Jets privés : la bamboche, c’est fini

Environmental activists protests calling for less air traffic took place on the tarmac at Paris-CDG airport.

Depuis quelques jours, un sujet monte dans les médias et sur les réseaux sociaux : l’interdiction des jets privés. C’est un exemple emblématique d’une question essentielle pour les prochaines années : alors que le 1% le plus riche de la population émet 70 fois plus de CO² que les 50% les plus pauvres, la lutte contre le changement climatique ne peut être déconnectée de la justice sociale. On vous explique pourquoi il faut interdire ces jets.

Alors que le gouvernement nous demandait au début de l’été de couper notre wifi la nuit ou de bien penser à éteindre les lumières, certains se sont posé beaucoup moins de questions en choisissant l’option jet privé.
Mais pourquoi ça énerve les écolos ? Parce que les jets privés sont un mode de transport extrêmement polluant (l’ONG Transport & Environment évalue ainsi qu’un passager pollue 5 à 14 fois plus en prenant un jet privé par rapport à un avion commercial), et que leur l’usage est réservé à une minorité de personnes ultra-riches dont le mode de vie irresponsable alimente la crise climatique.Depuis le début de l’été, le sujet fait parler de lui, en particulier grâce au compte twitter @IFlyBernard qui suit à la trace les avions privés appartenant à des personnalités  comme Bernard Arnault ou Vincent Bolloré qui multiplient les trajets, pendant qu’incendies, inondations et sécheresses font rage partout dans le monde.
Les entreprises et milliardaires ne sont pas les seuls visés: les “influenceurs” sont aussi concernés.

Retour en arrière

Vous souvenez-vous de la loi climat et résilience, débattue et votée il y a un an ? La question du transport aérien avait suscité beaucoup de débats. Alors que la Convention citoyenne pour le climat avait proposé une interdiction des vols intérieurs quand une alternative de moins de 4h existe en train, Greenpeace et de nombreuses autres associations demandaient d’aller encore plus loin pour renforcer l’impact climatique de cette mesure… Raté, le gouvernement et sa majorité parlementaire ont choisi de réduire à 2h30 en train la limite, ce qui ne concerne au final qu’une (toute petite) poignée de vols, et donc une baisse infime des émissions du secteur.
Mais figurez-vous que même dans cette situation, l’interdiction ne concerne pas les jets privés ! Un exemple de plus de la déconnexion de la réponse politique aux enjeux climatiques et de justice sociale…

Il faut interdire les jets privés

Pour Greenpeace, ce sont les secteurs et les grandes entreprises polluantes, ainsi que les ménages les plus aisés qui ont une empreinte écologique bien supérieure, qui doivent être mis à contribution en priorité pour réduire leur impact sur l’environnement.
Il n’est pas tolérable de faire peser la transition écologique surtout sur les plus précaires, qui ne sont pas les principaux responsables de la crise climatique. Rappelons que les 10 % des Français·es les plus riches ont une empreinte carbone de 25 tonnes CO₂e par an, contre 5 tonnes pour les 50 % les plus modestes. Alors que le gouvernement nous demande de couper notre wifi, l’État ne pourrait-il pas aussi s’assurer que l’effort des un·es et des autres pour l’environnement soit proportionnel à leurs moyens et à leur responsabilité dans la crise écologique ?

Qu’attendre du gouvernement ?

Face à l’interdiction des jets privés demandée par le député Julien Bayou, avec laquelle est d’accord Greenpeace, Clément Beaune, ministre délégué aux Transports, a pris la parole cet été en affirmant dans le journal Le Parisien : “Je pense qu’on doit agir et réguler les vols en jet privé”.

Comme nous vous l’expliquions plus haut, les jets privés n’auraient jamais dû échapper à la loi climat et résilience qui a été vidée de sa substance. D’ailleurs, la Convention citoyenne pour le climat avait également proposé une revalorisation de l’écotaxe sur les billets d’avion dans une logique de progressivité sociale et donc avec un niveau de taxe nettement plus élevé pour les jets privés.  Cette mesure, comme tant d’autres, avait été écartée par le gouvernement Macron.

Il est difficile de ne pas rester très sceptique face aux solutions que le gouvernement pourrait apporter en termes de “régulation”. Une régulation ne fera sens que si elle vise et permet une réduction effective des vols en jets privés. Ce gouvernement ne nous met pas à l’abri de mesures ridicules du type obligation de compensation carbone des vols en jets privés, qui ne changeraient rien au volume et à la croissance de ce type de transport aérien et de ses émissions.

Rappelons aussi qu’au-delà des jets privés, c’est l’ensemble du secteur aérien qui doit être contraint à prendre en compte l’enjeu clé de réduction du trafic : le volume et la croissance du trafic aérien et des émissions du secteur que nous avons connus jusque-là et qui sont projetés pour les prochaines décennies ne sont tout simplement pas compatibles avec les objectifs climat de l’Accord de Paris. Malheureusement, rien de sérieux n’a été engagé sur le sujet lors du précédent quinquennat Macron, ni proposé dans le cadre de son projet pour ce second quinquennat.

Jets privés : répondre aux arguments contre l’interdiction

Comme à chaque fois, vous allez entendre beaucoup d’arguments contre l’interdiction des jets privés. On vous aide à y répondre.

  • “Il ne servirait à rien de prendre ce genre de mesures juste au niveau d’un pays.”  Mais à ce rythme, rien ne sera fait, et la crise climatique va continuer de s’abattre sur nous. Prendre une telle mesure au niveau d’un pays peut au contraire être l’occasion de créer un débat au niveau supranational et dans d’autres pays ou régions, et de les engager à se lancer à leur tour.
  • “Ce n’est pas en s’attaquant aux jets privés qu’on résoudra la crise climatique et ça ne représente qu’une petite part des émissions globales.” Toutefois, cette part est en croissance et doit être analysée au regard du peu de personnes responsables de ces émissions dont nous allons pourtant tou·tes payer les conséquences. De plus, le Haut Conseil pour le Climat a encore rappelé dans son dernier rapport, que “le poids des symboles est largement documenté dans la littérature des sciences sociales, en tant que puissants facteurs de transformation structurelle pouvant accélérer la transition – ou la ralentir.”
  • Les jets privés peuvent remplir des missions d’intérêt général et donc il vaudrait mieux ne pas y toucher”. Mais une interdiction des jets privés pourrait évidemment s’imaginer avec des exceptions quand leur usage présente une utilité sociale, par exemple dans le cas d’urgences médicales.
  • “Demander l’interdiction des jets privés ne prendrait pas en compte l’enjeu social” : bien au contraire, c’est en niant les mesures à mettre en place que le gouvernement passe à côté de l’enjeu social, car il ne se donne pas les moyens d’anticiper et d’organiser la transition des travailleurs et travailleuses impactés.
    Et pour quel résultat ? Nous nous dirigeons tout droit vers une casse sociale bien plus violente car elle sera subie quand nous n’aurons définitivement plus le choix et que nous serons enfoncés bien trop loin dans la crise écologique.

Enfin, vous avez peut-être déjà entendu que “les avancées technologiques vont soi-disant nous permettre de faire voler des avions propres”. Ce refrain est hélas à prendre avec des pincettes : globalement, l’avion vert ne sauvera pas le climat. Hydrogène, carburant synthétique ou avion électrique, toutes ces “solutions” restent lointaines, hypothétiques et insuffisantes. Elles deviennent même dangereuses pour la lutte contre le changement climatique, si on se prive de solutions immédiates dans l’espoir de les voir advenir. Dans un contexte où il nous faut absolument miser sur la sobriété et réduire nos consommations d’énergie et de ressources naturelles pour résoudre la crise écologique, et où il va y avoir de la concurrence sur des ressources limitées entre les secteurs et les usages, faire voler des jets privés ne pourra vraiment pas être une priorité. Même dans l’hypothèse d’un carburant “vert”, il faudra a minima réguler très fortement l’usage de ce mode de transport.

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