NOUS N’AVONS PAS ENCORE GAGNE MAIS MACRON A DEJA PERDU

Ce n’est même pas la peine de se demander si le mouvement va rebondir. Il suffisait d’être dans les rassemblements du 14 au soir pour s’en rendre compte. Il n’y avait pas ou peu de découragement, juste plus de colère et de détermination. Le mouvement va rebondir., et bien au delà de ce qu’on peut imaginer. Il va nous faire changer d’époque.
Bien sûr, à cette date on ne peut pas encore en connaître les rythmes et les dates, mais ce qui est certain c’est que la mobilisation à venir va être d’une ampleur et d’une profondeur bien plus grandes que ce qu’on vient déjà de connaître et, surtout, bien plus politique. Cela était déjà présent auparavant, mais ça s’est généralisé ce 14 avril où on entendait partout, « Macron démission »
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NOUS CHANGEONS DE PERIODE
Macron et le gouvernement vont être encore plus visés. Mais c’est tout le régime, toutes les institutions qui sortent un peu plus déconsidérées de cet épisode, du Conseil constitutionnel au Sénat ou à l’ Assemblée en passant par la police, la justice ou les grands média, avec en toile de fond la remise en cause du régime social d’exploitation et d’oppression qu’ils servent, le capitalisme.
En choisissant de soutenir Macron face à la révolte sociale, le Conseil constitutionnel a fait la démonstration aux yeux de tous qu’il n’y a plus aucun espoir à attendre de ce système et de ses représentants pour quoi que ce soit affichant l’antidémocratisme au plus haut niveau de l’État.
Ce faisant, le Conseil constitutionnel – et il faut bien voir qu’à travers lui c’est l’ordre capitaliste tout entier qui s’exprime -, a encouragé par sa décision, la violence policière, la BAC, les BRAV M, les multiples atteintes aux libertés, bref la domination du sabre et du goupillon. Il a donné son blanc seing à un gouvernement composé des figures les plus offensives du néolibéralisme aux marges du fascisme car les moins intégrées au milieu de la très haute bourgeoisie associant mépris, bêtise, grossièreté et incompétence avec des ambitions à la Bolsonaro ou Trump, encourageant par dessus eux au pouvoir absolu de Macron et à une politique raciste et xénophobe, faisant de cette crise des retraites une crise démocratique ouverte.
La raison du choix du Conseil constitutionnel en est qu’à l’heure où se succèdent les crises du capitalisme moisissant – économiques, migratoires, sécuritaires et sanitaires – les pouvoirs, depuis Sarkozy, mais aussi dans le monde, ont multiplié les recours aux mesures d’exception sans jamais mettre en cause le libéralisme économique. Ce faisant, ils ont renforcé leurs ailes droites extrêmes, tout à la fois pour diviser les classes populaires par le racisme, en même temps pour préparer pour plus tard l’avènement d’un tel régime et enfin, dans l’immédiat, pour se servir de la menace fasciste comme épouvantail et justifier le vote pour le moindre mal. Mais on arrive au bout de ce dernier aspect, d’une part parce que beaucoup d’électeurs ne marchent plus dans le prétendu front républicain antifasciste, d’autre part parce qu’une élection de Marine Le Pen n’est plus si éloignée mais devient possible. Or, cela est toujours risqué pour les possédants par la révolte populaire qu’elle peut engendrer – la bourgeoisie a retenu la leçon de février 1934 –. Aussi, avant cette solution ou avant qu’un nouveau « front républicain » en gestation, cette fois contre la LFI ou la NUPES, se soit construit et soit opérant, intégrant et digérant le RN dans un ensemble de droite radicalisée plus conventionnel, Macron propose ses services, adoubé par le Conseil constitutionnel, le préférant à un succès de la rue.
Pour Macron, comme tous les apprentis Bonaparte, la crise n’est pas une entrave, bien au contraire, il s’appuie sur la crise, voire la crée pour se renforcer, se radicaliser et exister au dessus des partis juste avec le soutien de l’appareil d’Etat. Il promet ainsi à la bourgeoisie qu’il n’y aura pas besoin d’une victoire électorale de l’extrême droite et ses risques de soulèvement populaire, pour dénaturer les valeurs et les pratiques d’une société démocratique, il suffit de laisser agir les élites actuelles au pouvoir.
L’histoire a déjà vécu ce type de scénario dans les années 1930 en Allemagne avant Hitler, avec les gouvernements « centristes » et bonapartistes, Brünning puis Von Papen, avec des recours aux décrets-lois et aux mécanismes d’état d’urgence permettant au président du Reich de suspendre les droits fondamentaux face aux luttes des classes populaires… avec les conséquences que l’on sait en Allemagne mais aussi en Autriche par l’écrasement de la Commune révolutionnaire de Vienne en 1934. Ça a été encore la même évolution politique dans ces années-là en France ou en Espagne avec 5 gouvernements en France de Daladier à Sarrault et 5 aussi en Espagne de Leroux à Valladares, fragiles mais de plus en plus autoritaires et réactionnaires en même temps que grandissaient d’intenses luttes incessantes tout au long des années 1934-1935, associant revendications sociales à combats politiques pour la démocratie. Ces années ont été un moment où les déshérités ont repris espoir, où les consciences des classes populaires ont fait un bond en avant, où les foules ont envahi les rues et y ont récupéré la démocratie avant que cette lutte n’enclenche dans ces deux pays l’insurrection ouvrière des Asturies en 1934, des grèves insurrectionnelles en France en 1934 et 1935 et dans ce prolongement les processus de Fronts Populaires, le coup d’Etat militaire de Franco, puis une grève générale en France et une révolution contre Franco.
Nous sommes entrés aujourd’hui dans un processus semblable, peut-être intermédiaire entre 1936 et 1968.
NOUS SOMMES ENTRES DANS UN PROCESSUS MONTANT VERS LA REVOLUTION
Le premier effet politique de cette montée sociale va se jouer à gauche.
La perte de confiance dans les institutions, déjà bien amorcée auparavant et confirmée dans ce mouvement et l’éloignement des élections, vont assurément renforcer la conscience révolutionnaire qui va prolonger dans le domaine des perspectives politiques globales la radicalité rencontrée sur le terrain social autour des gréves reconductibles, des actions coups-de-poing, de celles des Robins des Bois à celles des écologistes de Sainte Soline jusqu’aux manifestations sauvages de la jeunesse et aux multiples blocages/barricades appartenant à la tradition révolutionnaire française
En même temps, un autre courant, incarné sur le terrain social par ceux qui participaient seulement aux grandes journées d’action nationales, mais en masse, va probablement revitaliser les syndicats et la gauche traditionnelle tout en les changeant. Déjà on note des adhésions nombreuses à la CGT en particulier chez les jeunes dont le succès du tube DJ « on est la CGT, vous êtes la CGT » en témoigne, en même temps que l’organisation lycéenne MNL envisage de rejoindre Solidaires.
Ces adhésions vont incarner l’acte II du mouvement.
En raison de la crise dans laquelle est plongée la social-démocratie depuis la révolution néolibérale des années quatre-vingt qu’elle a contribué à initier, faire passer et gérer, sa fragilité comme celle des directions syndicales qui en résultait s’est vue paradoxalement dans l’Acte I de ce mouvement aux succès spectaculaires et inattendus pour elles des actions dont elles étaient elles-mêmes surprises et dont elles ne savaient pas quoi faire : alliance solide jusque-là de l’intersyndicale ; grèves nationales bien suivies sur une journée ; nombre de manifestants exponentiel dans la durée ; grèves reconductibles de nombreux secteurs qui complètent et radicalisent l’ensemble ; soutien indéfectible d’une « opinion publique alors qu’elle joue le plus souvent le rôle d’argument réactionnaire contre les contestataires. Ne sachant pas quoi faire de ce succès, les directions syndicales quémandaient comme d’habitude une porte de sortie, tellement elles sont habituées aux solutions « apaisantes » ar en haut des précédents mouvements. Du coup, on s’attendait à tout moment à un lâchage de l’une ou l’autre. Et puis le Conseil constitutionnel a fermé toutes les portes par en haut y compris celle du référendum et Macron a promulgué la loi dans la nuit s’asseyant sur l’ultime supplique de l’intersyndicale. Exit le « dialogue social » et toute cette époque.
Aussi il ne reste plus que la démocratie par la rue, les solutions par en bas.
Mais cette démocratie de la rue mobilise des millions et des millions de nouveaux arrivants pour qui ce sont les premiers pas dans une lutte politique et dont la conscience avance par l’expérience pratique et non les raisonnements. Aussi, ce nouveau pouvoir de la rue, va certainement vouloir tester jusqu’où peuvent aller les directions syndicales et la gauche après avoir testé toutes les institutions… avant de passer outre et d’aller au delà.
Il le fait avec et par les militants.
Déjà, comme on ne l’a pas vu depuis très longtemps, entraînés par le mouvement et l’entraînant tout à la fois, une foule de militants syndicalistes -mais qui sont aussi pour la plupart des militants politiques -, CGT et Solidaires principalement mais pas seulement, se sont radicalisés. Ils sont entrés pour beaucoup en grèves reconductibles par delà les volontés des directions syndicales et ont pris des initiatives radicales comme jamais, entraînant le mouvement bien plus loin que les directions syndicales ne le voulaient en complétant leurs sempiternelles journées saute-moutons sans suite ni plan, non pas d’un plan mais d’une volonté d’une suite offensive, voire subversive.
Ce poids du mouvement social a pu se mesurer au congrès de la CGT et par là sur l’intersyndicale. C’est la tendance la plus radicale du mouvement social en cours qui marqué le congrès de la CGT. Pour la première fois de son histoire, la ligne de la direction a été mise en minorité et sa candidate rejetée, avec une conséquence immédiate sur l’intersyndicale. Jusque là, c’était Berger qui lui donnait le ton, Martinez lui courant après dans la perspective de négocier quelques concessions. Aujourd’hui, Sophie Binet a pris le leadership de l’intersyndicale et sa réponse « Lol » à Macron comme fin de non recevoir à sa proposition de rencontre avec les syndicats pour discuter de tout sauf des retraites, a donné l’orientation générale, maintenant l’unité tout en la radicalisant, menaçant Macron de ne plus pouvoir gouverner s’il ne retirait pas cette loi. Cette unité syndicale est depuis le début l’expression de la volonté d’unité des classes populaires en lutte.
Aussi, comme le mouvement et sous sa pression, l’intersyndicale passe aujourd’hui, au corps défendant de la plupart de ses membres (la direction de la CFTC, a déclaré, pleurnichante, qu’on n’allait quand même pas refuser tout dialogue pendant quatre ans !), à un acte II plus politique, plus radical.
Macron croyait qu’il lui suffisait de jeter l’os d’une rencontre à l’Intersyndicale pour qu’elle éclate. C’est lui qui a été humilié par le refus. Il avait l’initiative politique, il la perd. Il va tout faire pour la reprendre. C’est le sens de son allocution de lundi 17. Mais rien n’y fera, Macron a perdu, elle est passée dans les mains du mouvement social qui va dicter plus que jamais l’agenda politique du pays dans les prochains temps. Cela va être d’abord par les multiples initiatives locales où on a vu que la mobilisation ne faiblissait pas avec la réussite de la manifestation du 15 avril initiée par les réseaux sociaux à Rennes, et les appels à la lutte et grève lancés un peu partout. Nationalement, cela va commencer le 20 avril par une initiative des cheminots, puis les 22 et 23 avril avec la nouvelle mobilisation des « Soulèvements de la terre », et puis le 28 avril avec une nouvelle initiative syndicale et encore le 1er mai, une manifestation exceptionnelle, qui pourrait l’être encore plus comme réponse au passage en force de Macron s’il s’agissait d’organiser une montée nationale à Paris, comme y appellent de plus en plus de gens et d’organisations et comme le massif et populaire 14 juillet 1935 avait enclenché le processus de la victoire électorale du Front Populaire et celui de la grève générale de mai-juin 1936.
Nous en sommes en effet au point de basculement où le soulèvement populaire avec son avant-garde qui côtoie les perspectives révolutionnaires est en train d’effacer la crise qui amenait les sommets de la gauche syndicale ou politique à ne plus défendre ses valeurs. La population qui souhaite à 60% dans un sondage après la décision du Conseil constitutionnel que l’intersyndicale continue la mobilisation, va amener une nouvelle génération qui va pousser à sublimer cette défaite dans un stratégie d’ensemble pour battre une bourgeoisie arrogante qui massifie le crime, pour étouffer un fascisme protéiforme, renverser les institutions conservatrices, rétablir une morale civique, socialiser le bonheur.
Il y avait déjà eu les premiers pas hésitants de la Nupes. Elle peut désormais afficher une dynamique crédible de prise de pouvoir, articulant le mouvement social au jeu politicien. Cela lui prendra peut-être encore quelque temps avant de réaliser ce qui lui arrive mais le processus est en cours. Et ce ne sont pas les sondages poussant en avant Marine Le Pen, qui pourront contredire cette tendance car ils sont tous bidons, conçus sur la base d’une défaite et d’un découragement populaire.. qui n’a pas lieu.
Comme pour les caractéristiques du mouvement social actuel, il y a deux tendances, celle, massive, des journées d’action de l’intersyndicale et celle, déterminée, des grèves reconductibles, blocages et action coups de poing. Les mêmes deux courants qui, en 1936, avaient tout à la fois fait le succès du Front Populaire, mais aussi par méfiance contre ce même Front Populaire, qui l’avaient forcé à appliquer les mesures dont il ne faisait que parler et en ajouter d’autres, par la gréve générale révolutionnaire menaçant, avec l’occupation générale des usines, de la prise en main de toute l’économie, de l’industrie, des banques et de la presse. Ce n’était plus seulement une pression pour obtenir la satisfaction aux revendications mais la révolution pour « tout reprendre ».
C’est le processus dans lequel nous entrons. Entrons-y en toute lucidité. Bien nommer les choses aujourd’hui nous permettra à chaque pas demain, de faire les choix justes et d’avancer sur les deux jambes du « tous ensemble » actuel. Jusqu’à l’ouverture d’un acte III, radicalement révolutionnaire
Jacques Chastaing 16 avril 2023

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