Sénégal : l’honneur d’une démocratie

Le pays est passé du chaos politique à une élection présidentielle exemplaire, dont est sorti vainqueur Bassirou Diomaye Faye, désireux de démanteler un « hyperprésidentialisme » incarné par la mainmise de Macky Sall sur les pouvoirs législatif et judiciaire.

Patrick Piro • 27 mars 2024
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Les partisans de Bassirou Diomaye Faye à Dakar, le 24 mars 2024, lors du dépouillement des votes de l’élection présidentielle.
© MARCO LONGARI / AFP

Le Sénégal, il y a quelques semaines à peine, se débattait dans un invraisemblable chaos politique et institutionnel, provoqué par les tentatives outrancières du président Macky Sall de maintenir son camp au pouvoir. Et voilà aujourd’hui le pays, ses institutions et son peuple réhabilités dans leur dignité par l’entremise d’un scrutin présidentiel exemplaire.

En dépit de la déstabilisation, il a pu se tenir un mois à peine après la date prévue initialement, avec une forte participation et sans violences. Et, surtout, le résultat des urnes, ce dimanche 24 mars, inflige à Sall sa gifle la plus monumentale : c’est son opposition jurée qui l’emporte, et dès le premier tour – ce que le Sénégal n’avait jamais connu. L’élu, Bassirou Diomaye Faye, porte les couleurs du jeune parti Pastef, très critique du gouvernement et du système politique sénégalais.

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Et l’enterrement est d’autant plus soigné, pour le titulaire du trône, que Diomaye Faye, 44 ans, était un pur inconnu du public. Numéro deux du parti, il dormait même en prison dix jours avant le scrutin, incarcéré pour des motifs fallacieux. C’était également le cas de son « numéro un » et complice Ousmane Sonko, tribun très populaire déclaré inéligible par la volonté de Sall. Le voilà en quelque sorte coprésident par procuration.

Le nouveau président vient offrir la rupture qu’une bonne partie de l’électorat sénégalais appelle de ses vœux.

Il serait cependant méprisant de réduire cette victoire à un référendum anti-Sall. Il s’agit bel et bien d’un séisme politique, au regard des promesses contenues dans le programme du Pastef. Le nouveau président vient offrir la rupture qu’une bonne partie de l’électorat sénégalais – la jeunesse surtout – appelle explicitement de ses vœux, dans ce pays qui n’avait connu que quatre présidents depuis soixante-quatre ans, tous politiquement corrects vis-à-vis des intérêts de la France, et plus largement du camp occidental.

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Diomaye Faye est régulièrement présenté comme « antisystème », qualificatif peu valorisant. On le serait à moins : il veut démanteler un « hyperprésidentialisme » incarné par la mainmise de Sall sur les pouvoirs législatif et judiciaire. Au-delà des réformes internes, le nouvel exécutif brandit comme un leitmotiv la réappropriation de la « souveraineté » du pays, que l’étranger guettera avec attention.

Le Pastef met en avant la priorité à l’autosuffisance alimentaire, à une révision des contrats passés avec des opérateurs étrangers pour l’exploitation des mines et des hydrocarbures, ainsi que des accords de pêche – souvent assimilés à du pillage et qui pénalisent la pêche artisanale, principale ressource pour quelque 600 000 familles sénégalaises. Le franc CFA, symbole de la persistance de l’héritage colonial, est bien sûr dans le collimateur. Le Sénégal pourrait jouer un rôle beaucoup plus actif en faveur de son abandon au profit d’une monnaie commune à plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, projet actuellement en gestation molle.

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La sortie par le haut de la crise politique sénégalaise met aussi en relief l’échec enregistré par Paris au Mali, au Burkina Faso et au Niger, où les récents coups d’État militaires découlent en partie de la difficulté pour la France d’engager des relations d’égal à égal avec ses anciennes colonies. À Dakar, point de « Dégage la France ! » dans les rues, ce 24 mars. Ni dans la bouche de Diomaye Faye et de Sonko, qui souhaitent collaborer « avec tout le monde, mais dans des partenariats gagnant-gagnant ». Macron saisira-t-il la perche ?

Macron saisira-t-il la perche ?

En attendant, le nouveau président sera vite dans le dur. L’enthousiasme qui l’a porté au pouvoir signale tout autant l’impatience de son électorat à constater des changements rapides. Or le camp de Sall, même affaibli ces dernières semaines par des désertions significatives, est majoritaire à l’Assemblée nationale. En cas de blocage des réformes, Diomaye Faye pourrait la dissoudre, mais pas avant septembre prochain.

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