Mégabassines : les raisons de la colère

Mégabassines

Gâchis d’eau, logique productiviste dépassée, gigantisme absurde, débauche autoritaire d’argent public… Pour leurs opposants, les mégabassines ont toutes les raisons de ne pas être construites.

Des milliers de personnes sont attendues ce samedi 25 mars dans les Deux-Sèvres afin de s’opposer aux mégabassines. Reporterre fait le point sur les raisons de la contestation.

  • Un gigantisme néfaste

Une retenue d’eau à perte de vue de 241 000 mètres cubes sur 5 hectares. L’équivalent d’environ 80 piscines olympiques. Sauf que personne n’aurait envie d’y faire quelques longueurs. Tapissée de plastique et remplie en pompant dans la nappe phréatique, la mégabassine de Mauzé-sur-le-Mignon doit servir à irriguer les exploitations d’une quinzaine d’agriculteurs.

Opérationnelle depuis le 17 février, c’est la première des 16 retenues agricoles dont la construction est prévue sur le périmètre du bassin de la Sèvre niortaise. Le tout pour un stockage de 6 729 443 m³. Un gigantisme critiqué par les opposants. « Nous ne sommes pas contre les retenues d’eau car nous en avons besoin pour l’agriculture. Mais nous dénonçons leur taille », expliquait Thomas, paysan-boulanger condamné pour sa participation à la manifestation contre cette mégabassine.

Ces réservoirs empiètent également sur les terres agricoles. Selon la Confédération paysanne, leur développement entraînerait une spéculation sur les prix, rendant de plus en plus difficile l’accès au foncier.

  • De l’eau qui va croupir et s’évaporer

Imaginez une piscine abandonnée par ses propriétaires. Une eau croupissante et verdâtre, dans laquelle des algues se seraient développées. On parle alors d’eutrophisation de l’eau : un processus d’accumulation des nutriments dans un écosystème. C’est un phénomène naturel causé par plusieurs facteurs : la hausse des températures, un ensoleillement important, une absence de courant. Exactement la situation des mégabassines : un véritable bouillon de culture où se plaisent les algues, notamment certaines cyanobactéries qui représentent un risque pour la santé humaine.

Autre défaut de cette eau stagnante : son évaporation. Christian Amblard, spécialiste des systèmes hydrobiologiques, directeur de recherche honoraire au CNRS, estime la perte entre 20 et 60 %.

Une mégabassine en Charente-Maritime (image d’illustration). © Nature Environnement 17

Dans l’autre camp, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) parle de 7 %. Des études menées sur les lacs de l’Ouest américain varient entre 20 % et 60 % des flux entrants. Quels que soient les chiffres, les opposants sont unanimes : pomper de l’eau souterraine pour l’exposer à l’évaporation et à diverses pollutions est une absurdité.

  • La monoculture de maïs

Maïs, luzerne et mélanges fourragers pour nourrir vaches, chèvres et autres ruminants l’hiver. Telles sont les cultures qui devraient être irriguées par ces mégabassines assure la Coop de l’eau, instigatrice du projet. Les opposants dénoncent, eux, un accaparement de la ressource au profit d’une monoculture de maïs.

Car la région Nouvelle Aquitaine produit un tiers du maïs français. Soit en moyenne 4,5 millions de tonnes par an, dont une partie est exportée (entre 1 et 2 millions de tonnes) et une autre partie sert à l’alimentation animale ainsi qu’au bioéthanol, selon une enquête de Basta. La Confédération paysanne dénonce ainsi un accaparement de l’eau au profit d’une agriculture intensive et exportatrice, bien loin du chemin vers une souveraineté alimentaire.

  • Un « 49.3 écologique »

« Un 49.3 écologique est à l’œuvre dans le Poitou. » Ces mots sont ceux de Nicolas Girod, porte-parole de la confédération paysanne. Lors d’une réunion sur le sujet à l’Assemblée nationale, il a dénoncé « un déni démocratique » et « une impossibilité de dialogue » avec les promoteurs des mégabassines.

De son côté, la Coop de l’eau met en avant les réunions publiques, un protocole d’accord ainsi qu’une gouvernance collégiale et transparente de la ressource.

La rigueur des arguments scientifiques justifiant la construction des bassines ne fait pas l’unanimité. © Valentina Camus / Reporterre

Les militants assurent avoir tout fait pour se faire entendre : des pétitions, des dizaines de recours en justice, des manifestations pacifiques. Faute d’être écoutés, ils sont passés à la vitesse supérieure. Durant les dernières mobilisations, des « désarmements » ont eu lieu comme à Mauzé-sur-le-Mignon où la pompe a été démontée et les vannes ouvertes afin de vider la bassine.

  • Des millions d’euros d’argent public

74 millions d’euros. Voici le prix des 16 mégabassines réparties dans les Deux-Sèvres. Une facture financée à 70 % par de l’argent public. Or, ces ouvrages ne serviraient qu’à une minorité d’agriculteurs, selon les opposants.

Ils rappellent qu’en France, seules 7,3 % des surfaces agricoles sont irriguées. De son côté, la Coop de l’eau assure que 220 exploitations agricoles seront reliées aux mégabassines pour 500 agriculteurs (sur les 847 agriculteurs des 62 communes du bassin Sèvre-Mignon) .

  • L’incertitude scientifique

Quelles conséquences ces ouvrages auront-ils sur les cours d’eau asséchés et les terres assoiffées ? Le débat fait rage auprès des scientifiques. En juillet dernier, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) assurait que les prélèvements hivernaux réalisés pour remplir ces réservoirs n’auraient qu’un impact négligeable sur les nappes phréatiques. Quelques mois plus tard, les opposants publiaient un autre rapport dénonçant des marges d’erreurs ainsi qu’une impasse : les conséquences du réchauffement climatiques sont totalement absentes du dossier du BRGM.

« Un modèle agricole qui répond de moins en moins aux enjeux écologiques »

Ces derniers mois, plusieurs hydrologues sont montés au créneau pour dénoncer l’absurdité de ces retenues d’eau. Mais les outils manquent pour évaluer précisément leurs effets sur la biodiversité et le cycle de l’eau. « Un des constats a été que les services de l’État sur les territoires, notamment les DDT [Directions départementales des territoires], étaient démunies en termes de méthodes et d’outils pour évaluer les effets des retenues déjà présentes sur les bassins versants et si nous avions déjà dépassé le seuil préoccupant pour le milieu », explique Nadia Carluer au site Actu Environnement.

  • Une logique productiviste dépassée

Un immense réservoir qui se remplirait comme par magie et dans lequel on pourrait puiser toute l’eau voulue en cas de sécheresse. Les mégabassines entretiennent l’idée d’une ressource infinie et facilement utilisable. Une illusion dénoncée par les opposants.

« Les bassines sont un artifice de plus pour perpétuer un modèle agricole qui fait disparaître les paysans et qui répond de moins en moins aux enjeux écologiques et climatiques. Elles enferment dans un modèle d’industrialisation et d’agrandissement », assure Nicolas Girod, de la Confédération paysanne.

Au lieu de stocker l’eau dans un réservoir tapissé de plastique, une partie du monde agricole estime qu’il faudrait plutôt repenser des pratiques plus sobres. Comme l’irrigation au goutte-à-goutte ou la sélection de variétés plus résistantes aux sécheresses. Une transition écologique qui ne relève pas de la science-fiction et qui est déjà mis en œuvre par certains paysans du marais poitevin.

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