On se croirait dans un vieux film d’horreur de la cinémathèque : on a remonté le temps. Des morts-vivants du RPR ont été réanimés pour fabriquer – dans la douleur – un semblant de gouvernement. Mais, tout le monde le sait, ce ne sont que des figurants de passage, errant un instant dans le crépuscule d’institutions qui ne sont plus elles-mêmes que des décors de théâtre. Élections représentatives, Présidence de la République, Assemblée Nationale, Sénat, Conseil Constitutionnel, Conseil d’État… tout cela a perdu de sa crédibilité. Plus grand monde n’y croit et cela sonne faux. 90% de la population est contre la réforme des retraites, on nous l’impose à coups de 49.3 à répétition. Les électeurs aux législatives choisissent la gauche en premier, on nous sort le pire gouvernement de droite regroupant les perdants du scrutin. Le sens du vote était d’empêcher le RN d’accéder au gouvernement. Il perd et on en fait le gagnant.
C’est pour cela que ces nouveaux ministres ne sont que des zombies errant au milieu des décombres d’un régime finissant et qu’ils tomberont probablement avant la fin de l’année, au vote du budget. Et si ce n’est pas là, ce sera à peine plus tard, le compte à rebours a déjà commencé. Il suffit de remarquer pour cela qu’aucun des chefs des différents partis composant le gouvernement, n’en est membre. C’est qu’ils aiguisent les couteaux pour leurs ambitions personnelles et ne seront ainsi pas les derniers à torpiller le fragile bateau gouvernemental.
Évidemment, les morts-vivants tenteront de s’attaquer aux libertés, aux droits sociaux, à l’école, aux hôpitaux, aux services publics et puis aussi aux immigrés, aux minorités sexuelles, aux femmes, aux jeunes, aux travailleurs, à l’environnement… comme il en est de leur nature de morts-vivants. Mais ils « tenteront » seulement, parce que faut-il encore en avoir la force, tout n’étant que rapport de force. Et si certaines de leurs tentatives peuvent passer, d’autres seront assurément des facteurs d’explosion sociale et d’accentuation de la crise du régime.
Or s’il y a crise du régime, usure du régime, c’est parce qu’il y a un changement progressif des rapports de force généraux. Ce n’est pas tant qu’il y ait une forte hausse des conflits sociaux. La lutte de classe a toujours été à un haut niveau en France. Il y a, par contre, une politisation des luttes sociales, c’est-à-dire une marche vers leur unification. Et c’est ça qui leur fait peur, qui alimente la crise de leurs institutions. Ils avaient jusque là un système qui les protégeait parce qu’il séparait les luttes économiques et sociales de ceux d’en bas des luttes politiques. On faisait grève et en débouché politique à ce mécontentement social, on nous offrait de « bien » voter. L’amplification de la lutte sociale comme son propre débouché politique jusqu’à la grève générale était reléguée aux oubliettes. Les élections étaient un moment de trêve sociale.
Le premier rejet de ce système a été l’abstention électorale. Ça affaiblissait l’autorité morale du système mais cette désertion du terrain politique n’entravait pas encore son efficacité globale. C’était un symptôme d’une tectonique des plaques plus profonde. Aujourd’hui, la tendance s’inverse. Chaque élection politique devient un moment de conflictualité sociale amplifiée et la participation électorale augmente, y compris dans les quartiers comme aux dernières législatives. Il y a une progression de la politisation du prolétariat et une politisation montante qui s’éloigne du piège du RN. Et c’est ça qui les inquiète, qui met leur régime en crise. Et ce n’est pas qu’une crise du système institutionnel français, c’est mondial : la classe ouvrière tente de monter sur la scène politique et d’apporter ses propres solutions et ses propres méthodes aux problèmes généraux.
Bien sûr, pour l’essentiel, cette montée sur la scène politique n’est ni un phénomène homogène ni conscient. C’est une tendance. Entre l’auto-organisation de la démocratie directe ouvrière ou populaire et la situation actuelle, il y a bien des étapes. Cependant, les marches pour la destitution de Macron des 7 et 21 septembre en font partie. Elles n’ont pas été un succès fulgurant mais tout de même suffisamment important pour que ce soit quelque chose d’exceptionnel.
LFI oriente ces marches vers une destitution non par en bas mais par en haut, cependant personne ne se fait d’illusions à ce sujet. Et au contraire, ce mouvement pour la destitution de Macron par en haut prolonge de fait les mouvements par en bas pour la « démission » de Macron, « Colère » « Front Social », « Gilets Jaunes », mouvement contre les 49.3 durant la lutte pour les retraites, qui fertilisent le mouvement ouvrier traditionnel depuis 2017 et contribuent à maintenir cette politisation des mouvements sociaux qui est au cœur de toute solution pour arriver à résoudre la crise avec des perspectives humaines, fraternelles, justes. Pour le moment, ça reste confus. On ne parle pas encore de révolution socialiste, mais pour continuer à faire vivre la démocratie, on parle de « révolution citoyenne », voire parfois de « VIe république (mais moins aujourd’hui, où il faudrait justement en parler plus).
Or il y a une articulation des deux. Il ne peut pas y avoir de révolution socialiste sans en même temps une révolution démocratique. Et réciproquement. En même temps, un premier pas vers cette révolution démocratique est fait, c’est aujourd’hui le mouvement pour la démission/destitution de Macron. Mais il y a un enchaînement logique. On voit bien que la présidence telle qu’elle est conçue fait système avec le Sénat, le Conseil constitutionnel, etc… et n’est pas que liée à la Ve République. C’est un tout. La présidence de la République comme le Sénat ont été à leur origine des concessions au système monarchiste pour rassurer les possédants face aux dangers du suffrage universel. Alors oui, une véritable démocratie citoyenne cela signifie la mise à bas de la Ve république, mais aussi tout simplement de la présidence et du Sénat. Et on ne peut penser une « vraie » démocratie sans le complément de députés révocables à tout moment dès l’instant qu’ils ne respectent pas le mandat pour lequel ils ont été élus et avec un salaire qui ne dépasse pas le salaire moyen. Tout cela est dans l’air du temps actuel et s’y renforcera dans les mois à venir, comme cela fait partie de notre histoire, de la Constitution de 1793 à la Commune de Paris. C’est dans l’air du temps et dans celui des manifestations pour la destitution de Macron. Les pancartes faisant référence au « ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne » ou à la guillotine y ont été nombreuses.
Et cet air politique du temps social cherche à s’inviter à juste titre dans la manifestation syndicale du 1er octobre en couplant les revendications économiques aux politiques alors que les directions syndicales qui en sont initiatrices ont, au contraire, choisi de prendre le plus de distance possible avec cette ambiance politique qui leur fait peur. En effet, si les partis peuvent proposer une perspective de destitution sans trop de risque parce qu’institutionnelle, les directions syndicales seraient poussées sur cette voie vers des grèves et des manifestations de rue ne sachant pas où cela pourrait conduire, ce qui les rapprocherait trop d’une politique révolutionnaire qu’elles refusent de toutes leurs forces. Elles se sont donc réfugiées dans une orientation syndicale tout ce qu’il y a de plus routinier et hors sol -retraites, salaires, services publics-, ce qui est légitime mais comme s’il ne se passait rien au niveau politique. Elles donc sont coincées entre la caution au nouveau gouvernement par le dialogue social contre l’opinion publique et le mouvement pour la destitution, avec une base qui dans cette orientation pourrait les pousser vers une politique de construction de la grève générale.
Si la CFDT et ses proches piaffent d’impatience sur le paillasson du gouvernement Barnier, le groupe CGT/FSU/Solidaires hésite et ouvre ainsi la porte à la possibilité d’y féconder le 1er octobre par le courant des 7 et 21 septembre, bref porter la voix de la grève générale politique pour faire tomber Macron, dont tout le monde comprend qu’il est un obstacle à tout progrès social et même à tout simple progrès revendicatif.
Un gouvernement fragile, une montée politique des luttes sociales, la situation est favorable au camp des révolutionnaires. Mais prenons-y garde, tout retard dans cette politique, tout ce qui sera ressenti comme une incapacité ou une impuissance du mouvement ouvrier, syndical, politique, progressiste, écologiste, féministe, antifasciste dans cette situation, permettra l’apparition de Bonaparte démagogues, pas nécessairement issus de l’extrême-droite mais peut-être plutôt du centre, pour mettre en place un régime autoritaire autour de leur personne et de l’ordre contre le chaos. La planète en a déjà vu surgir partout dans la période qui finit maintenant, depuis les Trump aux Orban ou Modi en passant même par Macron. Mais ceux qui peuvent surgir aujourd’hui où la contestation d’en bas peut devenir dangereuse pour ceux d’en haut parce que leurs régimes de domination traditionnels ne font plus illusion, peuvent être bien plus toxiques encore.
Avec l’accélération des temps politiques qui s’annonce et qui a déjà commencé depuis la dissolution, nous ne pouvons compter qu’en mois, avant qu’un tournant décisif s’avance.
Ne tardons pas. Et commençons par faire du 1er octobre un succès en en faisant une réponse politique au gouvernement Barnier des perdants et en y préparant une suite rapide.
Jacques Chastaing, 22 septembre 2024
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