En pleine nature, une centrale photovoltaïque peut coûter au promoteur entre 2 000 et 5 000 euros par hectare et par an ; sur une friche industrielle, ou près des villes, ce chiffre grimpe aisément jusqu’à 50 000 euros. La rentabilité est donc le gouvernail de ces projets.
Près de 130 hectares aux Omergues, 24 hectares à Banon, 19 à Fontienne, 20 à Peyruis, 8 à Château-Arnoux… Les petites communes de la montagne de Lure, dans les Alpes-de-Haute-Provence, suscitent l’appétit croissant des entreprises photovoltaïques.
Sur ce sommet des monts de Vaucluse, l’un des territoires les plus excentrés de France, où les terres sont parmi les moins chères, pas moins de 15 centrales solaires ont déjà été installées, et 22 autres seraient en gestation, selon les chiffres du collectif Elzéard-Lure en résistance, qui alerte sur la multiplication incontrôlée de ces usines à soleil remplaçant terres agricoles et forêts.
Les Alpes du Sud sont pleines de ces installations « vertes » que les multinationales négocient avec les communes, à condition que celles-ci signent – comme pour les entrepôts Amazon – la clause de confidentialité permettant de porter les projets le plus tard possible à la connaissance des habitants.
Dans la vallée du Buëch (Hautes-Alpes), 14 parcs photovoltaïques sont en gestation : ce sont 320 hectares de forêts qui devraient y être transformés en confettis au nom de la transition. Un exemple parmi d’autres, qui de Metz, en Moselle, jusqu’aux Landes de Gascogne, dans le sud-ouest de la France, ont pour caractère commun le mitage progressif des espaces naturels.
Pourquoi les Alpes du Sud ?
À Lure, on sait que les raisons de s’installer sur la montagne sont légion.
« Les entreprises posent leurs centrales là où ça coûte le moins et où ça rapporte le plus, explique Sophie, une habitante de la montagne, membre d’Elzéard. Elles choisissent aussi des régions pauvres en population, où elles supposent qu’il y aura une plus faible résistance. »
En pleine nature, une centrale photovoltaïque peut coûter au promoteur entre 2 000 et 5 000 euros par hectare et par an ; sur une friche industrielle, ou près des villes, ce chiffre grimpe aisément jusqu’à 50 000 euros. La rentabilité est donc le gouvernail de ces projets.
Mais la montagne de Lure pâtit aussi de son microclimat, qui compte de très nombreux jours de soleil et des températures ne montant pas aussi haut qu’aux abords de la Méditerranée.
« Pour avoir un rendement efficace, les panneaux solaires ont besoin d’être exposés plein sud, résume Sophie, mais ils doivent aussi pouvoir se refroidir. Lure est donc l’endroit idéal. »
Moins avouable, peut-être, les fermes solaires constituent une manne financière importante pour les petites communes rurales en manque de trésorerie. Le projet photovoltaïque d’Ongles, par exemple, proche de la concrétisation, pourrait rapporter 60 000 euros par an au village, selon Reporterre. C’est le prix des 13 à 16 hectares de forêts nécessaires aux 8 mégawatts du parc.
À rebours de l’histoire
« Elzéard » : ce nom n’a pas été choisi par hasard : c’est celui de L’Homme qui plantait des arbres, une nouvelle de Jean Giono – un auteur de Manosque – dans laquelle un berger ressuscite sa région de Haute Provence en recréant à lui seul des forêts.
Le collectif s’est constitué à la fin de l’année 2019, lorsque des groupes d’habitants de Lure se sont rendu compte que des industriels démarchaient presque toutes les communes de leur montagne pour leur louer des terrains, parfois plusieurs par village.
Comme beaucoup de ces projets de centrales étaient déjà bien entamés, Elzéard s’est d’emblée positionné en outil de résistance : documenter, alerter, et s’il le faut combattre.
Outre une manifestation dans le cadre des Soulèvements de la Terre, le 26 avril dernier, à Forcalquier – la sous-préfecture dont dépendent les communes de Lure, guichet unique où sont présentés les projets –, l’événement le plus important de ces derniers mois, pour le collectif, a eu lieu le 22 septembre 2022.
Une bataille perdue
Ce jour-là, une cinquantaine de membres d’Elzéard, alertés par un voisin, ont occupé un chantier de défrichage sur la commune de Cruis. Situé au pied de la montagne, ce site de 17 hectares, reforesté il y a quinze ans par l’Office national des forêts (en vain), a été loué par un géant canadien des énergies renouvelables, Boralex.
Malgré des recours au tribunal administratif déposés par une autre association locale, Amilure, le promoteur avait obtenu ses autorisations et jouait la montre : défricher, au plus vite, car s’il n’y a plus d’arbres, à quoi sert-il encore de résister ?
Le 22 septembre, contournant le cordon de gendarmes et la société de protection dépêchée par Boralex, le collectif a envahi le chantier où dès l’aube, des bûcherons coupaient les troncs pendant que des machines mettaient le sol à nu.
« La seule possibilité qu’il nous restait, témoigne Sophie, c’était d’occuper les arbres. C’est là que, sous les yeux de tous, en présence même de la gendarmerie, l’un des bûcherons s’est emparé de sa tronçonneuse et a coupé l’arbre sur lequel j’étais juchée, à trois ou quatre mètres de hauteur. »
L’arbre s’effondre sur le sol. Voilà ce qu’il en coûte de manifester son désaccord. Sophie s’en sort heureusement avec une blessure au genou et des séquelles à l’épaule. Une plainte a été déposée.
Mais le plus important reste que le terrain est désormais un désert de 17 hectares attendant l’implantation imminente d’une longue clôture qui empêchera bêtes et êtres humains de passer, avant que les panneaux solaires soient posés.
500 hectares à préserver
La bataille a été perdue à Cruis, mais Elzéard ne baisse pas les bras.
« L’accident du 22 septembre a fait du bruit, note Sophie. La population a mis du temps à comprendre, mais elle se mobilise, et de plus en plus d’actions sont organisées dans la région. »
La lutte à venir est colossale : l’emprise cumulée des projets solaires est estimée à 500 hectares, qui s’adjoindront donc aux 200 hectares déjà implantés. Dans un autre ordre de grandeur, un projet d’hydrogène « vert » prévu à Manosque, dans le même département pourrait également consommer, à terme, 1 500 hectares d’espaces naturels.
Le collectif Elzéard se concentre aujourd’hui sur deux des dossiers les plus avancés, celui d’Ongles, une centrale de 13 hectares portée par Engie, et celui de Banon, une quarantaine d’hectares en deux morceaux où souhaite s’installer la filiale française du coréen Hanwha.
En décembre, une visite des lieux de la future ferme solaire d’Ongles a été organisée pour sensibiliser les habitants, et éventuellement gonfler les rangs du collectif.
« Nous voulons que les gens se rendent autonomes, qu’ils agissent eux-mêmes sur place, ajoute Sophie. Nous voulons nous organiser par la base, pour que si un groupe crée une action, il puisse être renforcé par l’apport des autres cellules. »
Friches et toitures
Elzéard alerte enfin sur deux aspects méconnus des énergies renouvelables : la course à l’installation et les déchets.
« Ces industriels font travailler des capitaux qu’ils obtiennent facilement, commente Sophie. Ils bénéficient de larges subventions, les prêts qu’on leur accorde sont estampillés verts, et les prix de rachat de l’électricité sont garantis par l’État. Quand ils choisissent un terrain rural, comme ici, leur investissement est donc remboursé en à peine dix ans. »
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Les Alpes du Sud, microclimat dépendant des forêts pour lutter contre la sécheresse, font ainsi les frais d’un marché autorisant les entreprises à réduire leurs coûts, quoi qu’il en coûte.
« Ces entreprises seront-elles là dans vingt ans, quand leurs baux arriveront à terme ? se demande Sophie. Qui débarrassera les panneaux quand ils ne produiront plus rien ? Qui les recyclera ? A-t-on évalué l’impact de leur fabrication sur l’environnement ? Et celui de la mise à nu des forêts sur le biotope ? »
D’autres solutions existent : l’Ademe a par exemple recensé des milliers de zones délaissées ou déjà artificialisées (friches, parkings, décharges…) susceptibles d’accueillir des panneaux solaires. Elle estime également que les toitures pourraient représenter un gisement de 364 GW d’électricité.
« Mais peut-être vaudrait-il mieux s’interroger sur la sobriété, c’est-à-dire la réduction des besoins plutôt que la continuation du même modèle avec une énergie dite propre », conclut la membre du collectif Elzéard.
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