Rishi Sunak, premier ministre du Royaume-Uni depuis le mardi 25 octobre, se trouve être de religion hindou et d’origines indo-tanganyikanes, et bien sûr les médias soulignent cette « première », mais celle-ci n’est qu’un produit dérivé du fait principal qui le caractérise socialement et politiquement : il est surtout le premier Premier ministre de Londres a être encore plus riche que la famille royale, cela notamment par le biais de son épouse, héritière de la 5° fortune indienne et d’un réseau d’entreprises dans l’informatique et les services. Il représente parfaitement la classe des capitalistes financiers qui ont voulu un Brexit faisant de Londres le premier paradis fiscal du monde, et qui savent se montrer intraitables envers les prolétaires en général, et les migrants d’Asie ou d’Afrique en particulier.
Rishi Sunak premier ministre, c’est avant tout un formidable déni de démocratie, un déni envers la démocratie parlementaire censée être ici dans sa patrie, elle-même. Car la vraie démocratie comme un minima de respect pour la propre institution britannique qu’est la Chambre des Commune exigeraient des élections immédiates. Mais celles-ci, au moment présent, verraient l’écrasement du parti conservateur et une large majorité absolue, plus qu’embarrassante pour ses dirigeants, du parti travailliste.
Cette situation de crise est supposée atténuer le tour aigu qu’a pris la crise les semaines précédentes, avec le mandat écourté de Liz Truss, qui avait voulu être la Margaret Thatcher du XXI° siècle. Elle aussi voulait faire de Londres le premier paradis fiscal du monde, mais en commençant par lui procurer la plus grande dette « publique » du monde du fait de la quasi suppression de la fiscalité sur les riches, ce qui produisit un effondrement boursier et monétaire, dont le sens est que le capital liquide et fictif mondial ne croit pas du tout, lui, à une telle possibilité aujourd’hui pour la plus vieille puissance impérialiste, bien affaiblie et fatiguée.
Et dans les deux jours suivant la démission de Liz Truss, le spectre d’un retour de Boris Johnson a sonné comme un gag supplémentaire indiquant le niveau de crise politique atteint par ce pays !
Rishi Sunak arrive donc au pouvoir contre le sentiment majoritaire, alors que la plus grande vague de grèves dans le pays, depuis Thatcher précisément, se produit pour la hausse des salaires contre l’inflation et la misère, et précisément juste après la déconfiture rapide (elle aurait été plus rapide encore sans la « trêve » des obsèques de la reine !) de la prétendue seconde Thatcher, alors que son programme est fondamentalement le même.
Il s’agit, en effet, de sauver le rang mondial de l’impérialisme britannique, en misant sur la financiarisation et l’insularisation tout à la fois, tache qui apparaît aujourd’hui comme impossible tant son affaiblissement structurel s’est accéléré depuis 2015.
Cette année-là, les élections législatives voient le passage quasi intégral de l’électorat travailliste écossais du Labour party au Scottish National Party : l’électrochoc que ceci produit dans le Labour voit l’élection à sa tête, que lui-même n’avait pas anticipé, de la vieille figure de la gauche « old labour », antérieure à Blair et Thatcher, Jeremy Corbyn, suivie de la résurrection temporaire du Labour comme parti ouvrier, le plus grand d’Europe, avec des centaines de milliers d’adhésions de travailleurs et de jeunes.
La grande manœuvre du premier ministre conservateur d’alors, James Cameron, devant le danger social pour les capitalistes que représentait cette poussée, fut le référendum sur le Brexit.
Le premier objectif de celui-ci fut parfaitement atteint : désorienter le Labour party qui venait de ressusciter, pour faire avorter cette résurrection. « En gros, Corbyn s’est prononcé pour rester dans l’UE tout en accréditant toutes les représentations « anti » européennes de la « vieille gauche » (qui sont les siennes), il a donc fait une campagne contre le Brexit mais à reculons, sans se présenter comme exigeant le pouvoir, la démission de Cameron, pour assumer la main tendue à tous les peuples du continent, par-dessus Bruxelles. C’est de ce moment que datent les difficultés politiques et le piétinement de Corbyn, qui n’ont pas cessé depuis, avec l’offensive calomnieuse visant à faire passer le mouvement ouvrier pour antisémite, mais offensive qui se nourrit de ses incompréhensions, atermoiements, représentations « campistes » du monde, et négligence coupable envers la réalité de la question antisémite. » (Aplutsoc, article de discussion, 24 mars 2019).
Mais avec la réalisation de cet objectif premier, se produisit aussi la victoire du Brexit au référendum de 2016, non voulu par Cameron et par les secteurs majoritaires du capitalisme britannique !
Pire encore, avec les votes anti-Brexit, c’est-à-dire anti-anglais, de l’Ecosse et celui de l’Irlande du Nord rouvrant de fait la question de la réunification nationale irlandaise, s’ouvrait une crise rampante du Royaume-Uni lui-même en tant qu’Etat unifié !
Le gouvernement de Theresa May, première ministre conservatrice qui succède à Cameron suite au Brexit, tente de prolonger en fait le statu quo sans le dire, tout en se voyant imposer par Francfort et Londres la prévision du passage de la frontière économique et douanière entre les îles de Grande-Bretagne et l’Irlande toute entière !
Le statu quo de crise fut brisé par le nouveau premier ministre Boris Johnson en 2019, alors allié du président US Trump et apologue du « Brexit dur », qui, s’appuyant sur l’institution monarchique, a suspendu les réunions du parlement pour imposer sa mise en œuvre. Le 23 mars, avait eu lieu à Londres, contre cette mise en œuvre, la plus grande manifestation de l’histoire britannique. Nous disions alors que « La vraie démocratie exige un parlement souverain en Angleterre, un choix souverain écossais et gallois quant à l’association de l’Écosse et du Pays de Galles avec l’Angleterre dans la Grande-Bretagne, et l’unité de l’Irlande reconnaissant l’égalité des droits de tous ses habitants. » L’incapacité de la direction Corbyn du Labour à se porter à la tête du combat démocratique allait lui couter un revers électoral en décembre 2019, pourtant tout relatif, mais qui a permis la reprise du parti par les bourgeois, qui en ont pratiquement suspendu le fonctionnement et asséché la base militante.
Les deux années de présidence – pardon, de gouvernement …- Johnson (juillet 2019-septembre 2022) ont vu la mise en œuvre effective du Brexit, la montée de la crise économique, la non résolution de questions irlandaise et écossaise, et l’épuisement politique des deux camps : le Labour, nous l’avons dit, sous la direction de Ken Starmer, véritable geôlier des capitalistes chargé de vider le parti ouvrier de son contenu, est mis au pas comme jamais, mais, d’autre part, l’espèce d’aspirant-Bonaparte qu’était en fait Johnson, pur représentant de la crise des classes dominantes britanniques dont il est issu, devenait, à travers ses frasques et ses oscillations, un premier ministère faible et décrié.
En effet, son « Brexit dur » effectif n’est jamais allé jusqu’à replacer la frontière avec l’Irlande sur terre, rouvrant ainsi la guerre avec la nation irlandaise : c’est là la pierre de touche, le Rubicon que Johnson n’a pas osé franchir. Mater les Communes, battre le Labour, soit, mais aller jusque-là, pour réaffirmer la puissance britannique, il n’a pas pu, s’installant dans une guérilla stérile et interminable avec « Bruxelles » (en fait Francfort et Paris) … comme avant le Brexit !
Si la classe ouvrière n’avait pas réussi à se redonner un parti en reconquérant son vieux parti, la classe capitaliste n’avait pas réussi à se redonner un leadership fort à même de lutter à l’intérieur contre les travailleurs, à l’extérieur contre les concurrents, pour réaffirmer un impérialisme britannique désormais financier et rentier, ce qui est impossible.
Tels sont les paramètres de la crise actuelle. C’est cela qui confère toute leur importance aux vagues de grèves qui balaient le pays depuis l’été 2022. Elles n’ont pas directement produit la chute de Johnson et le fiasco de Truss, fruits de la crise au sommet, de la crise de représentation et de cohérence du capital britannique, mais elles en ont fourni l’arrière-plan décisif. Ce sont, bien entendu, des grèves économiques.
Mais plus que jamais, après l’échec de l’expérience Corbyn, c’est de politique qu’elles ont besoin, c’est la politique qu’elles appellent. L’erreur serait de répéter toujours la même chose : vouloir simplement un peu plus de grèves et une reconstitution d’une gauche du Labour, ou interne/externe, refaisant un courant réformiste de gauche, réessayant de faire une « gauche radicale », avec l’espoir de gagner un jour les élections, cela ne suffira pas et conduira à des échecs sans cesse un peu plus démoralisants et piteux.
On ne fera rien sans politique, ce qui veut dire : sans mise en cause du campisme (parti pris en faveur des puissances soi-disant « anti-impérialistes ») qui fut un élément décisif de l’échec du corbynisme et qu’avive plus que jamais la guerre impérialiste de la Russie contre l’Ukraine, et sans prise en main de la question du pouvoir politique et de la démocratie contre le Royaume-Uni avec la mise en discussion de perspectives et de mots d’ordre portant sur une vraie démocratie, une assemblée souveraine, une rediscussion des fondements de la Grande-Bretagne et une réunification irlandaise reconnaissant les droits spécifiques des minorités en Irlande du Nord. C’est avec cet armement qu’il faut, tout de suite, appuyer les grèves, affronter Sunak et exiger des élections immédiates !
VP, le 26/10/22.
Poster un Commentaire