Depuis la Catalogne… et l’Espagne.

Gérard Florenson

Le cyclone politique annoncé n’a pas eu lieu. La canicule en revanche est bien là et dissuade les touristes de venir claquer leur pognon, au grand dam des hôteliers et restaurateurs qui espéraient se rattraper des saisons Covid. Ce dernier rôde toujours mais pour ne pas inquiéter les vacanciers on n’en parle pas et même on supprime les dernières restrictions. Il est vrai et j’en sait quelque chose que l’actuel variant n’est généralement pas trop grave pour les personnes vaccinées, sauf une toux persistante et désagréable : paracétamol et une semaine à la maison, avec le frigo et la cave remplis c’est supportable.

Mais laissons la sécheresse et revenons aux élections qui ont vu toute l’Europe se pencher sur le berceau ibérique. Les spécialistes autoproclamés prédisaient une forte abstention, le nombre de votants a progressé (sauf en Catalogne, je vais y revenir).  Dans la foulée des municipales ils prévoyaient un revers pour les socialistes et la gauche institutionnelle, or le PSOE a gagné des voix et deux sièges alors que le Parti Populaire a progressé, tirant notamment profit de la disparition de Ciutadans, mais moins qu’annoncé et surtout moins que ses dirigeants n’espéraient. Au passage on constate que le bipartisme se porte bien, le PSOE comme le PP s’affirmant au détriment de leurs alliés.

Celles  et ceux qui redoutaient un gros score de VOX, le parti néo-franquiste qui   mené sans complexe une campagne pour le « retour aux valeurs de Espagne traditionnelle » celle des militaires, des flics et des curés, contre les migrants et l’Islam, contre l’émancipation des femmes, contre les homosexuels, les Catalans, les Basques et autres Galiciens, se sont heureusement trompés. Non seulement la grande majorité de la société n’est mobilisée  pour leur faire barrage mais leurs outrances ont pénalisé le PP qui leur avait ouvert les portes d’exécutifs locaux. Une leçon à méditer  par celles et ceux qui croient à une montée inexorable des néo-fascistes : danger sans doute mais inexorable certainement pas. A moins que ces alertes ne visent à nous pousser à nous en remettre aux modérés gentils type Macron…

VOX ne prétend même pas à un programme social. C’est le parti de la droite enragée, des agrariens d’Andalousie qui pillent les ressources en eau et exploitent outrageusement les salariés. On constate aussi que ses meilleurs scores se trouvent dans les zones à forte concentration touristique, parmi les patrons de l’hôtellerie et de l’industrie des loisirs… plus les bureaux proches des casernes !

Le PSOE (le O de son sigle veut toujours dire Ouvrier !) a bénéficié de ce rejet. Il a réussi à se poser en défenseur des libertés menacées (sauf pour ce qui concerne les migrants que son gouvernement laisse crever en mer et les Catalans qui subissent toujours la répression liée au réferendum et à ses suites, mais les migrants ne votent pas et les Catalans peuvent craindre pire avec la droite).  Pari donc gagné pour Sanchez qui peut même espérer conserver le pouvoir.

Spécificités catalanes

A l’inverse des autres régions, la participation électorale a baissé. Le PSOE est nettement en tête avec 34,5% des suffrages, devant SUMAR qui en obtient 14%, soit un total de 48,5% pour la gauche institutionnelle. La droite et l’extrême droite progressent mais l’addition de leurs scores n’atteint que 21%. La différence va aux partis catalanistes. L’Esquera (ERC) , le parti traditionnel de la Gauche républicaine (modérée) subit un fort recul du fait de l’abstention mais aussi en faveur du PSOE en raison de sa politique conciliatrice : autant voter pour le directeur du cirque que pour ses clowns.

La CUP est victime de l’abstention préconisée par certaines entités catalanistes qui ne voient aucun intérêt à siéger au parlement espagnol. Junts, qui s’est montré plus exigeant que ERC, se trouve paradoxalement la clé de la constitution du gouvernement, courtisé  par le PSOE au moment où la « justice » espagnole relance sa demande d’extradition de Puigdemont !

Reconduction de Sanchez ou nouvelles élections ? Pour le moment le « mal mineur » a remporté un succès, mais l’échec de la droite ne doit pas faire oublier que mineur ou majeur le mal reste le mal et que les véritables avancées se gagnent par les luttes et non par les urnes et que ce n’est qu’ensuite qu’elles sont éventuellement légalisées.

Un gouvernement de la gauche institutionnelle est une forme de gouvernement patronal, respectueux des intérêts capitalistes et des directives européennes et dans le cas espagnol fidèle à l’idée de l’Espagne grande et unie, l’Espagne impérialiste qui dresse des murs contre les migrants et sous traite leur répression au nouvel allié marocain.


Les électeurs espagnols aiment les paradoxes. Lors du scrutin de ce dimanche, ils ont offert à leur classe politique un grand labyrinthe compliqué en guise de résultats. Peu importe finalement qui a remporté les élections (c’est le chef de la droite, Alberto Nuñez Feijoo) ou qui est arrivé deuxième (le chef des socialistes, Pedro Sanchez): tout est en place pour qu’il soit extrêmement difficile, à l’un ou à l’autre, de former une coalition leur permettant de trouver la moindre sortie afin de gouverner le pays.

Retour au bipartisme

Après avoir dynamité, il y a près d’une décennie, le système bipartisan qui avait guidé le pays pendant trente ans, l’Espagne y revient progressivement, avec les deux principaux partis, le Parti populaire (PP) et le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), qui sont en train de se ressaisir, scrutin après scrutin. Mais – c’est le paradoxe – cela ne fait que rendre la situation plus compliquée encore pour eux, tant ils sont aujourd’hui entourés d’une myriade de petits partis régionaux, a priori périphériques mais dont le rôle, soudain, est devenu central.

Dans l’impossibilité de gouverner seul, Feijoo avait misé sur le soutien du parti Vox, d’extrême droite. Or cette dernière, héritière décomplexée de la dictature du général Franco, raciste, vulgaire, intransigeante, s’est dégonflée comme un ballon de baudruche lors de ces élections. Les Espagnols, sur le plan national, ne veulent pas de cette droite-là. Pour Feijoo, c’est une mauvaise nouvelle: le compte n’y est pas à l’heure de rassembler une majorité au parlement. Mais une alliance avec ce parti désormais décrédibilisé fera fuir sans doute n’importe quel autre candidat potentiel. C’est le mur.

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Pour le premier ministre sortant Sanchez, pourtant déjà familier des manœuvres de coalition lors de la législature précédente, l’exercice est tout aussi délicat. Au-delà des diverses factions de la gauche radicale, qui lui semblent acquises, il devrait avoir recours, notamment, aux indépendantistes catalans. Or, eux aussi sont apparus clairement en perte de vitesse lors de ce dernier scrutin. Le socialiste doit-il se résoudre à leur offrir une bouée de sauvetage inespérée? Prendra-t-il le risque d’enfiévrer à nouveau la question catalane alors que les liens entre Barcelone et Madrid vont plutôt dans le sens de l’apaisement? Sanchez joue gros, tant on lui reproche déjà de s’être montré trop accommodant envers les indépendantistes ces dernières années. Pour lui aussi, la solution sera difficile à trouver. Avec une menace claire: que l’Espagne se dirige, faute de trouver la sortie du labyrinthe, vers de nouvelles élections dans à peine quelques mois.

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