Lors de la marche annuelle en hommage à Adama Traoré, samedi 8 juillet, son frère Yssoufou Traoré a été violemment interpellé par la BRAV-M. Cette unité de policiers motorisés, réputée violente et déjà visée par plusieurs enquêtes, a également pris à partie trois journalistes dont certains s’apprêtent à déposer plainte.
Mathieu Dejean, Pascale Pascariello, Camille Polloni et Antton Rouget
10 juillet 2023 à 19h18
Samedi 8 juillet, à Paris, lors de la manifestation interdite en mémoire d’Adama Traoré, décédé en 2016 à la suite de son interpellation par des gendarmes, son frère Yssoufou Traoré, 29 ans, a été violemment interpellé et plaqué au sol par des policiers de la BRAV-M, une unité motorisée critiquée pour ses méthodes violentes depuis sa création en 2019.
Victime d’un malaise au cours de sa garde à vue au commissariat du Ve arrondissement, Yssoufou Traoré a dû être conduit aux urgences. Il est ressorti de l’hôpital le lendemain, le visage tuméfié et un œil clos. Comme l’a précisé son avocat, Yassine Bouzrou, il souffre d’une fracture au nez, d’un traumatisme crânien avec des lésions oculaires et de contusions thoraciques, abdominales et lombaires constatées par les médecins.
À ce jour, si la garde à vue de Yssoufou Traoré a été levée, l’enquête concernant « les faits susceptibles de lui être reprochés se poursuit », indique le parquet de Paris à Mediapart.
Le jour de l’interpellation de Yssoufou Traoré, BFMTV annonçait qu’une policière allait déposer plainte contre le frère d’Adama Traoré pour des violences aggravées. Contacté par Mediapart, le parquet déclare que « plusieurs plaintes devaient être déposées par des fonctionnaires de police », sans pouvoir préciser ni « les auteurs, ni les personnes visées, ni les faits visés ».
Yassine Bouzrou a de son côté annoncé le dépôt d’une plainte pour « violences volontaires par des personnes dépositaires de l’autorité publique » (PDAP). Dans un communiqué, l’avocat résume la situation : « Yssoufou Traoré a été victime de violences commises par des policiers de la BRAV-M qui semblent disproportionnées et illégitimes, il a notamment subi un plaquage ventral. » Contacté par Mediapart, Yassine Bouzrou n’a pas souhaité commenter davantage.
Plusieurs vidéos, rapidement diffusées sur les réseaux sociaux par les journalistes et manifestant·es présent·es, montrent son interpellation. Alors que le comité Adama a appelé les manifestants à se disperser dans le calme, à quelques mètres de la gare de l’Est, Yssoufou Traoré reste sur place et plusieurs policiers de la BRAV-M le plaquent violemment au sol pour le menotter. On entend alors une militante répéter : « Pas à trois sur son dos, laissez-le juste respirer. »
Une manifestante qui tente de s’approcher de l’interpellation est elle-même jetée à terre par les policiers. Selon les informations de Mediapart, elle s’apprête également à porter plainte.
Un deuxième militant en garde à vue
Un autre membre du comité La vérité pour Adama, Samir Elyes, sur lequel Mediapart avait publié une enquête en 2022, a également été interpellé. À l’issue de son placement en garde à vue, Samir Elyes est sorti libre du commissariat du Ier arrondissement, le 9 juillet, avec une convocation devant le délégué du procureur. Son avocat, Pierre Brunisso, dénonce des « manquements dans la procédure » qui vont le conduire à en demander la nullité.
Contacté par Mediapart, l’une des figures du comité d’Assa Traoré, le militant antiraciste Youcef Brakni, explique que lorsque « Yssoufou s’est fait violenter, Samir [Elyes] a paniqué et a essayé de dire aux policiers de ne pas lui faire subir ça, ce que son frère [Adama] avait subi aussi ».
« C’était un guet-apens : il y a eu une volonté de suivre Yssoufou, de l’isoler et de l’interpeller avec une unité spécifique – la BRAV-M –, alors que les CRS et les gendarmes mobiles présents n’ont pas cherché à le faire. C’est la BRAV-M, visiblement autonome, dont on ne connaît pas les ordres, qui avait clairement envie de cibler Yssoufou Traoré. »
Selon Youcef Brakni, la présence massive de caméras autour d’Assa Traoré a dissuadé les policiers de s’en prendre à elle. « Les images auraient fait le tour du monde – la sœur d’une victime de violences policières, arrêtée car elle essayait de lui rendre hommage… Yssoufou était la cible secondaire. »
Par ailleurs, alors que Yssoufou Traoré était conduit aux urgences, une fausse information émanant de la préfecture de police et relayée par l’AFP annonçait le contraire, précisant que le frère d’Adama Traoré avait été reconduit au commissariat. Interrogée par Mediapart sur cette désinformation, la préfecture de police de Paris n’a pas souhaité nous répondre.
Une enquête pour « organisation d’une manifestation interdite »
En amont de la marche en mémoire d’Adama Traoré, les autorités ont tout fait pour qu’elle n’ait pas lieu. D’abord, la préfecture du Val-d’Oise a interdit le rassemblement qui devait se tenir, comme chaque année, à Beaumont-sur-Oise – décision confirmée par la justice administrative. Par arrêté préfectoral, la circulation des trains de la RATP a ensuite été interrompue vers Persan-Beaumont.
Le comité Adama a alors décidé d’appeler à se réunir à Paris, place de la République, rassemblement interdit à son tour par la préfecture de Paris, arguant que cette marche intervenait « dans un contexte encore sensible, après un épisode de violences urbaines survenues en Île-de-France, et notamment à Paris ».
La préfecture de police de Paris a annoncé l’ouverture d’une enquête contre Assa Traoré pour « organisation d’une manifestation interdite ». Le parquet de Paris confirme qu’« une enquête est actuellement diligentée par la sûreté territoriale sur ces faits ».
Des journalistes poussés au sol
Alors qu’ils filmaient l’interpellation de Yssoufou Traoré, au moins trois journalistes ont été poussés au sol par la BRAV-M, comme en attestent plusieurs vidéos.
Pierre Tremblay, du HuffPost (un titre du groupe Le Monde), a chuté au sol après avoir reçu un violent coup de bouclier alors qu’il tentait de s’écarter du chemin suivi par les policiers. Une entorse au poignet droit, constatée par un médecin hospitalier, lui vaut « trois semaines d’immobilisation et une semaine d’arrêt de travail ». Il envisage de porter plainte.
Clément Lanot, reporter vidéo indépendant, s’est également retrouvé par terre. « La caméra vole, mes lunettes avec, ça se passe super vite », a-t-il déclaré à Libération. « J’ai dû prendre un coup », expliquait-il sur le plateau de BFMTV, samedi, où il apparaissait avec une bosse et une marque rouge sur le front. Lundi après-midi, Clément Lanot a déposé plainte auprès de l’IGPN.
Florian Poitout, photographe pour l’agence Abaca, raconte de son côté avoir été « projeté au sol et frappé par des policiers de la BRAV-M ». Il ajoute que « l’un d’eux a saisi [son] appareil photo et l’a jeté à terre, ce qui l’a endommagé ». Le photographe a également annoncé son intention de déposer plainte.
Reporters sans frontières a exprimé sa « solidarité » avec ces trois journalistes et dénoncé « une violation inacceptable de la liberté d’informer ». Le HuffPost, qui envisage également une action judiciaire, a condamné dès samedi « les violences subies par les journalistes » lors de la marche, en précisant : « Ce n’est pas la première fois que des membres de la BRAV-M agressent des journalistes, il est plus que temps que cessent de telles pratiques, indignes du respect du droit à l’information en France. »
De son côté, la préfecture de police a annoncé l’ouverture d’une enquête administrative « afin d’établir avec exactitude les circonstances des faits, concomitants à des interpellations que le préfet de police assume pleinement ». En revanche, le parquet de Paris, qui aurait la capacité de s’autosaisir et d’ouvrir une enquête judiciaire sur la foi des dénonciations publiques de violences, étayées par des vidéos, indique qu’il « ne dispose pas d’information en ce sens pour le moment ».
Une majorité présidentielle silencieuse ou accusatrice
Tandis que les rangs de la majorité présidentielle sont restés une nouvelle fois totalement silencieux face à un tel déchaînement de violences, il s’en est même trouvé pour justifier l’action des forces de l’ordre. Au journaliste Pierre Tremblay, qui relatait ce qui lui était arrivé en postant une vidéo de la scène, la députée Renaissance des Bouches-du-Rhône Anne-Laurence Petel a immédiatement rétorqué : « On voit surtout que vous allez au contact ! Un militant va au contact de la police un journaliste respecte les règles. Le policier dit “reculez” et vous foncez dedans… »
Romain Herreros, autre journaliste du HuffPost, intervient alors dans la discussion : « Bonjour, sous cet angle on voit que Pierre suit la scène, marque un arrêt, puis recule avant le coup. Évitez les commentaires à l’emporte-pièce, cela vous évitera l’embarras de devoir aveuglément justifier l’entrave au droit d’informer. » Mais l’élue macroniste, qui n’a pas répondu aux sollicitations de Mediapart, n’a pas esquissé le moindre mea culpa : « Je pense que vous devriez faire des reportages côté policiers de temps en temps… ça équilibrerait un peu et ça vous permettrait de comprendre la difficulté de leur mission quand (en plus) des gens (fussent-ils journalistes) se précipitent sur eux… »
Cette réaction n’est pas sans rappeler celle d’un autre député de la majorité, après la diffusion d’images de violences policières contre le journaliste Rémy Buisine, lors de la dernière manifestation du 1er Mai à Paris. À une vidéo montrant que le reporter avait été victime de coups de matraque et d’un coup de pied à la tête par un policier sur la place de la Nation, après avoir déjà été touché par une grenade de désencerclement un peu plus tôt dans le cortège, Stéphane Vojetta, élu dans la 5e circonscription des Français de l’étranger, avait répliqué : « “Journaliste” est un de ces mots qui est de plus en plus galvaudé pour permettre à ceux qui s’en affublent de justifier tout et n’importe quoi. Dans notre société les actes ont des conséquences et il faut les assumer. En tout cas, c’est ce que j’apprends à mes enfants. »
Dans un autre message, le parlementaire estimait que « le fait d’être journaliste ne peut pas être un sésame automatique d’irresponsabilité face aux conséquences d’une mise en danger ». Des propos « inacceptables et diffamatoires » contre lesquels s’était élevé Rémy Buisine, journaliste reconnu ayant interviewé Emmanuel Macron en 2022, et que Stéphane Vojetta avait fini par retirer, en s’excusant et plaidant le « malentendu ».
La BRAV-M, une unité critiquée depuis sa création
Ce n’est pas la première fois que la BRAV-M s’illustre par ses violences imprévisibles, indiscriminées et gratuites. La brigade de répression de l’action violente motorisée (BRAV-M), escouade de 36 policiers juchés par deux sur des motos, est d’ailleurs visée par plusieurs enquêtes et a fait l’objet d’un rapport de l’Observatoire parisien des libertés publiques (OPLP) en avril 2023.
La première intervention officielle des BRAV-M dans les manifestations parisiennes date du 23 mars 2019, en plein mouvement des « gilets jaunes ». Mais c’est dès décembre 2018, sur décision du ministre de l’intérieur Christophe Castaner et du préfet Michel Delpuech, que ces binômes de policiers motorisés, interdits depuis le décès de Malik Oussekine en 1986, avaient refait leur apparition dans les rues de Paris.
Au sein même de la police, l’absence d’encadrement et de formation spécifique au maintien de l’ordre pour les BRAV-M fait grincer des dents. En mars 2020, Mediapart avait révélé plusieurs notes internes émanant de la gendarmerie et des CRS, faisant part d’ordres illégaux du préfet Lallement et de violences commises par ces brigades motorisées.
Certains commissaires à la tête des BRAV-M se sont rendus célèbres pour des actes de violence, comme Paul-Antoine Tomi ou le commissaire P. (sur lequel Le Monde avait publié une enquête vidéo). Le nom de Patrick Lunel, ancien commandant de la CSI 93, est également cité. Son adjoint, un capitaine qui l’a rejoint au sein de la BRAV-M, est visé par une enquête pour avoir frappé un manifestant au visage lors d’une manifestation contre le passe sanitaire. Depuis, d’autres enquêtes visent plusieurs policiers de la BRAV-M. Celle-ci a également fait l’objet d’une pétition réclamant sa dissolution. En vain.
Poster un Commentaire