans précédent dans l’opinion publique internationale, qu’il a de fait forcé les gouvernements occidentaux à faire quelque chose qui n’était pas dans leur agenda et qui était radicalement différent de la passivité dont ils ont fait preuve lorsque Vladimir Poutine a occupé et annexé la Crimée en 2014, soutenir l’effort de guerre de l’Ukraine et imposer des sanctions économiques de plus en plus sévères contre la Russie de Vladimir Poutine et contre ses oligarques.

Cependant, avec le temps, et surtout ces dernières semaines, nous sommes témoins des efforts de plus en plus intenses et orchestrés de la plupart des gouvernements occidentaux pour s’entendre avec Vladimir Poutine, quitte à entrer en conflit public avec Volodimir Zelensky, désormais contraint de dénoncer quotidiennement, voire nommément, les dirigeants occidentaux, Emmanuel Macron, Olaf Scholz et Mario Draghi, qui, mus, comme il le dit, par leurs intérêts économiques immoraux, flirtent désormais ouvertement avec Vladimir Poutine, alors même que celui-ci est en train de noyer l’Ukraine dans le sang et de la réduire en ruines.

Bien sûr, une bizarrerie supplémentaire de cette guerre est que tout cela semblera inconcevable et hors de question à la plupart de la gauche poutiniste et poutinisante qui aime découvrir chez l’obscurantiste super-réactionnaire Vladimir Poutine et son régime fascisant des vertus anti-impérialistes qu’ils n’ont pas et qu’ils ne peuvent pas avoir. Le résultat est que cette gauche se passionne pour une guerre en Ukraine qui n’a rien à voir avec la réalité.

L’occident nourrirait une haine mortelle de la Russie et de l’anti-impérialiste Vladimir Poutine qui serait bien dans son droit quand il veut dénazifier Volodimir Zelensky et ses ukrainiens. Quand la réalité ne convient pas à ses délires géopolitiques, cette gauche sait ce qu’il faut faire. Elle étend la réalité sur son lit de Procuste et elle la taille en conformité avec ses théories préconçues, n’hésitant pas à raconter les pires bobards. Comme elle l’a fait, par exemple, avec le combattant ukrainien d’origine grecque Mihalis du bataillon Azov, qui s’est adressé aux députés grecs lors du discours du président Volodimir Zelensky devant le parlement grec. Depuis le 7 avril 2022 et jusqu’à sa mort sur le champ de bataille, toute la gauche parlementaire et extra-parlementaire grecque, et avec elle tous les médias grecs, n’ont utilisé que le mot néo-nazi pour décrire ce Mihalis d’origine grecque.

Mais le malheureux Mihalis était-il vraiment un néo-nazi ? Nous devons admettre que nous ne savons rien des convictions politiques de Mihalis et nous supposons, plutôt raisonnablement, que tous ceux qui l’ont si facilement qualifié de néo-nazi ne savent rien non plus. La seule chose dont nous disposons pour nous faire une opinion, ce sont les quelques mots qu’il a adressés aux parlementaires grecs. Voici donc le texte du discours de Mihalis, que tous ceux qui lui ont collé l’étiquette de néo-nazi n’ont pas daigné publier, « je m’adresse à vous en tant que grec. Je m’appelle Mihalis, mon grand-père a combattu dans la guerre contre les nazis et il a été blessé trois fois. Je suis né à Marioupol et j’ai participé à la défense de la ville contre les nazis russes. Je ne parlerai pas des difficultés que rencontrent ceux d’entre nous qui participent à la défense ukrainienne par le biais du bataillon Azov, c’est mon devoir envers ma ville, mon devoir d’homme, mais je voudrais vous parler des conditions désastreuses dans lesquelles se trouve la paisible Marioupol. Une très grande partie de la ville est grecque et d’origine grecque et la Grèce a toujours été à ses côtés. Marioupol a été détruite à quatre-vingt-dix pour cent par les bombardements quotidiens des nazis russes. Depuis le premier mars 2022, la ville est encerclée par les nazis russes et nous sommes restés sans eau, sans électricité et sans nourriture pendant un certain temps. Compatriotes, nous avons une ville où des milliers de personnes vivent et où des milliers de personnes meurent, alors aidez-nous s’il vous plaît ».

Nous pensons que quelqu’un qui parle comme Mihalis ne semble pas être un néo-nazi. Mais, acceptons que nous ne sommes pas très impartiaux. Que devrait faire toute personne raisonnablement sérieuse et impartiale en entendant ce que dit Mihalis ? Au minimum, elle trouverait que quelque chose ne va pas dans la caractérisation de Mihalis comme néo-nazi et qu’elle devrait donc approfondir la question, se demander si ce qu’on lui dit est vrai, et bien sûr arrêter de coller l’étiquette de néo-nazi à Mihalis à la légère.

Malheureusement, rien de tout cela n’est arrivé. Au lieu de cela, a été préférée la solution habituelle du mensonge éhonté, sans tenir compte du fait que cela, outre la vérité historique, met en pièce la réputation et, maintenant après sa mort, la mémoire d’un courageux patriote ukrainien, tombé en défendant héroïquement sa ville.

Parlant de mensonges éhontés et de menteurs sans scrupules, voici un autre mensonge monstrueux de la Russie de Vladimir Poutine concernant un fait tragique qui n’a jamais été connu du public grec. Le 30 mai 2022, le journaliste et cameraman français Frédéric Leclerc-Imhoff de BFM Télévision a été tué lors du bombardement de civils qui tentaient de fuir leur ville dans le Donbass. Une heure à peine après sa mort, l’agence de presse russe Tass a rapporté que le journaliste français, âgé de trente-deux ans mais déjà vétéran, était en fait un mercenaire qui apportait des armes à l’armée ukrainienne. Nous concluons donc cet article en présentant la déclaration que la mère courage du journaliste français, victime d’un énième crime de guerre russe, s’est empressée de faire, pour la raison supplémentaire que nous la partageons totalement, « à l’attention de l’agence Tass et des responsables de la République Populaire de Lougansk (RPL), je suis la mère du jeune journaliste que vous avez tué le 30 mai 2022. Votre communiqué me donne la nausée. Bien sûr vous cherchez lâchement à vous dédouaner mais sachez que jamais vous ne réussirez à salir sa mémoire. Tout le monde ici connaît son engagement professionnel et personnel pour la démocratie, le respect humain et surtout une information libre, impartiale et honnête, toutes notions qui semblent bien éloignées de ce qui vous anime. Mes pensées vont à toutes les mères ukrainiennes qui pleurent leurs enfants, à tous les enfants ukrainiens qui pleurent leurs parents et à toutes les mères russes qui ont vu trop tôt leurs jeunes partir soldats, qui ne les reverront pas et qui se demandent pourquoi. Moi, au moins, malgré la douleur, je sais pourquoi mon fils est mort. Un jour, les véritables responsables de cette absurdité criminelle devront rendre des comptes ».

 

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