ÉTAT D’URGENCE AU PÉROU : 7 MORTS DANS LES MANIFESTATIONS, UN PAYS AU BORD DE L’IMPLOSION

Depuis plusieurs semaines, de nombreuses manifestations et blocages frappent le Pérou suite à l’appel d’organisations indigènes, des syndicats agraires et ouvriers, des mouvements sociaux paysans, ainsi que d’une partie de la gauche.
Tous ont appelé conjointement à un mouvement de grève générale et illimitée depuis le mardi 13 décembre. La violence de la répression de ces mobilisations aurait fait au moins sept morts dont trois adolescents âgés de 15 et 16 ans.
Les manifestants réclament la libération de l’ancien président Pedro Castillo, membre du parti marxiste Pérou Libre, actuellement incarcéré pour une tentative de « coup d’état ».
Cette accusation survient après que ce dernier ait tenté de dissoudre le congrès, assemblée majoritairement tenue par la droite conservatrice.
Dans plusieurs provinces, l’état d’urgence a été décrété, plus particulièrement dans l’Abancay. Plusieurs palais de justice ont été incendiés.
Les villes de Cusco dans le Sud-est, Trujillo Arequipa (deuxième ville du pays) sont particulièrement touchées par ces révoltes.
La capitale Lima et ses environs semblent pour le moment épargnés.
A l’inverse, dans le Nord et le Sud du pays ainsi que les Andes se multiplient les actions : blocages d’aéroport, de routes, ou encore du Machu Picchu.
Que se passe t’il ?
Le Pérou a pour particularité d’être monocaméral, c’est à dire que le pouvoir législatif n’est régi que par une seule assemblée/chambre dans laquelle se répartissent les élus des 26 circonscriptions ayant franchi le seuil des 5 %.
Le président actuel avait obtenu la présidence avec une très faible avance : 50,1% contre Keiko Fujimori, fille de l’ancien autocrate autoritaire Alberto. Cependant ce score ne lui permet pas d’acquérir la majorité au congrès.
Accusé d’une tentative de coup d’État après avoir voulu dissoudre le parlement, l’ancien président a été arrêté et remplacé par sa suppléante Dina Boluarte, membre du même parti et de la même coalition qui l’a désavoué et a reconnu cette dissolution comme une tentative de coup d’état.
Après avoir remanié un gouvernement fourre-tout « d’union nationale » et nommé le procureur de centre-droit Pedro Angulo Arana en tant que premier ministre, l’ancienne vice-présidente devenue cheffe d’état, a pris la décision d’avancer à 2024 la date des prochaines élections initialement prévues en 2026.
Une mesure jugée insuffisante pour les partisans de Castillo qui demandent sa libération immédiate et son retour à la présidence.
Les chefs d’états du Mexique, d’Argentine, de la Colombie et de Bolivie lui ont apporté un soutien commun, estimant que le président arrêté alors qu’il tentait de rejoindre le Mexique, faisait face depuis le début de son élection en 2021 à un mouvement d’opposition « hostile et anti-démocratique ».
De son côté l’ONU se dit « préoccupée par le fait que la situation pourrait s’aggraver davantage » et appelle « toutes les personnes concernées à faire preuve de retenue ».
Pour essayer de comprendre de quoi il s’agit, revenons brièvement sur le contexte dans lequel interviennent ces événements .
Le Pérou est un pays de 33 millions d’habitants, c’est le troisième plus grand pays d’Amérique du Sud.
La majorité de la population est « métis » ou indigène, et 15 % serait blanche ou en tout cas d’ascendance très majoritairement européenne. Les cultures de différents peuples indigènes y sont profondément ancrées. Le Quechua est la seconde langue après l’espagnol et représenterait plus de 13% de locuteurs.
Les secteurs phares de l’économie péruvienne sont l’agriculture (avocats, cacao, café, la pêche, deuxième producteur mondial derrière la Chine) et le secteur minier (plomb, cuivre, or, fer zinc, phosphates etc…).
Le pays a traversé de nombreuses crises et été en proie à une situation de guerre civile durant les années 80 et 2000 opposant des guérillas au régime. Ce conflit aurait causé la mort de 70 000 personnes en l’espace de vingt ans.
A l’issue de ce conflit, le Pérou se retrouve encore plus fragilisé par des années d’ingérences et de politiques libérales. Il est également marqué par la brutalité et la corruption d’Alberto Fujimori, condamné pour de multiples atteintes graves à l’encontre des droits de l’homme.
S’ensuivent des décennies d’instabilité politique marqués par une succession de chefs d’Etat inefficaces et tous frappés par des scandales de corruption dont le plus récent est lié à l’affaire du géant brésilien Odebrecht. Depuis 2016, on dénombre trois présidents différents qui se sont succédés, et donc une instabilité politique grandissante.
A la sortie du Covid, l’INEI estime que 3,6 millions de péruviens ont quitté la classe moyenne en 2020. Aujourd’hui, avec l’inflation, 16,6 millions des habitants vivent dans la pauvreté et un quart du pays serait en insécurité alimentaire “modérée” (rapport banque mondiale).
C’est dans ce contexte qu’a été élu Castillo.
Instituteur issu d’un milieu très pauvre, en décalage total avec les élites de Lima.
Son ascension politique commence avec un mouvement social au sein de l’éducation nationale.
Il plaide notamment la nationalisation des ressources, l’aide pour les plus précaires, et une réforme législative globale, estimant la dernière constitution en date de 1993 comme largement défavorable à la population, creusant les inégalités dans un pays particulièrement pauvre.
Sa destitution pour « incapacité morale », a été diffusée en direct à la télévision, approuvée par 101 parlementaires dont 80 de l’opposition sur 130 pour “conspiration et rébellion ».
Les accusations de corruption à son encontre paraissent cependant hypocrites alors que 60 parlementaires du congrès sont actuellement poursuivis et font l’objet d’une investigation pénale et fiscale (source France Info).
Cette procédure a déjà permis la démission des deux anciens présidents de droite Martín Vizcarra, puis Pedro Pablo Kuczynski en 2018 et 2020.
Si la corruption est à l’échelle de toute la classe politique un fléau endémique, il est important de préciser que la marge de manœuvre du président pour lutter contre la corruption et mettre en place sa politique sociale est largement restreinte par le congrès.
Une fois encore, comme dans toute l’Amérique du Sud, nous assistons à une polarisation entre gauche anti-impérialiste et libéralisme, sur fond d’influence américaine.
Un récent sondage réalisé en Novembre fait état d’un mécontentement et d’un rejet massif de la part des péruviens à l’encontre de la politique du congrès, partagé par plus de 86% de la population. (source Le Temps)
Si l’impérialisme américain se réjouit de la décision du congrès, l’ancien président bénéficie visiblement d’un soutien très fort notamment chez les communautés indigènes et les classes populaires.

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