Partager cet article
“Nous vivons une crise de la biodiversité. Les espèces disparaissent plus rapidement aujourd’hui que ces dernières 65 millions d’années. Au moment donc où rien de moins qu’une météorite avait anéanti les dinosaures. Pire : ça s’accélère”. Voici les mots de Dave Goulson, professeur de biologie à l’Université du Sussex en Angleterre. Les insectes sont les premiers visés. Non seulement ils représentent les deux tiers des espèces animales que nous connaissons, mais surtout ils sont responsables par la pollinisation, du maintien en vie de nombreux autres organismes vivants.
L’agriculture à l’échelle industrielle et la pratique de la monoculture permettent de nourrir la planète, mais au détriment del l’environnement. Des mélanges de pesticides et d’engrais continuent à être répandus un peu partout dans le monde, des milliers d’hectares de terres vierges sont rasées pour être exploités à leurs tour… tout cela a de grosses conséquences sur l’appauvrissement des écosystèmes et de la biodiversité. Les industries chimiques et l’agrobusiness ne sont pas les seuls coupables. Le changement climatique a aussi sa part de responsabilité, s’accordent à dire les scientifiques. Mains dans la mains, ils échafaudent petit à petit un véritable désastre.
Pendant de longs mois, nous avons épluché les données scientifiques et le bilan est clair comme de l’eau de roche : les pesticides détruisent la faune, la flore et les humain.e.s en causant de multiples cancers ou mutations génétiques. Ils ont des conséquences sur la fertilité. Mais l’Europe n’a pas encore pris vraiment la mesure de son problème de dépendance avec les pesticides. Aujourd’hui, près de 400 composants de pesticides sont approuvés sur le marché européens. Les ventes mondiales de pesticides ont doublé ces vingt dernières années, en 2019 elles représentaient 52 milliards d’euros. Le marché européen de la vente de pesticides à usage agricole est l’un des plus importants dans le monde, avec près de 12 milliards d’euros de ventes en 2019.
L’Europe est également leadeuse mondiale en exportation de pesticides. Depuis 2018, seule la Chine a dépassé l’Allemagne en la matière. Dans la liste des plus gros pays distributeurs suivent la France, les États-Unis, la Belgique, l’Espagne et le Royaume-Uni.
Les acteurs et actrices de ce marché en expansion restent plutôt discret.e.s sur le sujet de la crise de la biodiversité. Mais c’est sans compter les citoyen.nes ordinaires qui ont réalisé quant à elles et eux, que les choses doivent changer. Plus d’un million d’Européen.nes se sont engagés dans le cadre de l’initiative “Sauvons les abeilles et les agriculteurs”, qui appelle à en finir avec les pesticides chimiques à l’horizon de 2035. De nombreuses collectivités locales en Europe, nous en avons rencontré certaines, tentent de transformer la façon de penser l’agriculture dans nos régions. Les agriculteurs.trices que nos reporters ont rencontré.e.s, de la Grèce à la Norvège, du Portugal à la Pologne, ont tous et toutes affirmé préférer réduire leur usage des pesticides… à la condition qu’il existe des alternatives abordables.
La commission européenne, quant à elle, a bien été obligée de considérer l’effondrement de la biodiversité. Il y a deux ans, la stratégie européenne “De la ferme à la fourchette” (Farm to Fork ou F2F) a été lancée pour permettre une agriculture européenne plus verte et durable, avec l’objectif de réduire l’usage des pesticides de 50% d’ici 2030. Le règlement SUR pour la réduction des pesticides, actuellement en discussion à Bruxelles, est un outil indispensable et sera la première loi européenne contraignante à s’attaquer frontalement au problème. Sa réussite sur le terrain est encore à prouver.
Face à cette stratégie, une opposition qui fait bloc formée par l’industrie pétrochimique et les groupes de lobbyistes de l’agrobusiness. C’est ce qu’ont montré nos recherches et nos discussions avec des ONG et des collègues spécialisé.e.s. Allié.e.s à des politicien.ne.s conservateur.trices et d’autres intérêts particuliers, ces derniers font tout pour que l’on reste sur un statu-quo. L’argument de la guerre en Ukraine a même été brandi par les opposants à toute régulation : selon eux réduire l’utilisation des pesticides est la pire des idées à mettre en place à un moment où la sécurité alimentaire est en jeu dans certaines parties du monde.
D’autres au contraire considèrent qu’il n’y a pas meilleur moment pour agir contre les pesticides et pour la protection de la biodiversité. L’entomologue Josef Settele prédit qu’en continuant avec notre fonctionnement agricole, c’est bien “la sécurité alimentaire de l’humanité future que l’on met en danger”.
Poster un Commentaire