10 septembre 2024
Dans le sud de l’Ardèche, les projets de panneaux photovoltaïques sur des zones naturelles se multiplient. Un collectif d’habitants et paysans alerte sur le risque de voir disparaître la garrigue et sa biodiversité.
Lablachère, plateau des Gras (Ardèche), reportage
Des tas de gravats et des dépôts sauvages de déchets s’accumulent le long du chemin menant à la zone d’activités du Varlet, à Lablachère, commune du sud de l’Ardèche. Le site, composé d’une scierie, d’une unité de production de béton et d’une carrosserie, a été construit en plein cœur de la garrigue.
Sa surface pourrait prochainement tripler avec le projet d’installation de panneaux photovoltaïques (PV) au sol de 15 hectares. Porté par la société Soleil de Varlet sur un terrain privé dans une zone Natura 2000, le dossier est en cours d’instruction par les services de l’État.
Autour de la zone industrielle, le sol est parsemé de gros cailloux et d’une végétation fleurant bon l’odeur du thym. Pendant qu’il foule une pelouse sèche et serpente entre les genévriers, Simon, écologue, ne cache pas son inquiétude pour ce milieu en apparence hostile, mais qui regorge d’espèces protégées : « Depuis les années 2000, les surfaces imperméabilisées se multiplient dans les garrigues : lotissements, décharges, carrières, zones artisanales et commerciales et maintenant les panneaux photovoltaïques sur de très grandes surfaces… Le risque est qu’à terme elles finissent par disparaître. »
Avec un ensoleillement important, une topographie relativement plate et une disposition à l’abri du regard, le plateau des Gras — constitué de garrigues sur 50 kilomètres entre Aubenas et le nord du Gard —, est devenu la cible des promoteurs de panneaux solaires.
C’est en apprenant l’existence de treize projets en phase d’étude, allant de un à trente hectares au sol — tous situés sur des terres de garrigues — que des habitants, naturalistes, bergers et agriculteurs ont créé le collectif Garrigues vivantes avec l’objectif de lutter contre leur artificialisation.
« Les garrigues sont des sanctuaires de la biodiversité »
La preuve, selon Simon, que ces habitats typiques de la région méditerranéenne souffrent d’un manque de considération politique. « Parce qu’elles sont dépourvues de grands arbres, les propriétaires et les élus ont tendance à les considérer comme de simples réserves foncières », déplore-t-il. « Pourtant, les garrigues sont des sanctuaires de la biodiversité qui abritent des milliers d’espèces animales et végétales. »
« Ces dernières années, les propriétaires de parcelles sont démarchés par des promoteurs », témoigne Pascal Vedel. L’apiculteur à Joyeuse, commune voisine de Lablachère, est sceptique face aux arguments sur la lutte contre le changement climatique déployés dans leurs prospectus.
« L’objectif de ces entreprises de l’énergie est purement lucratif. Elles démarchent les privés, lancent des études et arrivent auprès des élus avec un projet clef en main. Ces derniers se laissent convaincre parce qu’on leur fait miroiter de fortes retombées économiques. Mais quid de la sobriété ? se demande-t-il. Et à qui profite la production de cette énergie ? Quand on fait nos recherches, on se rend compte que ce sont les industriels de l’énergie qui sont à la manoeuvre… »
Derrière l’entreprise Soleil du Varlet, on trouve deux entrepreneurs locaux et la société Verso Energy, capable d’investir 1 milliard de dollars dans l’hydrogène. Cette dernière appartient à Xavier Caïtucoli, cofondateur de l’entreprise Direct Énergie, rachetée par TotalEnergies en 2018.
« C’est l’entreprise qui s’occupe de tout »
À Vogüé, commune du plateau, c’est la société Générale du Solaire, présentée comme « premier producteur d’électricité renouvelable » en France, qui vient de signer un bail de location avec la commune pour un projet sur 18 hectares. « Cela représente environ 100 000 euros par an de retombées économiques et c’est l’entreprise qui s’occupe de tout, explique le maire Antoine Alberti. Pour une commune de 1 300 habitants, c’est loin d’être négligeable. »
Quant au maire de Lablachère, qui a répondu par courriel à Reporterre, il défend le projet du Varlet comme une réponse à une demande de l’État d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables. La loi du 10 mars 2023 enjoint toutes les communes à établir des « zones d’accélération » favorables à l’accueil de tels projets.
En Ardèche méridionale, il est prévu que la production photovoltaïque soit multipliée par six à l’échéance de 2030. « Si chacune des 335 communes d’Ardèche montait un parc PV au sol de 10 ha — une surface modeste à la vue des projets que l’on découvre — cela représenterait 3 350 ha, soit autant que 15 ans d’artificialisation « courante » à marche forcée », alerte le collectif Garrigues Vivantes.
Bien que la loi encourage en priorité le recouvrement des surfaces déjà artificialisées (toitures, aires de stationnement, sites pollués), dans les faits, les fournisseurs d’équipement d’énergie solaire se ruent sur les zones naturelles.
À Lanas, plus au nord, l’aérodrome détenu par le syndicat départemental d’équipement de l’Ardèche a construit sur des terres de garrigues une centrale photovoltaïque d’un kilomètre de long et d’une capacité de 12 MWc (Mégawatt-crête) — avec une production de 18,5 GWh par an, soit l’équivalent de la consommation électrique annuelle de 12 000 personnes. Et ce, malgré la disponibilité à sa lisière d’un ancien parc de loisir de 12 hectares en friche depuis 2014… Cette centrale, construite par UrbaSolar, a tour à tour été vendue au groupe franco-italien Dhamma Energy en 2021 et depuis rachetée par le groupe italien Eni.
« Le choix de la localisation des projets [photovoltaïques] résulte presque exclusivement d’une opportunité foncière, majoritairement des espaces naturels, agricoles, voire forestiers », alertaient dans leur rapport d’activité 2023 les Missions régionales d’autorités environnementales (MRAE) chargées d’émettre des avis sur les études réalisées pour chaque projet photovoltaïque dont la puissance est égale ou supérieure à 1 MWc.
Destruction du sol
Bien que la végétation puisse pousser en dessous, la construction des centrales photovoltaïques provoque automatiquement la destruction du sol, explique Simon, biologiste de formation : « Les travaux d’installation consistent essentiellement à aplanir le sol. Pour cela, il est concassé et broyé, ce qui change totalement ses propriétés physico-chimiques et menace de faire disparaître les espèces qui vivent en relation avec lui. » Or c’est bien ce dernier qui détermine ensuite la végétation qui s’y épanouit.
Dès lors qu’elles sont réversibles et disposent d’un couvert végétal, les centrales photovoltaïques ne sont pas considérées comme des terres artificialisées. C’est pourquoi les énergéticiens utilisent l’argument de l’agrivoltaïsme, soit le cumul de l’activité de production d’énergie et agricole, pour démarcher les propriétaires.
« Le photovoltaïque, c’est le plan social des éleveurs »
Cette activité contestée par une partie du monde paysan représente une menace directe pour l’élevage extensif encore pratiqué dans la région, affirme Julia Burrillon, éleveuse de chèvres sur le plateau : « Nous faisons pâturer nos chèvres sur de très grandes surfaces avec le souci de maintenir l’équilibre du sol. Mais nous, les éleveurs, on ne rapporte rien aux propriétaires par rapport aux entreprises du photovoltaïque. Quand nous payons 50 euros l’hectare par an pour le pâturage, elles proposent 6 000 euros. Le photovoltaïque, c’est le plan social des éleveurs », assène-t-elle. Elle considère que les conditions d’élevage sous les panneaux sont mauvaises pour les troupeaux en raison d’une végétation moins riche et d’un niveau de température au sol trop élevé.
Pour alerter du risque de voir le paysage définitivement détruit, le collectif Garrigues vivantes compte bien continuer à organiser des réunions publiques. « La garrigue est issue du croisement des activités humaines et de processus naturels », rappelle Simon, en spécialiste du milieu. « On retrouve des traces de l’élevage qui datent du néolithique. Les garrigues sont un monument naturel dont on a hérité. Nous sommes sur le point de le détruire définitivement pour des panneaux dont la durée de vie n’excède pas trente ans. »
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