L’Histoire est en marche, par Jacques Chastaing

Par aplutsoc le 8 septembre 2024

En mettant en place une cohabitation RN/Macron au travers de la marionnette réactionnaire Barnier, Macron s’est assis sur le résultat des élections législatives de juillet qui était clairement un refus de tout gouvernement RN.

Mais Macron n’a pas seulement réalisé un coup d’État contre la démocratie -ce que beaucoup ont souligné – mais il a aussi réalisé un coup de force au caractère de classe contre les électeurs populaires de gauche en tenant leur vote pour nul et non avenu – ce qui a été moins souligné – et qui, pourtant, porte à de bien plus grandes conséquences.

En effet, en refusant de tenir compte du vote des électeurs populaires de gauche et en faisant ainsi renaître la notion de « classes dangereuses », Macron a exclu toute une frange du peuple du monde électoral citoyen. Macron a réinventé le cens électoral qui au XIXe siècle ne permettait de voter qu’aux citoyens les plus aisés, excluant les « classes dangereuses » de tout suffrage. Il était clair que son putsch était motivé socialement par son refus de toute remise en cause de la réforme des retraites ou toute possibilité de hausse des salaires ou simplement de justice sociale. Mais, plus encore, il était surtout motivé politiquement par une volonté de classe, le refus que les jeunes et les travailleurs aient le sentiment d’une victoire après leur mobilisation exceptionnelle de juin/juillet avec leurs propres méthodes actives hors des sentiers battus traditionnels qui avaient donné un parfum prolétarien et subversif à la campagne électorale. Macron et toute la bourgeoisie ont voulu avant tout effacer ce succès d’une mobilisation par en bas. Faire douter les opprimés de leur capacité à s’émanciper est une constante de la propagande quotidienne de la bourgeoisie. Et là, après cette victoire visible aux législatives contre toutes les prévisions des sondages, de la presse et des partis, ils ne voulaient surtout pas que les jeunes et les travailleurs puissent prendre confiance en leurs propres forces et à partir de là, se sentir encouragés à aller plus loin, bien plus loin que la retraite ou les salaires.

La participation électorale des quartiers populaires a augmenté notablement dans ce scrutin, portant son vote avant tout vers LFI, la frange la plus radicale du NFP, ce qui a contribué à faire le succès global du NFP. Cette victoire a donc été en premier lieu celle de la jeunesse prolétarienne des quartiers, celle que Macron et ses policiers avaient écrasé avec une haine incroyable et dans la pire des violences en juin/juillet 2023, et qui là, passait un nouveau cap en se politisant, devenant encore plus dangereuse qu’il y a un an, pouvant redynamiser, radicaliser les combats traditionnels de la classe ouvrière, voire même faire naître en son sein les Malcom X de demain. C’est à cela qu’a répondu Macron. C’est ce spectre qui les terrorise qu’il a voulu exorciser en décidant de cohabiter avec le pire ennemi des quartiers, le RN. Certes, cette participation électorale des quartiers et des classes populaires -c’est-à-dire une politisation qui ira bien plus loin que les élections – reste encore pour le moment inférieure à la moyenne générale de participation. Mais la dynamique de la progression de la participation en milieu populaire lors de ces législatives a été telle qu’elle pourrait se rapprocher à terme de la participation électorale moyenne. Or, en ce cas, même sans aller plus haut, le NFP peut tout à fait gagner une majorité absolue aux prochaines législatives tout autant que gagner également aux présidentielles ou faire un malheur aux élections municipales.

C’est pourquoi, pour tenter de casser une dynamique possible autour d’un sentiment de victoire, d’une prise de confiance du prolétariat en ses propres forces, Macron a d’abord tenté de casser le NFP qui symbolise par son union, cette montée en confiance de ceux d’en bas. Puis, faute d’arriver à débaucher des Cazeneuve et autres Hollande (et il va encore essayer de le faire pour la composition du gouvernement), et construire ainsi un « centre » élargi avec LREM, des morceaux du NFP et des bouts de LR pour continuer à jouer de la confusion et de la fiction du barrage contre le RN, il a fini par choisir l’union des droites et la cohabitation avec le RN, révélant clairement son orientation de classe : « Plutôt Hitler que le Front populaire ». Au moins, c’est plus clair : Macron roule pour le RN et le RN roule pour Macron. Evidemment, le Front Populaire ou les Blum d’aujourd’hui ne font pas peur à la bourgeoisie et à ses serviteurs. Mais ils ont peur qu’un succès du Nouveau Front Populaire obtenu par une mobilisation inédite des classes d’en bas et de sa jeunesse puisse ouvrir à des prises de conscience et des colères populaires encore plus importantes, comme le succès du Front Populaire en mai 1936 a ouvert la porte à la grève générale de mai/juin 1936, aux congés payés, aux 40 heures, aux conventions collectives, aux droits sociaux et syndicaux… concédés pour empêcher la mise en route d’un processus, lui carrément révolutionnaire.

Or, si Macron et les possédants ont eu peur de la mobilisation de juin-juillet et ont tenté de lui donner un coup d’arrêt, ils ont échoué puisque celle-ci a été confirmée par la manifestation du 7 septembre.

En effet, la participation importante au 7 septembre malgré l’absence d’appel des directions syndicales ou du PS et les appels plutôt mollassons du PCF et des écologistes, a confirmé que la confiance des jeunes et des classes populaires en elles-mêmes qui s’était reconstruite dans les législatives de juin/juillet après les trahisons du mouvent des retraites et de la révolte des quartiers au printemps/été 2023, est toujours bien présente.

Macron a réussi à gommer l’effet qu’aurait pu avoir un sentiment de victoire abouti mais a échoué en voulant casser cet embryon de confiance retrouvée qui y a mené. La réussite du 7 septembre, qui n’est certes pas immense mais par contre très significative étant donné les circonstances, a montré qu’il n’y est pas arrivé. En conséquence, de la même manière que cette confiance retrouvée a jalonné le succès des législatives, il est certain qu’elle va marquer toute la période à venir.

Et c’est déjà fait. Ainsi, la rentrée sociale a d’abord été une rentrée politique. Ce qui est exceptionnel.

Cela signifie que toutes les mobilisations à venir, tout particulièrement les mobilisations syndicales traditionnelles émiettées dont plus personne ne veut, en seront impactées. Si les élections perdent de leur légitimité, la rue en gagne. Et en en gagnant, elle cherche à imposer ses propres rythmes de mobilisation, avec ses méthodes d’imprévisibilité qui paniquent l’ordre établi.

Lorsque des gens ordinaires qui n’ont pour la plupart aucune expérience politique préalable participent à des évènements « extraordinaires », cela leur donne conscience de faire l’histoire, ce qui confère aux événements auxquels ils participent une extraordinaire énergie créative et propulsive avec une forte puissance d’étonnement et de surprise. On l’a vu dans la campagne des législatives comme on le voit dans les mobilisations écologistes. En voulant nier le peuple de gauche, le réduire à des « rien » ou des « gens d’en bas » comme dit Barnier – hier on aurait dit le Tiers-Etat-, et à les exclure du processus électoral, Macron conduit ces « rien » à vouloir devenir « tout ». C’est la logique des révolutions. L’histoire n’est pas terminée comme certains ont voulu le faire croire ces dernières décennies et l’histoire des révolutions est plus devant nous que derrière nous.

Cette histoire est en marche. Chaque évènement à venir peut être habité de cette puissance de subversion des « gens d’en bas » même si eux-mêmes ne sont pas encore habités de cette pleine conscience révolutionnaire. Mais non ne naît pas révolutionnaire, on le devient. Et le processus a commencé. Les directions syndicales n’appelaient pas au 7 septembre, mais de très nombreux syndicats locaux, Union locales ou départementales ont désobéi et y ont appelé. Le processus de destitution engagé par LFI n’a aucune chance institutionnelle d’aboutir mais a toutes les chances de maintenir l’esprit politique de cette destitution au centre de l’actualité et de l’agitation en bas. La mobilisation syndicale du 1er octobre peut en être l’occasion au point d’en changer le sens par-delà ses organisateurs et devenir une manifestation politico-syndicale encore plus large du processus de « destitution ». Le procès des Le Pen et de 25 dirigeants du RN à partir du 30 septembre pour détournement en bande organisée de fonds publics peut en être une autre occasion. Nul ne peut le prévoir, mais il est sûr que la destitution, le déblaiement, la démission… des Macron, Barnier, Le Pen et de la constitution quasi royale de la Ve république, seront à tout moment partout, aussi bien dans les esprits que dans les évènements.

Il y a déjà eu un précédent récent de vol des élections qui a donné ces mêmes résultats subversifs. C’est celui des législatives du printemps 1967 où les gaullistes n’ont gagné les élections qu’avec une différence d’un seul siège. Cela les a poussés ensuite à gouverner par décrets, tous dans un sens réactionnaire contre l’opinion populaire qui s’était exprimée dans les urnes ce qui a donné ce même sentiment général de « vol ». Or ce sentiment -ou cette conscience – a alors généré une politisation dans les mois suivants en particulier de la jeunesse durant tout l’automne hiver 1967, réactivant durant toute cette période d’anciens combats endormis dans lesquels étaient impliqués à chaque fois, le même vol, la même mise sur la touche des classes populaires. Ainsi il y eut, par exemple, une forte remobilisation de la jeunesse étudiante contre la réforme Fouchet – équivalent de ParcourSup aujourd’hui-, contre la sélection sociale, alors que cette lutte était plus ou moins en sommeil depuis 1965, qui a débouché quelques mois plus tard, sur la grève générale de mai 68.

Macron n’a pas seulement volé les élections, il a cherché à voler le succès de la mobilisation des classes populaires, pour empêcher tout sentiment de victoire en particulier dans la jeunesse prolétarienne des quartiers. Mais cette montée du prolétariat sur la scène politique aujourd’hui, se fait et se mesure à l’échelle mondiale. C’est une tendance lourde de la période, un processus inexorable qui ne peut pas être arrêté, sinon très momentanément, ni au Bangladesh, en Inde, au Nigeria, aux USA ou en France.

L’histoire est en marche et nous en faisons partie.

Jacques Chastaing, 8 septembre 2024

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