La vice-présidente n’a pas fait de l’économie le cœur de sa campagne, malgré les préoccupations des électeurs. Elle a néanmoins organisé un recentrage de son programme en espérant prendre des voix modérées à Donald Trump.
« Je suis une capitaliste. » Le 25 septembre, à Pittsburgh, dans le vieux cœur industriel de l’État clé de Pennsylvanie, Kamala Harris, vice-présidente sortante et candidate à la présidence des États-Unis, donne le ton de son programme économique. Tout est fait pour faire oublier la candidate aux primaires de 2019, qui faisait assaut de propositions de gauche. L’heure est à un autre profil.
« Elle s’est mise en scène comme plus pro-business que Biden », résume dans un podcast du Financial Times le journaliste du New York Times en charge de suivre la campagne de la candidate démocrate, James Politi. De fait, Kamala Harris a clairement repris les grandes lignes des programmes démocrates des années 1990 et 2010. Elle a martelé vouloir créer une « économie d’opportunités » qui n’est pas sans rappeler les meilleurs moments des mandats de Bill Clinton.
À Pittsburgh, elle a déroulé un bréviaire économique qui fleurait bon les années 1990. Se décrivant comme « pragmatique » et « non contrainte par l’idéologie », elle a développé l’idée d’une croissance fondée sur l’innovation et le développement de « nouveaux secteurs », de la « bio-industrie » à l’intelligence artificielle en passant par les « énergies propres ».
Dans la même veine, Kamala Harris insiste sur une politique fiscale incitative faite de crédits d’impôts. Elle propose ainsi une réduction de l’impôt sur le revenu de 6 000 dollars pour un nouveau-né et de 3 600 dollars par enfant (contre 2 000 dollars aujourd’hui). Elle propose aussi de relever de 10 000 à 25 000 euros le soutien aux ménages qui achètent leur première maison neuve, ciblant davantage la « classe moyenne » que les plus modestes.
Sur la question de la justice fiscale, Kamala Harris a également choisi la voie moyenne. Elle entend relever et unifier le taux de l’impôt sur les sociétés (21 %) et sur les revenus du capital (20 %) à 28 %. Ainsi, la candidate tente de satisfaire l’électorat de gauche qui demande de la redistribution fiscale. L’argument mis en avant est que l’inflation a soutenu les profits des entreprises, et qu’il est donc juste de récupérer une partie de ces gains.
La carte du small business
Mais Kamala Harris a pris soin de réduire cette hausse, pour ne pas s’aliéner les milieux économiques. À 28 %, on est loin des 40 % envisagés par Joe Biden. Ce taux est même inférieur aux 35 % qui étaient en vigueur avant Donald Trump, durant la présidence Obama – qui voulait déjà le ramener à 28 %. C’est dire si la proposition de Kamala Harris est modérée.
Le récit dominant du programme économique démocrate est celui d’une défense des petites entreprises contre les grandes. C’est un thème récurrent de la campagne de Kamala Harris. Dans son programme, le terme « small business » est cité 77 fois, avec une section adressée aux PME promettant de la simplification administrative, des baisses d’impôts, une aide aux start-up jusqu’à 50 000 dollars, soit dix fois l’aide actuelle, et la création d’un fonds pour leur accorder des prêts sans intérêts.
Cette stratégie permet à Kamala Harris de développer l’idée qu’elle défend une forme de justice économique qui ne se joue pas entre le capital et le travail, mais au sein du capital. Elle espère ainsi gagner un électorat traditionnellement républicain, mais qui peut s’inquiéter du soutien du « big business » à Donald Trump, autant que de l’effet sur leurs coûts du programme protectionniste du républicain. Reste à savoir si ce combat de substitution sera efficace politiquement.
Le difficile héritage de Joe Biden
En réalité, sur le plan économique, la marge de manœuvre de Kamala Harris est très étroite. L’économie est régulièrement citée comme la principale préoccupation des électeurs et électrices, en grande partie parce que les ménages ont sévèrement souffert des effets de l’inflation sur leur niveau de vie, à travers les dépenses contraintes comme la santé, les assurances et l’alimentation.
Longtemps, les démocrates, Joe Biden en tête, se sont accrochés à leur bilan statistique, qui montre un taux de chômage bas et une croissance (relativement) élevée. Mais ces chiffres peinent à saisir la réalité vécue, et ce refus d’entendre les retours du terrain a largement pénalisé le président sortant, devenu très impopulaire.
Une grande partie du programme de Kamala Harris se place dans la continuité de la politique Biden, mais la candidate se garde bien de s’en revendiquer. À Pittsburgh, par exemple, elle a développé une politique industrielle forte très ressemblante à celle de Joe Biden, sans jamais citer le nom du président.
Alors que Donald Trump fait campagne en martelant lors de ses meetings cette question : « Votre niveau de vie est-il meilleur aujourd’hui qu’il y a quatre ans ? », Kamala Harris peine à trouver une réplique. Dans son programme, elle a prévu un système timide de contrôle des prix de l’alimentation, pour faire face aux « prix abusifs ». Mais c’est une proposition qu’elle ne porte guère dans la campagne, préférant accuser les « grandes entreprises » qui auraient profité de l’inflation pour augmenter les prix.
Prise dans cet héritage difficile, Kamala Harris peine à trouver un message économique fort et convaincant. C’est ce qui alimente sans doute son problème de crédibilité dans ce domaine. Problème sur lequel son adversaire joue évidemment avec son manque de finesse habituel, lui rappelant non seulement le bilan Biden, mais aussi qualifiant ses propositions de « communistes ».
C’est que Kamala Harris préfère concentrer ses attaques contre Donald Trump sur d’autres terrains, comme les libertés et la démocratie. L’économie ne vient alors que comme un complément visant à convaincre les hésitants au centre du jeu politique pour qui cette question est centrale. C’est là la raison de la conversion de la candidate à une ligne « pragmatique ». Le discours final de la candidate, mardi 30 octobre à Washington, a confirmé cette stratégie : l’économie n’y a été évoquée qu’à la marge. Reste à savoir si les gains réalisés dans l’électorat centriste et la mobilisation autour des thèmes politiques seront suffisants pour compenser la relative indifférence vis-à-vis des classes populaires.
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