Alors, ce congrès de la CGT ?

aplutsoc – Avr 9

Un peu plus d’une semaine après, il est clair qu’à une échelle de masse, le congrès de la CGT et son issue sont appréciés positivement, dans le sens de la lutte et de l’unité contre Macron et pour le retrait de sa loi anti-retraites. C’est là un premier point, essentiel.

Mais il importe, si cette impression est justifiée – et elle l’est – de bien comprendre ce qui s’est passé à ce congrès, et là, les interprétations militantes et des divers courants sont généralement empreintes de la plus grande confusion, qu’on dise que les partisans d’une CGT plus « combative » auraient perdu à l’arraché le congrès, ou qu’on dise que les partisans d’une CGT plus « ouverte » l’aurait perdu aussi, et les diverses combinaisons de ces types de commentaires chèvre-chou.

Ce congrès fut agité, avec ses moments de chausse-trappes et de violences inadmissibles. Il s’est déroulé « en roues libres » – (un « congrès de bout en bout non maîtrisé », commentent en interne des responsables FSU), ce qui ne veut pas dire qu’il fut démocratique – il aurait fallu pour cela que les choix d’orientation discutés ouvertement précèdent et déterminent de vraies élections de délégués. Mais il n’est pas nécessaire ici de revenir en détail sur toutes ses péripéties. Deux moments pivots, en effet, résument la manière dont, à travers et malgré les chausse-trappes et combats d’appareils, la lutte des classes, nationale et internationale, a pesé de manière décisive sur ce congrès et en a déterminé l’issue.

Le premier moment clef s’est produit dans la journée de mardi. Le matin, Philippe Martinez, qui s’est abstenu de s’adresser au congrès tout son long, annonce à la presse que la CGT partagerait les demandes de Laurent Berger pour une « pause » ou une « suspension » permettant de rouvrir le « dialogue ». L’après-midi, son rapport d’activité est rejeté par 50,3% des voix, ce qui jamais n’est arrivé depuis des décennies, depuis avant le stalinisme en fait. Nul doute que la différence a été faite par le rejet plus ou moins clair du « dialogue social » et de ce qui menace l’indépendance du syndicalisme : la crainte de renverser ou d’ébranler le pouvoir, quelle que soit sa couleur politique – et en l’occurrence, il s’agit de Macron !

Mais si les choses en étaient restées là, on allait vers une victoire des supposés « durs », à savoir une alliance entre la FSM et les fédérations des Cheminots et de l’Énergie, portant, par-delà la candidature d’Olivier Mateu, celle de Céline Verzeletti. Et ceci aurait fait le jeu de Macron : cette supposée « dureté », « de classe et masse », usant jusqu’à plus soif des mots « grève reconductible », mais évitant la centralisation contre Macron et l’affrontement avec le pouvoir tout autant que le reste des directions syndicales, aurait conduit à des manifestations de « durcissement » mais pas d’unité, voire à un éclatement de l’intersyndicale entre une CFDT voulant une « pause » et une CGT un « durcissement ».

Le second moment clef du congrès fut la défaite de la FSM, entraînant l’impossibilité soit d’une arrivée au pouvoir de l’orientation supposée « dure », soit d’un arrangement entre P. Martinez et une partie des « durs » et des « FSM ». L’intervention décisive fut celle de la déléguée des syndicats indépendants iraniens jeudi matin. Portée par le souffle de la révolution et du slogan « Femmes, Vie, Liberté », Sara Selami, a asséné un formidable coup de boutoir contre la FSM, ses nervis, sa collaboration de classe institutionnalisée. Comment ? Tout simplement en disant la vérité. La « chambre du travail islamique », charte du travail à la Pétain des mollahs iraniens, est affiliée à la FSM et les tortionnaires sont à sa tête. C’est aussi simple que ça.

Beaucoup de délégués honnêtes se faisant jusque là des illusions sont alors tombés de leur chaise. Et l’après-midi, un amendement au texte d’orientation voulant un rapprochement avec la FSM était repoussé par 77% des voix. Du coup, la défaite du « dialogue social » de mardi était complétée par une défaite des soi-disant courants « de classe et de masse » en réalité liés aux pires dictatures.

Il est important, envers tout compte-rendu tentant d’expliquer les clefs de cet important congrès, de ne pas perdre de vue le rôle pivot de l’intervention iranienne. Et disons-le : ce que les femmes iraniennes ont fait là vaut aussi pour la résistance ukrainienne à l’intervention impérialiste russe. Si ce sujet-là fut globalement non abordé au congrès, ce qui en signale bien entendu les limites, la poursuite des prises de positions nationales de la CGT pour le retrait des troupes russes de toute l’Ukraine et ses liens avec les syndicats indépendants d’Europe orientale, menacée à l’ouverture du congrès, est confortée – reste à la faire passer sur le terrain partout !

De manière confuse, donc, mais réelle, on a un succès de la volonté d’indépendance contre les accommodements avec le pouvoir, et un succès de l’internationalisme réel contre l’alignement sur des camps impérialistes quels qu’ils soient.

En termes de direction, cela voulait dire à l’arrivée : ni Marie Buisson poussée par P. Martinez, ni Céline Verzeletti flanquée de la FSM. De ce ni-ni, est sortie Sophie Binet. Sitôt arrivée à la tribune vendredi matin, Sophie Binet déclarait dans le même souffle : « Ni pause ni suspension ni médiation » et « l’intersyndicale unie se rendra au rdv de Mme Borne pour dire retrait ! ». Ainsi étaient assurés à la fois la préservation de l’unité et le socle de celle-ci : le mot d’ordre de retrait, ainsi que la sortie relativement rapide (le temps que tous fassent leur déclaration) de la rencontre avec Borne.

Rien n’est réglé, tout est ouvert – mais rien n’est fermé. La principale leçon de ce congrès est que, dans un début confus et douloureux de dépassement du faux affrontement entre « syndicalisme rassemblé » et « syndicalisme de classe et de masse », le poids de la lutte des classe réelle, nationale et internationale, a dessiné l’orientation dont la CGT, et tout le syndicalisme, ont besoin : indépendance totale envers le pouvoir et donc unité et centralisation pour l’affronter quand il nous attaque ; internationalisme intégral contre tous les camps impérialistes et tous les États. Voila des leçons sur lesquelles bâtir.

VP, le 09/04/2023.

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