À Créteil, un procès pour « refus d’obtempérer » tourne au débat sur la crédibilité des policiers

Le parquet a requis six mois de sursis lundi 23 septembre contre une femme juive orthodoxe de 67 ans, jugée pour avoir « mis en danger » des policiers lors d’un contrôle routier. Elle dénonce de son côté des violences et humiliations antisémites.

Camille Polloni

En février dernier, Mediapart révélait les images choquantes de la garde à vue de Sarah*, une femme juive orthodoxe de 67 ans suppliant des policiers de lui rendre sa perruque, allongée sur le sol du commissariat de Créteil. Les faits remontaient au 8 juin 2023.

Si la plainte déposée par Sarah pour « violences aggravées » et « atteinte arbitraire à la liberté individuelle » a d’abord été classée sans suite par le parquet pour « absence d’infraction », avant d’être confiée à un juge d’instruction, l’enquête qui la visait est allée beaucoup plus vite.

Lundi 23 septembre, Sarah comparaissait devant le tribunal correctionnel de Créteil pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « dégradation » d’une moto de la police, après avoir refusé la procédure de plaider-coupable qui lui était proposée.

À gauche, les images de Sarah au sol lors de sa garde à vue. Au centre, Sarah lors de son témoignage à Mediapart. À droite, des motards de la police nationale. © Photomontage Mediapart

Lorsqu’elle s’avance à la barre en jupe longue, manches bouffantes et talons aiguilles à fourrure, Sarah suscite la curiosité du public. Elle n’a pas le profil, se dit-on même sans le vouloir.  À 68 ans, sa diction impeccable hésite devant la juge assesseure : « Chère madame ou chère juge, je ne sais pas comment vous appeler, c’est la première fois que je viens dans un endroit comme ça. »

Le résumé des faits qui lui sont reprochés repose, forcément, sur le récit des policiers à moto qui ont contrôlé sa voiture, ce 8 juin 2023 à Créteil. Dans leurs procès-verbaux, ils expliquent avoir décidé d’intervenir parce que Sarah roulait à « une vitesse excessive eu égard aux circonstances ». Vitesse qui n’a donc pas été mesurée.

La version de Sarah est bien différente. Elle explique qu’elle rentrait de ses courses à l’Hypercasher de Créteil, comme chaque jeudi, quand trois motards qui sortaient d’une station-service lui ont « coupé la route » en roulant sur un passage piéton. Sans réaliser qu’il s’agissait de policiers, elle les a klaxonnés. Pour elle, c’est ce qui a tout déclenché : « ils voulaient me donner une leçon ».

Des armes pointées sur la conductrice

Personne ne conteste que Sarah s’est arrêtée quand les policiers lui ont fait signe. Ni qu’elle a longuement négocié avec eux, estimant que son contrôle était infondé, comme en témoigne une vidéo enregistrée par la caméra piéton d’un agent. La divergence majeure porte sur le moment où elle a heurté une moto de police garée quelques mètres derrière elle – ce qui lui vaut d’être également poursuivie pour « dégradation de bien public », avec des réparations chiffrées à plus de 2 000 euros.

Selon la prévenue, cet « accident » a eu lieu au début du contrôle : elle a fait marche arrière pour se garer correctement le long du trottoir et n’a « pas vu » la moto, renversée sans le vouloir. Selon les policiers, alors que Sarah refusait de les suivre au commissariat, elle est remontée dans sa voiture et a redémarré pour « se soustraire au contrôle », en commençant par cette marche arrière. Ils expliquent alors qu’ils ont dû sortir leurs armes et la braquer pour qu’elle s’arrête.

Peut-être que si elle avait été noire ou arabe, elle serait morte.

Arié Alimi, avocat

Fidèle à la version de sa cliente, l’avocat Arié Alimi estime que le contrôle initial n’était qu’un « abus de pouvoir », fondé sur le « mécontentement » des policiers klaxonnés pour leurs infractions routières. En conséquence de ces « motivations illégales » il demande au tribunal de déclarer nulle l’intégralité de la procédure. Sur le fond, il soutient que Sarah n’a ni renversé volontairement la moto, ni mis en danger de personne. « Elle n’a aucune raison de se retrouver dans cette situation. Ils ont braqué leurs armes sur une grand-mère parce qu’elle avait fait tomber une moto. Peut-être que si elle avait été noire ou arabe, elle serait morte. »  

« C’est un traumatisme », reprend Sarah, qui a du mal à retracer la chronologie des événements. « Quand ils ont braqué leurs pistolets sur moi, j’ai cru mourir. J’ai perdu tous mes moyens. » Elle reconnaît avoir « tenu tête » aux policiers, les comparant même à des « voyous », mais estime que « le traitement reçu n’avait rien à voir avec [son] attitude ». « Une personne qui a six enfants et trente petits enfants ne peut pas tout accepter les yeux fermés et baissés vers le sol », estime-t-elle.

L’autre volet de l’affaire en toile de fond

À l’audience, la procureure demande la relaxe de Sarah pour la « dégradation » de la moto, retenant finalement qu’elle n’était pas intentionnelle, mais requiert six mois de prison avec sursis pour la « mise en danger d’autrui », qu’elle aimerait voir requalifiée en « refus d’obtempérer aggravé ». « Elle tente de prendre la fuite après avoir malencontreusement renversé la moto », maintient la magistrate. « J’entends qu’elle ne s’en souvienne pas, mais qu’elle nie l’évidence, c’est autre chose. »

Difficile, dans cette audience, de ne pas évoquer ce qui s’est passé ensuite au commissariat de Créteil. Pendant sa garde à vue, Sarah reproche aux policiers de lui avoir porté des coups, d’avoir trop serré les menottes et surtout de lui avoir confisqué sa perruque, intimement liée à sa pratique religieuse, alors qu’elle était en pleine crise d’angoisse et avait fait un malaise.

« L’affaire a défrayé la chronique, elle commence par ces images-là », rappelle Arié Alimi, qui dénonce le « comportement antisémite » de ces policiers et leur « volonté de soumettre ». Habitué des dossiers de violences policières, l’avocat voit dans cette affaire « le cas particulier qui montre que le mal qui touchait d’abord les plus précaires, les plus basanés, les plus discriminés s’étend progressivement à tout le monde, même à des grands-mères juives qui vont faire leurs courses de shabbat ».

« Pensez-vous que les policiers et le ministère public ont pu vouloir se protéger en vous renvoyant devant le tribunal ? » demande l’avocat à sa cliente, qui lui répond du tac au tac : « attaquer, c’est aussi une manière de se défendre ». Arié Alimi reproche au ministère public de se comporter comme « l’avocat des fonctionnaires de police » et plaide la relaxe auprès du tribunal.

« Est-ce que vous allez condamner une femme de 67 ans pour “refus d’obtempérer” sur les simples déclarations des fonctionnaires de police, alors même qu’ils mentent depuis le départ ? Ceux qui ont rédigé les procès-verbaux sont ceux qui s’estiment victimes, que le parquet estime victimes, mais aussi ceux qui ont commis les infractions routières ayant donné lieu à cette procédure et qui ont commis les violences. » 

Dans ce volet de l’affaire, le tribunal doit rendre sa décision le 14 octobre. Dans l’autre, l’instruction suit son cours.

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