Pour son premier gouvernement, Michel Barnier rejoue l’alliance RPR-UDF des années 90

La première équipe gouvernementale de Michel Barnier devrait être annoncée dans le week-end. Une liste de trente-huit noms, les deux pieds à droite, a circulé avant même d’être formellement présentée à l’Élysée.

Ilyes Ramdani

Sa composition n’a pas encore été officiellement annoncée, mais sa couleur ne fait aucun doute. Le premier gouvernement de Michel Barnier sera à droite. Comme les précédents, mais encore plus à droite qu’avant. Le nouveau premier ministre a proposé jeudi soir une liste de trente-huit noms au président de la République, dont la plupart ont déjà fuité, alors même que l’Élysée n’a rien acté.

En attendant une annonce prévue dans le week-end, les contours de la nouvelle équipe ministérielle ne bougeront plus. Chargé par Emmanuel Macron d’opérer le « rassemblement le plus large », Michel Barnier n’a fait que sceller l’alliance, esquissée dès le lendemain des législatives, entre l’ancienne majorité et le parti Les Républicains (LR) dont il est issu. Le tout fleure bon la fin des années 1990, quand les gouvernements de Jacques Chirac associaient la droite du Rassemblement pour la République (RPR) et le centre-droit incarné par l’Union pour la démocratie française (UDF).

Bruno Retailleau, Michel Barnier, Rachida Dati, Gérald Darmanin et Laurent Wauquiez. © Photo illustration Sébastien Calvet / Mediapart

La liste, annoncée aux partis politiques lors d’une réunion jeudi après-midi, donne surtout l’impression saugrenue de la continuité. Le camp présidentiel a eu beau perdre les élections du 7 juillet, le chef de l’État a eu beau reconnaître la « demande claire de changement » qui s’y est exprimée, ses soutiens conservent le pouvoir et la majorité des ministères. Rachida Dati devrait conserver la culture et Sébastien Lecornu les armées. Catherine Vautrin pourrait hériter du portefeuille de l’écologie et des territoires. Gérald Darmanin, quant lui, devrait retrouver les bancs de l’Assemblée nationale.

Et comme à chaque remaniement, plusieurs parlementaires macronistes feront probablement leur entrée au gouvernement. La députée des Hauts-de-Seine Maud Bregeon est citée comme future porte-parole du gouvernement. Devant ses troupes, jeudi, Gabriel Attal a également évoqué – entre autres – les nominations d’Astrid Panosyan-Bouvet au travail et d’Antoine Armand à l’économie.

LR sans Wauquiez mais bien représenté

Quel que soit le casting final, les arguties sémantiques de l’été ont mal vieilli : le nouveau gouvernement n’est ni en cohabitation ni en colocation avec le chef de l’État. La seule nouveauté issue des législatives anticipées est l’obligation faite au parti présidentiel de partager le pouvoir pour conserver une fragile majorité relative. C’est la droite LR qui s’invite dans le dispositif en place depuis sept ans, moyennant d’âpres négociations qui ont failli faire capoter l’accouchement du gouvernement Barnier.

Le parti post-gaulliste signe son grand retour aux affaires, après douze ans durant lesquels il n’a goûté au pouvoir qu’au prix de la disgrâce du débauchage. Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat, devrait devenir ministre de l’intérieur. Figure de l’aile droite du parti, ancien bras droit de Philippe de Villiers puis de François Fillon, l’ancien président de la région Pays de la Loire pourfend depuis des années le « wokisme », l’« ensauvagement » et l’« immigration de masse ».

Son alter ego à l’Assemblée nationale, Laurent Wauquiez, n’entrera pas au gouvernement. Après avoir brigué Beauvau – une hypothèse accueillie très défavorablement par Emmanuel Macron –, l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy se serait vu proposer l’économie et les finances. Mais il a fini par annoncer aux membres de son groupe parlementaire qu’il avait décliné cette offre, jurant qu’entrer au gouvernement n’était « pas [s]on obsession ».

Quand j’ai vu ça, franchement, j’étais bien contente de sortir. Qui chez nous a envie de bosser avec Retailleau ?

Une ministre sortante

Le nombre dévolu aux LR dans le casting gouvernemental a fait l’objet de négociations serrées entre les composantes de la nouvelle coalition. La première mouture du gouvernement préparée par Michel Barnier accordait les principaux ministères au parti de droite traditionnelle, provoquant la colère des macronistes. S’est ensuivie une fronde du groupe parlementaire Ensemble pour la République (EPR), dirigé par Gabriel Attal, menée avec le soutien de l’Élysée.

Hors de question pour les macronistes de voir LR faire un tel « braquage »dixit un proche du président de la République. Mercredi puis jeudi matin, les menaces de défection – voire de censure – se sont enchaînées. Ce à quoi Michel Barnier a répondu en laissant fuiter qu’il pourrait… démissionner. Une réunion de la dernière chance, convoquée jeudi après-midi à Matignon en présence de tous les partis de la coalition, a fini par dénouer la crise.

Revendiquant le statut de premier groupe de la nouvelle alliance, les représentants du parti présidentiel ont exigé et obtenu de garder la main sur l’économie et les finances. Avec deux ministres issus du parti Renaissance à Bercy, mais aussi avec Jérôme Fournel, l’ancien bras droit de Bruno Le Maire devenu directeur de cabinet de Michel Barnier, l’Élysée s’assure de garder la main sur l’essentiel, à savoir la bourse.

La droite LR n’est toutefois pas en reste : elle devrait hériter de plusieurs portefeuilles ministériels. Lors d’une réunion avec les député·es du groupe qu’il préside, Droite républicaine (DR), Laurent Wauquiez a listé les pressentis. La secrétaire générale du parti, Annie Genevard, s’attend à être nommée ministre de l’agriculture. François-Noël Buffet, le président de la commission des lois du Sénat, a été proposé aux outre-mer.

Le MoDem menace de partir

Si la présence des député·es Annie Genevard et Patrick Hetzel était attendue, d’autres noms ont suscité les cris d’orfraie des macronistes. C’est le cas de Laurence Garnier, sénatrice de Loire-Atlantique, que Michel Barnier aimerait nommer à la famille et à l’enfance. Dès jeudi soir, circulaient dans les boucles des soutiens d’Emmanuel Macron le rappel de son opposition au mariage homosexuel et à l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution.

Énième incongruité de la période, le gouvernement Barnier a été dévoilé avant d’être officiellement proposé au président de la République, comme le prévoit la Constitution. Les noms ont même, pour certains, été diffusés avant même que les intéressé·es ne reçoivent le moindre appel d’une des deux têtes de l’exécutif. De quoi laisser du temps aux crispations et aux coups de pression.

L’annonce, bien que partielle, du casting a suscité un grand coup de froid dans les rangs de Renaissance et du MoDem. « Quand j’ai vu ça, franchement, j’étais bien contente de sortir, glisse une ministre démissionnaire. Qui chez nous a envie de bosser avec Retailleau ? » Au MoDem, une réunion de crise a été organisée vendredi après-midi, alors que la majorité du groupe plaidait selon plusieurs sources pour refuser de participer à un tel gouvernement. D’autres, minoritaires, souhaitent en revanche valider la nomination de Jean-Noël Barrot aux affaires étrangères et de Geneviève Darrieussecq à la santé.

Comme à chaque remaniement, les premières fuites ont aussi provoqué des revendications diverses et variées. Horizons, jusqu’alors peu représenté, pourrait profiter de la période de latence pour s’assurer un·e membre de plus autour de la table du conseil des ministres. Le portefeuille de Catherine Vautrin semblait également en suspens, alors que l’ancienne ministre du travail et de la santé pourrait hériter de l’écologie et des territoires.

Autant de bisbilles ordinaires qui devraient se résoudre dans le week-end, sans répondre à la seule question qui vaille : que va faire ce nouveau gouvernement ? Une politique de droite, assurément, mais dont les détails et les grandes orientations ne sont connus de personne. À un ministre qui essayait d’en savoir plus sur le sujet à l’occasion d’un rendez-vous, Michel Barnier a rétorqué : « J’expliquerai tout ça lors de ma déclaration de politique générale. »

En attendant, il faut donc se contenter des attributs du pouvoir et de l’assurance de mettre la ligne « ministre » sur son curriculum vitæ. Reste à savoir pour combien de temps. Un membre du gouvernement sortant se voulait taquin, vendredi : « On se casse beaucoup la tête pour un truc qui va durer trois mois. » Sans plateforme programmatique, sans majorité absolue à l’Assemblée nationale, le gouvernement Barnier n’est pas encore formé que chacun·e pense déjà à sa chute.

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