« La France otage de ses minorités » : les écrits disparus du nouveau conseiller du ministre chargé des discriminations

Le Secrétaire d’État chargé de la Citoyenneté et de la Lutte contre les discriminations a donc recruté un mec d’extrême droite pour le conseiller. Le barrage….
Peut être une image de 1 personne et texte qui dit ’PAUL GODEFROOD, CONSEILLER À L'INTÉGRATION ET À LA LAÏCITÉ DU SECRÉTAIRE D'ETAT OTHMAN NASROU, ÉCRIVAIT DANS DES REVUES D'EXTRÊME DROITE IL REGRETTAIT QUE CERTAINS PRÉFÈRENT "L'IMMIGRÉ" AU "VIEUX MÂLE BLANC LIBÉRAL" ET UNE "FRANCE OTAGE DE SES MINORITÉS" ILA A TENTÉ D'EFFACER TOUS SES ÉCRITS. MEDIAPART LES A RETROUVÉ. IL’
Paul Godefrood, nouveau conseiller à l’intégration et à la laïcité du secrétaire d’État Othman Nasrou, combat depuis des années l’immigration et les militants antiracistes. Son compte X a été supprimé et une quinzaine de ses textes publiés dans des revues d’extrême droite ont mystérieusement disparu.

Marie Turcan

Les paroles s’envolent, les écrits restent. Ceux de Paul Godefrood, parfois, s’évaporent. Une quinzaine de textes rédigés par le nouveau conseiller d’Othman Nasrou, secrétaire d’État chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations, ont récemment disparu.

Ces tribunes et essais hébergés sur des médias d’extrême droite offrent pourtant un éclairage saisissant sur les opinions politiques et la verve enflammée de celui qui occupe désormais le poste de conseiller chargé de la citoyenneté, de la laïcité, de l’intégration et des discours au sein du cabinet du secrétaire d’État.

Ces texte

 

 

 

 

s sont d’autant plus instructifs que les autres prises de position publiques de l’ancien collaborateur de Bruno Retailleau au Sénat ont été effacées via la récente suppression de son compte X, où il « gazouillait » encore régulièrement jusqu’à cet été.

Paul Godefrood, début de la trentaine, est diplômé de l’Essec et de Sciences Po et engagé à droite depuis une dizaine d’années. En 2013, alors qu’il est encore étudiant, ce « jeune militant UMP » publie un témoignage sur le site Parlons Info, où il raconte sa toute première manifestation, contre le mariage pour tous. Il dit s’opposer à « un projet de loi susceptible de menacer l’équilibre interne de notre société, les lois de la filiation et de la procréation, de remettre en cause les valeurs familiales et morales au profit d’un plaisir hédoniste immédiat et individualiste ». Ce texte a récemment disparu du web.

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Othman Nasrou (à gauche) et Paul Godefrood (à droite). © Photomontage Armel Baudet / Mediapart avec AFP

C’est cependant à la fin des années 2010 que la plume du nouveau conseiller d’Othman Nasrou devient plus prolifique. Elle se déploie dans plusieurs organes de diffusion : la revue Causeur, fondée par des figures de la droite réactionnaire, classée à l’extrême droite ; le magazine L’Incorrect, lancé par des proches de Marion Maréchal et le trimestriel Conflits, créé par Pascal Gauchon, ex-militant du Groupe union défense (GUD) et secrétaire général du Parti des forces nouvelles (PFN), éphémère concurrent du Front national.

Le « suicide de l’Occident »

Dans cette quinzaine d’articles qui ont été supprimés du Web, mais que Mediapart a consultés en archives, Paul Godefrood laisse voir l’étendue de sa pensée réactionnaire, fustigeant tour à tour les militant·es contre l’islamophobie, l’immigration « incontrôlable » et « l’ordre diversitaire » qui dominerait en France.

Les textes sont longs, ampoulés et empreints d’une rhétorique obsessionnelle, qui interroge sur la vision du conseiller, pièce maîtresse au cœur du secrétariat d’État chargé de garantir la lutte contre les discriminations.

À Beauvau, Paul Godefrood conseillera Othman Nasrou sur plusieurs dossiers stratégiques : l’intégration des étrangers, la défense de la laïcité, la politique d’accès à la citoyenneté. Quant au secrétaire d’État, si son décret d’attribution n’a pas encore été publié, étant encore l’objet de négociations avec Matignon, il devrait être chargé par le premier ministre d’accueillir dignement et de faciliter l’intégration des étrangers et étrangères en France, d’offrir un plein accès à la citoyenneté à celles et ceux d’entre eux qui bénéficient d’une naturalisation ou encore de renforcer la cohésion nationale.

Une mission qui devrait plaire à son conseiller qui, en janvier 2023 dans Conflits, estimait que « les sociétés occidentales mena[çaient] d’imploser », en proie à un « lent suicide ». L’Occident ne se serait, selon lui, « jamais senti aussi désenchanté », répète-t-il en janvier 2024 dans Conflits.

Selon Paul Godefrood, la société française est « marquée par une oikophobie délirante » (L’Incorrect, janvier 2020), une théorie du philosophe britannique Roger Scruton qui voudrait que certains Occidentaux dénigreraient leur propre culture. « C’est bien l’Occident dans son ensemble » qui semble, pour lui, « être frappé par cette oikophobie maladive et qui voit dans l’immigration un moyen d’échapper à son identité malheureuse » (Conflits).

À plusieurs reprises, Paul Godefrood renverse les rapports de domination et estime que les sociétés occidentales – ou plutôt « les tenants d’une oikophobie délirante », entendre, les militant·es progressistes – préfèrent « l’immigré » au « vieux mâle blanc libéral » (L’Incorrect, janvier 2020). Et de marteler une curieuse métaphore religieuse : « L’immigré est peu à peu devenu la figure christique de rédemption grâce à laquelle l’Occident pourra enfin échapper à lui-même » (Conflits, octobre 2023), croit-il observer.

Le nouveau conseiller, qui est désormais chargé de « l’intégration » au sein du ministère délégué, a également publié un texte qui dénonce la « sécession des banlieues » (Causeur, avril 2020), à la suite du drame de Villeneuve-la-Garenne, où un motard a percuté violemment la portière d’une voiture de police banalisée, ce qui a engendré des affrontements entre jeunes et forces de l’ordre.

L’auteur voit en ces personnes révoltées des « hordes de barbares », qu’il compare au supposé calme de régions rurales elles aussi touchées par la pauvreté : « Voit-on pour autant des hordes barbares éructer à la première occasion, brûler des bâtiments publics, prendre à parti [sic] les forces de l’ordre, leur tendre des guets-apens, attaquer les commissariats au mortier ? »

Et d’enchaîner sur sa vision de la politique migratoire française : « La croissance continue des flux migratoires depuis la seconde partie du XXe siècle, l’augmentation de la composante extra-européenne, la faible qualification académique et professionnelle moyenne de la part majoritaire de l’immigration ont abouti à une surconcentration territoriale de ces immigrés et la prolifération de cités-ghettos dans lesquelles les immigrés extra-européens ont atteint une masse critique qui les rend hermétiques à la culture, aux modes de vie, aux mœurs autochtones. »

Contre la « tyrannie diversitaire » et la pensée décolonialiste

Le nouveau conseiller au secrétariat d’État chargé, répétons-le, de la citoyenneté et des discriminations, dénonce ainsi une « France otage de ses minorités » (Causeur, août 2020), victime d’une « tyrannie diversitaire », et assène que « sous la pression de minorités agissantes (féministes, indigénistes, écolos radicaux), le pays de Voltaire et Montesquieu est devenu celui où les débats sont impossibles ».

« Les émeutes raciales américaines sont en passe de gagner une France dominée par l’ordre diversitaire » (Causeur, juin 2020), s’inquiète-t-il dans un article intitulé Du confinement à la claustration raciale, publié après la mort de George Floyd, tué par un policier américain.

« En l’espace de quelques jours, nous avons vu des militants “associatifs” et “antiracistes” embrayer sur ce drame pour diffuser ici leur idéologie délétère, dans les rues ou sur les plateaux de télévision, à l’image de figures comme Rokhaya Diallo ou de structures comme le Comité Adama ou la LDNA [Ligue de défense noire africaine – ndlr] », écrit-il. Il finit par féliciter trois personnalités politiques qui ont, elles, « compris que le décolonialisme n’était fondamentalement qu’un antihumanisme » : François-Xavier Bellamy, Bruno Retailleau et Marion Maréchal.

Toujours selon lui, « le wokisme qui agite les universités occidentales parasite le monde des arts et de la culture et menace le fonctionnement de notre démocratie » (Conflits, janvier 2024). Dans un article intitulé « Al Grenobla, ville aînée de l’islam » (L’Incorrect, juin 2019), il mentionne aussi les « prétendues victimes d’une société incorrigiblement islamophobe ».

Alors que 13 000 Français·es manifestent à Paris en novembre 2019 contre la stigmatisation des personnes perçues comme musulmanes, Paul Godefrood publie un essai dédié à la « supercherie intellectuelle qu’est l’idéologie décoloniale » (L’Incorrect, novembre 2019), où il fait usage du conditionnel pour mentionner « l’islamophobie qui sévirait en France » et parle d’une « manifestation victimaire ».

Le conseiller ministériel regrette à nouveau, un an plus tard, qu’« une rhétorique victimaire » se soit « développé[e] depuis la fin des années 1970 » (Causeur, 2020), mais se réjouit qu’une chaîne comme CNews existe, car elle « fait vivre toutes les opinions sans les criminaliser a priori », incarnant ainsi, selon lui, « leprincipal forum en France aujourd’hui » (Causeur, 2021).

Pourquoi ces articles ont-ils tous été récemment supprimés des sites de CauseurL’Incorrect et Conflits ? Contactées par Mediapart, les trois rédactions ne sont pas revenues vers nous. Paul Godefrood et l’équipe de presse d’Othman Nasrou non plus.

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