NOUS SOMMES EN TRAIN DE GAGNER

Bien sûr, pour le moment, nous n’avons pas encore obtenu le retrait de la réforme des retraites. Pourtant, nous sommes déjà en train de gagner beaucoup plus parce qu’insensiblement nous avons fait basculer le moment dans une nouvelle période. Le mouvement pour la retraite dure depuis 4 mois, un record dans l’histoire de France et il n’est pas prêt de finir. Or quand un mouvement dure aussi longtemps, ce n’est plus un mouvement, c’est un basculement d’époque.
De fait, sans encore nous en rendre vraiment compte, nous sommes entrés dans un processus de renversement du rapport de force général, pas sur une seule revendication dans un cadre de quelques mois borné entre deux dates, début et fin, par exemple du 19 janvier au 6/8 juin, mais pour une période beaucoup plus longue, bref de manière durable. Ce mouvement n’aura pas de fin. Ses bornes ne seront que nos victoires.
Ce faisant, ce sont en effet beaucoup de choses que nous allons reprendre et gagner.
C’était hier un slogan : « ce n’est plus on lâche rien, mais on va tout reprendre ». Aujourd’hui nous sommes sur le chemin d’en faire une réalité. Ça a commencé comme un retour de la lutte de classe avec la classe bourgeoise à l’offensive . Puis, certains l’ont traduit par un « retour de la classe ouvrière ». Nous passons aujourd’hui d’une période défensive à une période offensive de cette même classe ouvrière.
Ça a commencé à partir du 19 janvier autour des retraites par un mouvement d’ampleur mais encore habituel avec des journées d’action syndicales très suivies, mais saute moutons et inefficaces comme d’habitude. Et puis, il y a eu la première surprise. Celle de l’unité syndicale qui dure autour du mot d’ordre de retrait et pas seulement l’objectif de grignoter des miettes. Puis, en même temps que ces journées d’action, ça a été l’entrée en grève reconductible de plusieurs secteurs professionnels importants à partir du 7 mars, ce qui a montré que quelque chose avait changé. C’était déjà du rarement vu. Mais ça restait encore un mouvement traditionnel, borné par un début et une fin, en l’occurrence la fin des grèves des raffineurs, des éboueurs qui allait marquer la fin du mouvement selon beaucoup qui ne comprenaient pas ce qui se passait, victimes d’un pessimisme incurable, la tête encore dans la période des défaites passées. Le pouvoir, lui aussi sans comprendre ce qui se passait, a cru bon de rester inflexible et a voulu passer en force le 16 mars avec son 49.3. Puis il a échappé de justesse à 9 voix prés à une motion de censure. Quelque chose bougeait. Ces épisodes, ont révélé que le mouvement portait en lui une autre dimension que celle d’un mouvement juste économique. Il s’engageait dés lors dans un combat politique démocratique avec notamment l’entrée en lutte de la jeunesse dans des manifestations sauvages en dehors des cadres syndicaux. Classiquement, dans ses vieux schémas de maintien de l’ordre, le gouvernement tentait alors le 24 mars d’intimider le mouvement tout entier par une violence policière jamais vue à Sainte Soline. Mais en réponse, le mouvement intégrait cet épisode à sa marche générale et montrait alors en s’élargissant aux questions des violences policières et de la protection de l’environnement qu’il était bien autre chose qu’un simple mouvement revendicatif classique mais qu’il avait pris à son compte toutes les dimensions revendicatives de la période passée. Puis le 14 avril, le Conseil constitutionnel enterrait un peu plus les illusions dans la démocratie actuelle, tandis que la promulgation immédiate de la loi était censée mettre au fin au mouvement. Ça se serait passé ainsi dans la période précédente.
Mais c’est là qu’en continuant, cet incroyable mouvement a montré qu’il ne s’agissait pas que d’un mouvement borné par des dates précises, du 19 janvier au 14 avril, mais qu’il n’avait plus de limites sinon celle de ses succès et par là-même celle de l’amorce d’un changement général du rapport de force. Durant les premières périodes du mouvement, beaucoup, même s’ils participaient aux journées d’action ne pensaient pas pouvoir gagner. Or le miracle du mouvement c’est qu’il continue après la promulgation de la loi, infirmant ce point de vue pessimiste et déstabilisant Macron qui croyait avoir gagné. Le mouvement s’amplifie significativement encore le 17 avril – et à partir de là clairement dans une autre longue durée – lorsque Macron, sentant que la situation inhabituelle lui échappait, tente de reprendre les choses en main en proposant dans son allocution ce jour-là d’apaiser la situation et de tourner la page dans les 100 jours qui suivent. Il ne fait que déclencher alors les casserolades en leur donnant l’objectif de 100 jours, qui paralysent ses déplacements et son activité et empêchent le gouvernement de passer à autre chose en révélant au mouvement lui-même que c’est lui qui continue à avoir toujours et encore l’initiative politique et qui continue à faire l’agenda politique du pays. Vingt cinq jours après le 17 avril, les casserolades continuent toujours et plus que jamais montrent une classe ouvrière à l’offensive pleine de créativité, additionnant aux manifestations en journée celles du soir au flambeau avec des initiatives multiples mais surtout revisitant les dates traditionnelles du calendrier, sportives ou autres mais surtout culturelles ou historiques, pour en faire des dates du mouvement, les reprenant aux puissants qui en ont perverti le sens. La fin de l’esclavage avec Toussaint Louverture au château de Joux que les manifestants tentent de prendre d’assaut, le 8 mai et la libération des nazis, avec un Macron réduit à défiler tout seul sur les Champs-Elysées se ridiculisant par là-même. Le même jour, son hommage à Jean Moulins qui tourne au fiasco et à surtout une démonstration de force dans
les rues des Jean Moulin d’aujourd’hui contre Macron identifié à Pétain, caché, plus isolé que jamais… Et il en va ainsi plusieurs fois par jour, tous les jours, pour tous ses ministres qui ne savent plus quoi faire, se cacher, fuir, se faire siffler, huer, casseroler, mais quoi qu’ils choisissent, c’est une défaite pour eux, pour le pouvoir.
Tout cela témoigne que l’ambiance populaire du moment n’est pas au sentiment de défaite, mais à l’idée qu’on n’a seulement pas encore gagné et que Macron, lui, a déjà perdu. C’est-à-dire que la plupart ne cèdent pas au découragement, ne se disent pas, c’est foutu, on ne gagnera jamais ou regrettent leurs journées de grève et de payes perdues, mais se demandent plutôt qu’est-ce qu’il faudrait faire pour gagner, comment s’y prendre demain.
Du coup, si le drapeau principal et unifiant de la lutte reste toujours le retrait de réforme des retraites, il abrite désormais tous les combats qui peuvent s’additionner pour créer un rapport de force général qui permettraient d’affaiblir Macron et le dégager
Paradoxalement, le sentiment qu’on ne pouvait pas gagner qui était très présent au moment des fortes manifestations de janvier, février ou mars, laisse la place à un autre sentiment bien plus offensif : comment faire pour gagner. C’est ce sentiment offensif qui fait que beaucoup adhèrent actuellement aux syndicats témoignant par là que leurs perspectives ne sont pas de voter RN (tous les sondages actuels à ce sujet sont bidons parce qu’ils sont conçus pour des sondés à l’état d’esprit perdant, démoralisés d’avant alors que c’est ce moral qui change) mais d’aller vers une lutte plus efficace, plus radicale, plus large, plus ouverte à d’autres revendications et d’autres combats, bref plus politique.
Ce sentiment plus offensif change déjà l’ambiance dans le pays et amorce le changement général du rapport de force. Ce n’est pas qu’un phénomène français, la lutte en Grande-Bretagne dure depuis plus de 11 mois et si le salaire minimum a été augmenté d’environ les 10% d’inflation, bien des secteurs professionnels en sont à des gains de 15 ou 20%, commençant à reprendre ce qui a été volé les décennies passées et il en va de même au Portugal, en Allemagne, en Belgique, en Grèce… où les luttes ne cessent pas depuis des mois
Cette amorce de modification du rapport de force va faire que tout le mois de mai ne sera pas tant comme d’habitude un mois de dénigrement et de chasse aux pauvres, aux exploités, aux migrants mais avant tout un mois de chasse aux ministres, aux députés, sénateurs de la majorité ou de ses alliés mais aussi de tous les parasites et capitalistes qui vivent à nos dépends. C’est cela, après pourtant plus de 4 mois et demi de mobilisation, qui fera que les mobilisations du 6/8 juin seront très réussies et qu’il y aura encore une suite contre toutes les exploitations et oppressions si Macron ne lâche pas ; jusqu’au 14 juillet pour commencer, le jour où la révolte se transforme en révolution, à la fin des cents jours, la chute de Napoléon, mais après encore, qu’il lâche ou pas. Et surtout cela signifie que là où le patronat ou le gouvernement dans toute cette période voudraient nous attaquer sur d’autres terrains, ils trouveront plus de militants, plus de résistance, plus de détermination, avec certainement beaucoup plus de succès, qui seront autant d’encouragement pour les autres. Et tous ces combats et ces succès tendront à n’en faire qu’un seul, pour dégager Macron, pour dégager l’oppression et l’exploitation, dégager le capitalisme. Les électriciens et gaziers qui avaient gagné une augmentation de 200 euros par une lutte longue et offensive juste avant le mouvement pour les retraites ont été et sont toujours à l’avant-garde du mouvement par leurs grèves et avec leurs Robins des Bois. Ce qui s’est passé pour les électriciens va se passer pour beaucoup avant de l’être pour tous.
Nous sommes en train de gagner aujourd’hui dans ce mouvement une conscience collective et une force avec de nouveaux militants qui vont nous permettre bien des succès à venir. C’est énorme parce que c’est ça qui va nous permettre de tout reprendre. Pour participer pleinement à ce moment, y être utile, il nous faut rompre avec les routines de pensée et de comportement du temps passé, il nous faut être à la hauteur des circonstances de cette page de l’Histoire qui s’ouvre.
Jacques Chastaing 14 mai 2023

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