Des agents de l’ INSEE sur la réforme des retraites

Bonjour ,

Ci-dessous  et en pj , une analyse de la réforme des retraites par des gens qui bossent … à l’ INSEE .
Bonne lecture

nalyse Retraites

 Nous sommes des agents de l’Insee, l’Institut national de la statistique et des études économiques, mobilisés contre la réforme des retraites du gouvernement.

Sans prétendre être les « gardiens de la vérité » [1] – rôle auquel voulait nous assigner, de façon grandiloquente, Bruno Le Maire lors de l’inauguration du nouveau site de l’Insee à Montrouge – nous considérons que le rôle de la statistique publique est d’éclairer le débat public et d’apporter aux citoyens des éléments de compréhension des enjeux sociaux et économiques.

C’est ce que nous faisons ici, dans la continuité des travaux entrepris en 2019 et 2020 [2], en produisant un nouveau « Analyse Retraites » dans le but d’éclairer le débat autour de la réforme.

Par le comité de mobilisation de la direction générale de l’Insee, soutenu par les sections CFDT, CGT, FO, SUD

Pour la version intégrale avec les graphique en PDF

https://mail.google.com/mail/u/0/?tab=rm&ogbl#inbox/WhctKKXpVgQjhfcqjtMdHzdRfjMJxGBhjgWFcKTmWzKHWTlBhtdxVGQRNhpMFhTxgZGwtjL?projector=1&messagePartId=0.1

N°3 – février 2023

Les gains de productivité compensent très largement le vieillissement de la population

Le report de l’âge de départ à la retraite est justifié par le gouver- nement sur le ton de l’évidence : la population vieillit donc, mécani- quement, le ratio entre le nombre d’actifs cotisants et de retraités diminue. Par conséquent, pour limiter la baisse de ce ratio, nous devrions rester en emploi plus longtemps.

Si ce raisonnement apparaît valable sur le strict plan démo- graphique, il  exclut  totalement de l’analyse la production de valeur économique et les gains de productivité réalisés depuis plus de 50 ans. En effet, depuis 1960, le nombre de cotisants pour un retraité a été divisé par 2,4 (4 coti- sants assuraient la pension d’un retraité contre 1,7 aujourd’hui), mais la productivité horaire du travail et le Produit Intérieur Brut (PIB) ont été multipliés par plus

de 5     figure 1. En outre, parmi

les actifs, il y a beaucoup de chômeurs. S’ils travaillaient, ils créeraient des richesses supplé- mentaires (par exemple : services de santé, d’éducation, rénovation thermique des bâtiments, alimen-

Figure1.

tation, nouveau type d’industrie, etc.)

Illustrons par un exemple simple ce que permettent ces  gains de productivité. Considérons

100 personnes en 1960 : nous

avons 80 actifs cotisants et 20 retraités (un rapport de 4 coti- sants pour 1 retraité). Chaque actif travaille 45 h par semaine et produit une unité de biens en une heure. Les 80 actifs produisent donc chaque semaine 80×45×1

= 3 600 unités de biens. Chaque personne peut donc bénéficier en moyenne de 360 unités de biens (on supposera une répartition égalitaire).

Aujourd’hui, pour 100 personnes, nous avons désormais 63 coti- sants et 37 retraités  (un  rapport de 1,7 cotisant pour 1 retraité). Dans le même temps, la produc- tivité horaire a été multipliée par 5 et le temps de travail hebdo- madaire est de 35 h. Les 63 actifs produisent donc chaque semaine 63×35×5 = 11 025 unités de biens. Dès lors, malgré la baisse du temps de travail et le vieillissement de la population, chacun peut recevoir en moyenne 1 100 unités de biens, soit plus de trois fois plus qu’en 1960. Cette évolution de la produc- tivité rend donc inutile tout report de l’âge de départ à la retraite pour compenser le vieillissement de la population et maintenir un niveau de vie croissant. Cette nouvelle réforme de la retraite est donc bien une décision purement politique, non nécessaire économiquement.

La part du PIB consacrée aux retraites stagne depuis 10 ans, et elle baisserait même à l’avenir sans réforme, malgré l’augmentation du nombre de retraités

La part du PIB consacrée au finan- cement des retraites stagne depuis 10 ans autour de 14 % alors même que  les  retraités  représentent une part croissante de la popula-

tion figure 2 Dans son dernier rapport annuel [3], le Conseil d’orientation des retraites (COR) présente quatre scénarios d’évo- lution fondés sur de nombreuses hypothèses, portant notamment sur la croissance et la producti- vité. Dans trois scénarios, la part des dépenses de retraite dans le produit intérieur brut (PIB) baisse- rait dans les prochaines années. Dans le quatrième scénario, cette part resterait proche du niveau actuel, légèrement croissante, entre 14 % et 15 % du PIB.

En outre, les calculs du COR se basent sur des projections d’es- pérance de vie qui prolongent la tendance croissante de long terme. Or,  l’espérance  de  vie  plafonne

depuis quelques années      figure 3 et rien ne garantit malheureuse- ment qu’elle progressera de façon significative dans les années à venir. À titre de comparaison, l’es- pérance de vie s’effondre sensi- blement aux États-Unis depuis 2019, jusqu’à retrouver son niveau

de 1996    figure 3. Quant à l’es-

pérance de vie en bonne santé

Figure 2.

Figure 3

(65,9 ans chez les femmes et 64,4 chez les hommes en 2020, ce qui en fait un indicateur pour lequel la France est assez mal classée), sa progression se fait de plus en plus fragile.

Ainsi, dans chacun des scénarios du COR, le « coût » des retraites est très probablement surestimé, ce qui laisse présager que toute réforme supplémentaire baisse- rait encore davantage la part du PIB consacrée aux dépenses de retraite.

Analyse Retraites – Comité de mobilisation de la DG Insee

Les réformes précédentes ont déjà dégradé le niveau de vie des retraités et le taux de remplacement des salaires

Cette stagnation, voire baisse, à venir des dépenses de retraites relativement au PIB s’explique notamment par l’ensemble des réformes prises depuis 1993 (encadré), qui ont toutes conduit à une réduction des droits à pension. En effet, les reports de l’âge de départ et l’allongement de la durée de cotisation pour pouvoir bénéfi- cier du taux plein ont nettement dégradé les taux de remplace- ment : au fil des générations (de 1936 à 1946), les taux de rempla- cement  médians  diminuent  de 7,3 points dans le public et de 3,4 points dans le privé [4]. La désin- dexation des retraites par rapport aux salaires (depuis 1993) et même ces dernières années par rapport aux prix, affecte durablement le niveau des pensions. Entre 2015 et 2020, les pensions de retraite du régime général n’ont augmenté en moyenne que de 0,4 % par an alors que l’inflation était en moyenne de 1 % [5].

Une évaluation des seules mesures prises entre 2010 et 2015 [6] montre par  ailleurs  qu’elles  ont eu pour effet de réduire de deux ans la durée moyenne passée en retraite et  de  diminuer  le  total des pensions perçues de 4,5 % en moyenne pour la génération 1980. Le projet de réforme actuel du gouvernement s’inscrit donc claire-

Figure 4

ment dans cette lignée, en ce qu’il vise à réduire davantage le temps passé à la retraite et les montants de pensions versés.

Le patronat contribue de moins en moins au financement de la protection                          

sociale

Jusqu’au début des années 1990, les cotisations sociales assises sur les revenus d’activité représen- taient environ 80 % des recettes de la protection sociale. Cette part a été drastiquement réduite au cours des trois dernières décennies, principalement sous l’effet d’exonéra- tions successives de cotisations patronales et de la montée en puis- sance de la Contribution Sociale Généralisée (CSG). La part des coti- sations patronales dans le finan- cement  de  la  protection  sociale a ainsi baissé de 16 points entre

1990 et 2020   figure 4.

Ce désengagement du patronat a induit un report du financement de la protection sociale sur les ménages, au travers d’impôts et de taxes dont l’assiette de prélè- vement porte essentiellement sur les salaires et les pensions (CSG, CRDS) ainsi que la consom-

Analyse Retraites – Comité de mobilisation de la DG Insee

mation (taxes sur les tabacs et alcools par exemple). En outre, le budget de l’État a dû compenser la plupart des allègements de coti- sations patronales en utilisant des ressources qui auraient dû contri- buer au financement des services publics.

Alors que la part des dépenses consacrées aux retraites ne semble pas vouée à s’envoler dans les années à venir, l’apparition d’un éventuel déficit des régimes de

retraite  repose  pour  beaucoup sur l’assèchement des recettes de la Sécurité sociale. Or, une hausse très modérée des cotisations patronales, sans même envisager la suppression de toutes les exoné- rations  de   cotisation   (estimées à 90 milliards d’euros  en  2019 [7]), permettrait non seulement d’éviter l’apparition d’un déficit, mais de revaloriser  les  pensions et d’abaisser l’âge de départ à la retraite.

Analyse Retraites – Comité de mobilisation de la DG Insee                                                                                                                                                                                                                  Contact :

Comité de mobilisation de la Direction Générale de l’Insee comite-de-mobilisation-insee-dg@protonmail.com https://mobile.twitter.com/ComiteDg

Sources

[1] https://lentreprise.lexpress.fr/actualites/1/actualites/bruno-le-maire-souligne-le-role-de-l-insee-pour-la-
democratie_2043331.html

[2] Comité de mobilisation de la DG de l’Insee, Analyse Retraites n°1 de décembre 2019, n°2 de février 2020, Infos Retraites
Hors série de février 2020
[3] Rapport annuel du COR de septembre 2022, https://www.cor-retraites.fr/node/595

[4] Drees, Le taux de remplacement du salaire par la retraite diminue au fil des générations, 2016, https://drees.solidarites-
sante.gouv.fr/publications/etudes-et-resultats/le-taux-de-remplacement-du-salaire-par-la-retraite-diminue-au-fil

[5] Drees, Les retraités et les retraites – édition 2022, La revalorisation des pensions individuelles, https://drees.solidarites-
sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-05/04-La_revalorisation_des_pensions_individuelles.pdf

[6]Drees, Les réformes des retraites de 2010 à 2015 – Une analyse détaillée de l’impact pour les affiliés et pour les

régimes, 2016, https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/les-dossiers-de-la-drees/les-reformes-des-retraites-
de-2010-2015-une-analyse-detaillee

[7] Cour des comptes, Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, octobre 2019, https://www.
ccomptes.fr/fr/publications/securite-sociale-2019
Définitions
Un actif est une personne en emploi ou en recherche active d’emploi (chômeur). Un actif cotisant est une personne
qui cotise à un régime de retraites, donc en emploi (les chômeurs peuvent valider des trimestres mais ne cotisent
pas).
L’espérance de vie en bonne santé, appelée aussi espérance de vie sans incapacité, évalue à la naissance le nombre
d’années qu’une personne peut compter vivre sans souffrir d’incapacité dans les gestes de la vie quotidienne.
Le niveau de vie est défini comme le revenu disponible des ménages (salaires, allocations chômage, pensions,
revenus du patrimoine, prestations sociales moins cotisations sociales et impôts directs) rapporté au nombre d’unités
de consommation (1 UC pour le premier adulte, 0,5 pour les autres personnes de 14 ans ou plus, 0,3 UC pour les
enfants de moins de 14 ans).
La productivité horaire du travail correspond à la valeur ajoutée en volume par heure travaillée. C’est une mesure
de l’efficacité productive du travail. Les gains de productivité mesurent la croissance de la productivité horaire du
travail.
Le produit intérieur brut (PIB) correspond à l’ensemble de la valeur ajoutée créée en France dans les entreprises,
services publics et autres secteurs institutionnels.
Le taux de remplacement est le rapport entre le montant de la pension et le dernier salaire, en pourcentage du
dernier salaire.
mation (taxes sur les tabacs et
alcools par exemple). En outre, le
budget de l’État a dû compenser

la plupart des allègements de coti-
sations patronales en utilisant des

ressources qui auraient dû contri-
buer au financement des services

publics.
Alors que la part des dépenses
consacrées aux retraites ne semble
pas vouée à s’envoler dans les
années à venir, l’apparition d’un
éventuel déficit des régimes de

retraite repose pour beaucoup
sur l’assèchement des recettes de
la Sécurité sociale. Or, une hausse
très modérée des cotisations
patronales, sans même envisager

la suppression de toutes les exoné-
rations de cotisation (estimées

à 90 milliards d’euros en 2019
[7]), permettrait non seulement
d’éviter l’apparition d’un déficit,
mais de revaloriser les pensions
et d’abaisser l’âge de départ à la
retraite.

Encadré : bref résumé des principales « réformes » des retraites depuis 1993
1993 : La réforme Balladur prévoit, pour les salariés du privé, l’allongement progressif de la durée de cotisation de 37,5 à 40
années pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Le salaire de référence servant de base pour le calcul de la pension est calculé
progressivement sur les 25 meilleures années et non plus les 10 meilleures. Enfin, les pensions sont indexées sur l’évolution de
l’indice des prix à la consommation et non plus sur l’évolution générale des salaires
2003 : La réforme Fillon prévoit l’alignement progressif de la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle des salariés du privé (de
37,5 ans à 40 ans) et, à partir de 2009, l’allongement progressif de la durée de cotisation pour tous afin d’atteindre 41 ans en 2012. Le
dispositif de la décôte est étendu aux fonctionnaires
2010 : La réforme Woerth relève progressivement l’âge minimum légal de départ à la retraite pour atteindre 62 ans en 2018 (le
calendrier sera accéléré et le passage à 62 ans se fera en 2017). L’âge à partir duquel il est permis à un assuré, n’ayant pas la durée de
cotisation requise, de bénéficier d’une retraite à taux plein, passe progressivement de 65 à 67 ans. Un nouvel allongement de la durée
de cotisation est décidé (41,5 ans pour la génération 1956)
2014 : La réforme Touraine relève d’un trimestre tous les trois ans, de 2020 à 2035, la durée de cotisations pour atteindre 43 ans pour
les générations 1973 et suivantes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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