Les professionnels de la petite enfance au bord du burn-out

Où va le secteur de la petite enfance ? Un rapport de l’Igas souligne l’état de tension dans les structures de garde d’enfants. Il vient corroborer un état des lieux inquiétant sur lequel les professionnels, dont l’encadrement, alertent depuis longtemps.

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Édition 031 de fin mai 2023 [Sommaire

Les métiers de la petite enfance, très féminisés, sont insuffisamment reconnus. © Photopqr/Dna/Maxppp

Il aura fallu un drame, l’an passé, pour obtenir une première réaction du gouvernement. À Lyon, une fillette de 11 mois est décédée au début de l’été 2022 après qu’on lui a fait ingérer du Destop ; la crèche est depuis définitivement fermée. Le collectif Pas de bébés à la consigne publie alors un communiqué appelant à « la plus grande prudence quant aux liens à établir entre cela et la situation générale des crèches », mais souligne alerter « depuis des années sur la dégradation des conditions d’accueil des jeunes enfants, notamment en structures collectives, et sur celle des conditions de travail des professionnel·les ».

Manque de personnel et de places d’accueil, altération d’année en année des conditions de travail  ; c’est dans ce contexte que se noue la dégradation généralisée de l’accueil des tout-petits. Le 25 juillet dernier, François Braun, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, missionnait l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) afin de vérifier la sécurité dans les structures d’accueil des enfants en bas âge. Son rapport, rendu public en mars 2023, éclaire une situation alarmante mais connue des professionnels, comme le rappelle Pas de bébés à la consigne.

Rapport de l’Igas : Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches

Alertez les bébés

Créé en 2009, le collectif regroupe un grand nombre de professionnels de la petite enfance avec leurs structures de formation et d’accueil, ainsi que des syndicats, dont plusieurs structures de la Cgt. S’il est satisfait du rapport de l’Igas, sa porte-parole Émilie Philippe, explique  : « Avant même sa publication, nous avons fait des écrits pour obtenir un état des lieux du secteur de la petite enfance. La pénurie de personnel, comme le parallèle fait avec la situation dans les Ehpad, sont flagrants. En réalité, le privé à but lucratif vient se faire de l’argent sur le dos des enfants. »

Avec 40 000 répondants au questionnaire de l’Igas, la vue d’ensemble sur la situation est large. « L’enquête est complète, poursuit-elle, et parle enfin de maltraitance institutionnelle. » Dès 2009, le collectif alertait sur les finalités d’un décret consistant à créer 200 000 nouvelles places en crèches. Il pointait les risques sur le niveau de formation des professionnels et leur possible sous-effectif, avec un impact sur la pédagogie et le bien-être, comme sur la sécurité des enfants.

Répondre au manque de moyens en… déréglementant

Car, pour répondre aux demandes sur tout le territoire, il manque toujours des places d’accueil. Beaucoup. Entre 200 à 300 000 selon une directrice de crèche publique interrogée sous le sceau de l’anonymat. Pour remédier à cette pénurie, plutôt que de mettre des moyens supplémentaires, le gouvernement a fait le choix de la déréglementation, aussi bien pour le nombre d’encadrants que pour la formation des nouveaux personnels.

Pourtant, dans un rapport de septembre 2020, la Commission des 1 000 premiers jours, lancée par le président Emmanuel Macron, avait recommandé un ratio de un adulte encadrant pour 5 enfants, rejoignant les revendications des professionnels. Rien ne s’est concrétisé, à tel point que le rapport de l’Igas continue de pointer cette faiblesse de l’encadrement, à l’aune du drame lyonnais.

Autorisation d’un « suraccueil » à 115  % de capacité

Cette carence est aggravée par un récent décret qui autorise un adulte encadrant pour 12 enfants maximum, et même un « suraccueil » à 115  % de capacité. Pour la directrice de crèche interrogée, cette déréglementation «  est un obstacle un accueil de qualité. Le maintien à 1 adulte pour 5 enfants serait déjà bien. Mais il faut que les moyens suivent, tant humains que financiers, pour avoir des réponses à la hauteur ». Parmi les conséquences, selon les témoignages récoltés par l’Igas  : des enfants laissés sans boire, attachés pendant le repas… Une maltraitance similaire à celle subie par les personnes âgées.

Cet encadrement insuffisant obère également la démarche pédagogique pour les tout-petits, les nouvelles règles rendant possible l’embauche sans diplôme préalable, avec une formation de seulement 150 heures. Un choix contesté autant par les professionnels que par les dirigeants de structures. « Cela va à l’encontre de ce qu’on souhaite, parce que l’on sait que ce n’est pas suffisant. Il faut de la formation. Il faut aussi l’assurer en continu pour tendre vers la qualité  », insiste la directrice de crèche, qui argumente  : « Le rapport rappelle que le public accueilli est à haut risque, dépendant comme les personnes âgées et handicapées. De 0 à 3 ans, les enfants sont en développement. Les difficultés rencontrées peuvent avoir de lourdes conséquences. » Émilie Philippe va dans le même sens  : « Accueillir un enfant ne s’improvise pas, il faut des compétences et des savoirs. »

Conditions de travail dégradées et salaires peu attractifs

Dans les crèches, notamment publiques, ces dispositions aggravent les carences observées dans la Fonction publique  : salaires bas, conditions de travail dégradées, attaque contre le statut et turn-over dans les structures se cumulent pour faire obstacle à l’attractivité des métiers, avec une grande difficulté à pourvoir les postes. « Le manque de candidats est le résultat de la loi de l’offre et de la demande, au profit des structures privées lucratives, plus petites et privilégiées par les candidats », explique la responsable de crèche.

L’image des professionnels de la petite enfance est en jeu aussi. « Ces métiers ne sont pas suffisamment reconnus, estime-t-elle, leur féminisation fait que les salaires sont, historiquement, insuffisants.  » Leurs problématiques sont communes aux métiers de la santé  : intensité des rythmes de travail, perte de sens et risques pour la santé au travail. La directrice de crèche ajoute  : «  Il s’agit de plus en plus de faire du chiffre, non pas d’organiser la solidarité ou de tendre vers une organisation équilibrée de ce service public. Avec des objectifs où l’on gère les enfants accueillis comme des sources de financements de la part de la Caf. Pour réaliser des gains.  »

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