Après la mise en examen de Sophia Chikirou, silence radio à LFI

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La direction de La France insoumise continue de dénoncer une « opération politico-judiciaire » ciblant les proches de Jean-Luc Mélenchon. Certains élus du parti se contentent de relayer la ligne officielle, quand d’autres se murent dans le silence afin d’éviter les problèmes.

Mathieu Dejean

« Tous aux abris ! » C’est la consigne qui semble avoir été passée en interne à La France insoumise (LFI) mardi 24 septembre, à l’annonce de la mise en examen de la députée de Paris Sophia Chikirou dans l’affaire du financement de la campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2017. Cette proche de l’ancien candidat à la présidentielle, qui occupe une place importante au sein du mouvement, est poursuivie pour escroquerie aggravée, abus de biens sociaux et recel d’abus de confiance.

Quelques heures après sa convocation devant un juge d’instruction et sa mise en examen, la direction de LFI a publié un communiqué, dénonçant « un acharnement judiciaire et médiatique insupportable ». Son contenu n’est guère surprenant au regard des précédentes réactions depuis l’ouverture de l’enquête au printemps 2018. Le mouvement fustige « une opération politico-judiciaire sans fin […] ciblant l’entourage de Jean-Luc Mélenchon », qui « a permis d’entretenir un climat de suspicion et d’alimenter un flot ininterrompu des pires injures racistes et sexistes sur les réseaux sociaux ».

Sophia Chikirou aux côtés de Jean-Luc Mélenchon à Paris, lors d’une manifestation pour un cessez-le-feu à Gaza et en solidarité avec le peuple palestinien devant les bureaux des Nations unies à Genève, le 3 février 2024. © Photo Fabrice Coffrini / AFP

LFI fait également remarquer que d’autres responsables du mouvement ont fait l’objet de convocations pour différents motifs ces derniers jours : Louis Boyard pour une plainte déposée par Marine Le Pen ; Mathilde Panot pour une plainte déposée par le chef du groupuscule français d’ultradroite OAS Logan Nisin, et Jean-Luc Mélenchon lui-même pour un parallèle qu’il avait fait entre le président de l’université de Lille et le nazi Adolf Eichmann… C’est donc bien qu’il y a « une stratégie de pourrissement des relations politiques », estime LFI, autrement appelée en interne « stratégie de lawfare ».

Ce terme juridique complexe avait été mis en circulation dans le débat public français par Jean-Luc Mélenchon à l’été 2019, qui le résumait à « l’usage de la justice contre les opposants politiques » – comme ce fut le cas notamment avec le président brésilien Lula. Il anticipait alors son procès en correctionnelle pour rébellion à la suite de la perquisition mouvementée du siège de LFI. Le communiqué du mouvement concernant Sophia Chikirou reprend la même défense, et renvoie même vers un documentaire sur « le cas Mélenchon » réalisé par… Sophia Chikirou.

Un communiqué et des silences

Circulez, il n’y a donc rien à voir. C’est d’ailleurs en vain que Mediapart a tenté de joindre mardi plusieurs responsables de LFI afin de solliciter une plus ample réaction – Aurélie Trouvé, Éric Coquerel et Antoine Léaument, entre autres, n’ont pas donné suite à nos demandes ; Aurélien Saintoul a quant à lui affirmé « ne pas être au courant » en début d’après-midi. Sur le réseau social X, les plus prompts à relayer le communiqué de LFI étaient les membres du noyau dur du mouvement, fidèles en toutes circonstances à Jean-Luc Mélenchon et à ses proches.

Aurélien Taché, qui fait partie de ceux-là, a ainsi écrit en commentaire du communiqué : « Pas d’enrichissement personnel, pas de surfacturation, mais une mise en examen… dont le but est d’affaiblir la seule véritable opposition à Emmanuel Macron ! » « On essaye de discréditer des opposants politiques qui font peur », ajoute-t-il auprès de Mediapart. La direction de LFI a d’ailleurs fait un lien entre cette mise en examen et la procédure de destitution en cours contre Emmanuel Macron.

« Je suis cette affaire depuis des années, il y a une forme d’acharnement sur le plan judiciaire, sans jamais que la preuve qu’il y aurait eu des malversations financières ayant permis à Sophia Chikirou de s’enrichir soit avancée. Il y a eu des cas de comptes de campagne bien plus problématiques, qui n’ont pas conduit à la même réaction. C’est un deux poids, deux mesures qui me choque sur le plan démocratique », affirme encore Aurélien Taché, en allusion à l’implication d’une équipe du cabinet McKinsey dans l’élection d’Emmanuel Macron en 2017.

Le même argument a été avancé, presque mot pour mot, par Jean-Luc Mélenchon : « Pas une seule de ces accusations n’a le moindre fondement concret. Nous en avons donné dix fois la démonstration. […] Si les juges cherchent vraiment des comptes de campagne qui posent problème, […] ils pourraient se tourner vers la société McKinsey, qui a aidé puissamment d’après des accusations de journalistes la campagne de monsieur Macron », a-t-il affirmé lors d’un micro tendu. Sophia Chikirou a de son côté mis en ligne sa déclaration aux juges. Mais bon nombre de député·es se sont abstenu·es de relayer ces éléments de langage.

Un malaise grandissant

Les tentatives de diversion des premiers soutiens de Jean-Luc Mélenchon masquent mal l’embarras du mouvement alors que la justice soupçonne bien Mediascop, la société de conseil en communication de Sophia Chikirou, d’avoir surfacturé certaines prestations lors de la campagne présidentielle de 2017 – ce que nie l’élue de 45 ans, mise en cause mais présumée innocente. Sophia Chikirou était alors en couple avec le fondateur de LFI, ce qui explique le caractère inflammable de sa mise en examen en interne.

Le même malaise avait saisi le mouvement il y a un an, après la diffusion d’un reportage de « Complément d’enquête », sur France 2, consacré à l’affaire. À cette époque, la députée LFI Danielle Simonnet (qui siège désormais dans le groupe écologiste, à la suite de la « purge » des législatives anticipées) avait envoyé un courrier dans la boucle Telegram des député·es pour demander des explications. Elle s’interrogeait notamment « sur le montant de rémunération que [Sophia Chikirou avait] pu percevoir lors de la campagne de 2017 », lequel pouvait soulever une question « éthique, comparé aux rémunérations des autres salariés qui constituaient l’équipe de campagne ».

Selon les données financières obtenues par les enquêteurs, la campagne présidentielle de 2017, suivie des élections législatives, a in fine permis à Sophia Chikirou de se verser à titre personnel, pour des prestations s’étalant de septembre 2016 à juin 2017, plus de 135 000 euros de salaires et dividendes avant impôts.

« Des explications peuvent selon moi être demandées à Sophia Chikirou, à l’équipe de campagne de Jean-Luc Mélenchon comme à Jean-Luc Mélenchon lui-même sur les écarts si conséquents entre la rémunération de l’époque de Sophia Chikirou et celle d’autres camarades tout aussi impliqués dans la campagne », écrivait encore Danielle Simonnet en octobre 2023, sans jamais obtenir de réponse. Sa non-investiture par LFI aux législatives anticipées et le poids que Sophia Chikirou a mis pour faire campagne contre elle à Paris se comprennent mieux à cette aune.

Au-delà des tweets vindicatifs de certains cadres insoumis – dont celui de Bastien Lachaud, lui-même mis en examen, sur « l’ignoble campagne de dénigrement alimentée par quelques hyènes » –, l’épisode du « Complément d’enquête » avait eu un effet dépressif sur les troupes mélenchonistes. Une partie de celles-ci se retrouvent à Paris mardi soir pour un meeting au local du Parti ouvrier indépendant (POI) avec Mathilde Panot, Louis Boyard, Danièle Obono et Raphaël Arnault. Le sujet Chikirou ne devrait pas y être abordé, quand bien même il serait dans tous les esprits.

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