Meurtre de Thomas à Crépol : les révélations du « Parisien » ébranlent le récit de l’extrême droite

Romans-sur-Isère, le 22 novembre 2023. Prés de 6.000 personnes se sont rassemblées devant le lycée du Dauphiné, en hommage à Thomas, lycéen de 16 ans, tué en marge d'une fête dans le village de Crépol. SUR LA PHOTO: La marche s'est dirigée jusqu'au stade de rugby Donnadieu où jouait Thomas.

Alors que le RN et Reconquête ! s’indignaient d’une « razzia » ou d’une « expédition punitive » à Crépol, l’enquête montre que les choses sont (beaucoup) moins simples.

  • POLITIQUE – Le problème avec les récupérations hâtives, c’est qu’elles exposent leurs auteurs au discrédit public. Le zèle avec lequel l’extrême droite, du Rassemblement national à Reconquête !, a tenté de capitaliser sur la mort du jeune Thomas n’échappe pas à cette règle. Le Parisien publie, ce mardi 5 décembre, des informations inédites sur l’enquête menée par les gendarmes de la section de recherches de Grenoble.

Des révélations qui ébranlent le récit fait par Marine Le Pen, Éric Zemmour, Marion Maréchal ou Jordan Bardella, qui ont immédiatement décrit ce fait divers comme une expédition punitive et gratuite menée, sur fond de haine raciale, par des jeunes de cités contre leurs homologues des villages.

À l’origine, un différend mineur

Malgré des témoignages parfois contradictoires, tout semble être parti d’un différend mineur entre deux jeunes, sur fond de provocation commise par un membre du « clan des rugbymen », qui aurait tiré les cheveux d’Ilyès Z., l’un des suspects, au moment où le titre Tchikita du rappeur marseillais Jul retentissait dans la salle. « Cette altercation pourrait être à l’origine de la rixe », notent les enquêteurs, décrivant une tolérance fragile entre les jeunes de Crépol et ceux de Romans-sur-Isère qui, eux, étaient munis de couteaux. Des propos « hostiles aux blancs » ont été entendus. Tout comme une amie du rugbyman à l’origine du tirage de cheveux affirme que l’intéressé lui a confié au cours de la soirée : « J’ai envie de taper des bougnoules. »

Des éléments attestant de la complexité de la situation qui a précédé à la mort du jeune Thomas et qui apparaissent en total décalage avec ce qu’en disait hâtivement l’extrême droite. « On assiste à une attaque organisée, émanant d’un certain nombre de banlieues criminogènes dans lesquelles se trouvent des “milices” armées qui opèrent des razzias », affirmait, par exemple, Marine Le Pen. Une dissonance que Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, a eu bien du mal à expliquer ce mardi, expliquant sur BFMTV qu’il était finalement plus sage d’attendre le procès pour savoir « ce qui est établi ».

Pourtant, comme nous pouvez le voir dans notre vidéo en tête d’article, le président de son parti, Jordan Bardella, n’a pas attendu la conclusion de l’enquête pour donner un mobile à ceux qui ont sorti les couteaux : « À leurs yeux, Thomas et ses amis avaient le malheur d’être de jeunes Français en France ». Une lecture exclusivement identitaire des faits que l’on retrouvait également chez Éric Zemmour et son entourage qui, pour prouver l’existence d’un « francocide » programmé, exigeaient que les prénoms des agresseurs (à consonance maghrébine) soient rendus publics. Or, là encore, l’enquête vient saper cette analyse. Le Parisien révèle en effet que l’un des suspects appartenant à la bande de Romans-sur-Isère « porte un prénom et un nom historiquement français ».

Mineur, son identité n’a pas été rendue publique, comme l’exige la loi. Il n’empêche que cette information vient contredire l’analyse strictement identitaire, voire raciale, mise en avant par l’extrême droite. Une contradiction à laquelle Marion Maréchal a tenté de répondre ce mardi sur franceinfo. « D’un coup, les prénoms veulent dire quelque chose », a contre-attaqué la tête de liste Reconquête ! Avant d’ajouter : « On nous a expliqué pendant 10 jours que les prénoms n’avaient rien à voir, que c’était scandaleux, que vous ne pouvez en tirer aucune conclusion, et là ça veut dire quelque chose. »

Alors que, paradoxalement, c’est bien parce que les obsessions patronymiques de Reconquête ! ne résistent pas aux premières conclusions de l’enquête que la question lui est posée. Ces dernières apparaissent par ailleurs bien éloignées des priorités des enquêteurs, qui s’échinent à résoudre le mystère qui résulte de cette soirée chaotique au déroulement difficile à établir : qui, parmi les jeunes de Romans-sur-Isère impliqués, a porté le coup fatal à Thomas ? Pour l’heure, cette question n’est pas encore élucidée.


Ce que l’on sait

Mort de Thomas à Crépol : une enquête qui ouvre des pistes plus complexes que les fantasmes

Des informations obtenues par «Le Parisien» et France Info, issues de l’enquête menée par les gendarmes de la section de recherches de Grenoble, livrent un récit plus nuancé que celui d’une attaque rangée, voire préméditée, ayant mené à la mort du jeune homme de 16 ans dans la Drôme.

par LIBERATION

publié aujourd’hui à 11h44

Des jeunes de Romans présents depuis plusieurs heures

Les neuf suspects ne sont pas arrivés de concert à Crépol. Ils se sont rendus dans le village dans la soirée du 18 novembre par petits groupes, à bord de cinq voitures et à des heures différentes. Dans leurs déclarations aux gendarmes, ils disent avoir voulu se rendre au bal notamment parce qu’ils pensaient y trouver de nombreuses filles. Au moins quatre des suspects ont pu entrer dans la salle des fêtes et ont pris part à la soirée avant que ne survienne la bagarre mortelle. Ils ont dansé, d’après plusieurs témoins, dont une cinquantaine dit n’avoir pas noté de comportements particulièrement suspects. D’autres disent au contraire avoir ressenti un certain malaise, décrivant des jeunes hommes «aux regards mauvais». Les jeunes de Romans apparaissent en tout cas en décalage, notamment vestimentaire, avec le reste de l’assistance. «Les jeunes de Romans et de Crépol se côtoient au lycée, ils se connaissent de vue mais ils ne sont pas du même monde», résume une source au Parisien.

Plusieurs jeunes venus armés

Parmi les suspects participant à la fête comme parmi ceux restés à l’extérieur de la salle, passant la soirée sur le parking, plusieurs étaient porteurs d’armes blanches. Il apparaît ainsi que Chaïd A., 20 ans, a dû remettre un couteau de chasse à l’un des quatre vigiles sécurisant la soirée avant d’être autorisé à entrer dans la salle. D’autres suspects arrivés plus tard auraient demandé à certains fêtards sortis fumer si «on était fouillé» avant d’entrer dans la soirée. Pour pouvoir dissimuler une arme ou de l’alcool ? Quoi qu’il en soit, lorsque la bagarre éclate, plusieurs couteaux sont sortis, d’après de nombreux témoins. On en ignore le nombre exact.

L’élément déclencheur en question

Les enquêteurs se penchent aussi sur l’étincelle qui a fait virer la soirée au drame. Une altercation entre l’un des suspects, Ilyès Z., 22 ans, et un jeune rugbyman de Crépol, Thomas L., retient leur attention. Au moment où passe le titre Tchikita du rappeur Jul, vers 2 heures du matin, Thomas L. aurait comparé les longs cheveux bouclés d’Ilyès Z. à ceux de la fille évoquée dans la chanson du rappeur marseillais. Ilyès Z. aurait alors proposé à Thomas L. de s’expliquer hors de la salle, élément déclencheur des violences. Mais avant cette algarade, le rugbyman a été entendu dire par au moins une amie qu’il avait envie de taper «des bougnoules», rapportent France Info et Le Parisien. Lors de l’affrontement qui a suivi, neuf témoins sur les 104 auditionnés disent, eux, avoir entendu des paroles «hostiles aux Blancs» de la part des jeunes de Romans-sur-Isère, avait déjà expliqué le procureur de Valence. Lequel avait aussi précisé que l’enquête ne permettait pas à ce stade d’affirmer que les victimes ont pu être visées en raison de leur appartenance à une «prétendue race, une ethnie, une nation ou une religion déterminée».

Une bagarre en deux temps

La rixe à proprement parler survient en deux temps, d’après des témoignages concordants. Il y a d’abord «l’explication» entre Ilyès Z. et Thomas L., qui se déroule finalement dès le sas d’entrée de la salle du bal. Ilyès Z. a raconté aux enquêteurs s’être fait frapper à coups de poing et de pied par Thomas L. et quelques rugbymen arrivés en renfort, qui eux assurent s’être défendus. L’échange est déséquilibré et bref, Ilyès Z. dit avoir fini à quatre pattes, sonné. Arrive alors le deuxième acte, plus violent et qui met aux prises une trentaine de jeunes, avec schématiquement d’un côté ceux de Romans, qui auraient été une quinzaine, de l’autre les rugbymen. Un vigile tente de s’interposer, il est blessé à la main par une arme blanche. «Beaucoup de conneries ont été dites. Quand j’ai été blessé, je ne refoulais pas de jeunes de Romans à l’entrée, je tentais juste de calmer les choses…», confie cet homme au Parisien.Le suspect du meurtre toujours pas identifié

C’est au cours de cette rixe que Thomas P., lui-même rugbyman, reçoit un coup de couteau fatal au thorax. L’enquête n’a toujours pas permis d’identifier clairement son auteur. Deux suspects semblent se dégager selon les enquêteurs : Ilyès Z. et un deuxième, âgé de 17 ans, dont l’identité n’a pas été révélée en raison de sa minorité. Mais alors que les prénoms des suspects ont été abondamment commentés par l’extrême droite, Le Parisien rapporte que ce jeune suspect porte des nom et prénom «historiquement français». France Info confirme, relevant que c’est aussi le cas de son petit frère, en fuite depuis les faits. Ilyès Z. et ce suspect de 17 ans ont un point commun : il sont grands, bruns et portent des cheveux longs et bouclés.

 

 

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