Le Maroc interpelle un militant des droits humains juste après le départ de Macron

Fouad Abdelmoumni, figure de la lutte contre la corruption et les emprisonnements politiques au Maroc, a été arrêté et placé en garde à vue mercredi à Rabat, quelques minutes après la fin de la visite d’État du président français. Ses avocats dénoncent une arrestation « arbitraire ». Les militants des droits humains pointent le silence de la France sur la question des droits humains.

Ilyes Ramdani

Rabat (Maroc).– Sur le tarmac de l’aéroport de Rabat-Salé, le président de la République prend dans ses bras Aziz Akhannouch, chef du gouvernement marocain. Une dernière accolade avant de remonter dans l’avion, au terme d’une visite d’État de trois jours placée sous le signe de la réconciliation entre les deux puissances.

Quelques minutes plus tard, à quelques kilomètres de là, se joue une autre scène, plus discrète celle-là : l’interpellation par la police marocaine de Fouad Abdelmoumni, économiste et figure de la lutte pour les droits humains dans le royaume.

Comme un symbole, Fouad Abdelmoumni devait se rendre mercredi après-midi à une réunion de l’instance marocaine pour le soutien des prisonniers politiques, dont il est le coordinateur, à Rabat. Dans un communiqué, le procureur de Casablanca a annoncé avoir ordonné « l’ouverture d’une enquête judiciaire », l’accusant notamment du « signalement d’un crime notoirement fictif dont il sait l’inexistence » et de la « diffusion de nombreuses fausses informations ».

Placé en garde à vue, le militant devrait savoir vendredi s’il est poursuivi pour ces faits et, si oui, s’il est placé en détention provisoire.

Fouad Abdelmoumni, interpellé à Rabat le 30 octobre 2024. © Photo Transparency Maroc

Des sites d’information proches du régime laissaient entendre que la justice avait notamment ciblé des propos tenus par Fouad Abdelmoumni sur l’affaire Pegasus, rappelant l’espionnage de la France pour le compte du royaume. Des accusations que sa défense balaie. « Fouad a été arrêté de façon arbitraire, en raison de ses opinions et en tant que défenseur des droits de l’homme », cingle son avocate, Souad Brahma. Le journaliste Omar Brouksy s’élève lui aussi contre un « véritable scandale », qui « montre l’état des libertés au Maroc et à quel point la justice est soumise au pouvoir et à la police politiques ».

Présent·es à Casablanca jeudi, les avocat·es de Fouad Abdelmoumni n’ont pas été autorisé·es à voir leur client. « On nous explique que la police judiciaire est encore au stade de l’enquête préliminaire et que nous ne pouvons pas encore échanger avec lui, raconte Souad Brahma. Nous n’avons accès à rien, ni à notre dossier ni à notre client. En revanche, on découvre par un communiqué des procureurs des accusations lancées à l’attention du grand public, qui violent la présomption d’innocence avant même la clôture de l’enquête. »  

Fouad Abdelmoumni est une personnalité reconnue de la lutte pour la probité et les droits humains. Économiste, il s’est fait connaître par son engagement en faveur du microcrédit, via l’ONG qu’il a créée en 1997, Al Amana. Proche dès l’adolescence des mouvements syndicaux et politiques de gauche, emprisonné à l’âge de 19 ans, il a ensuite milité au sein de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), dont il fut le vice-président à la fin du siècle dernier, puis de Transparency Maroc, une association anticorruption, ou encore de Human Rights Watch

« Le cœur de son engagement, c’est sa rage contre les injustices, décrit le journaliste d’investigation Hicham Mansouri, cofondateur de l’Association marocaine pour le journalisme d’investigation (AMJI). Il a développé un discours construit et puissant sur l’économie des rentes et les inégalités sociales dans ce pays. Tout cela avec un grand courage et la conscience qu’il y avait parfois un prix à payer pour ces convictions. » Son amie Khadija Mohsen-Finan, politologue et spécialiste de la région, décrit « un os », qui n’a « peur de rien »« Il a une critique très claire de l’autoritarisme, fondée sur son expertise économique, qui dérange », estime-t-elle.

Paris ne répond pas

Au sein des réseaux marocains de défense des droits humains et des libertés fondamentales, l’arrestation de Fouad Abdelmoumni suscite une vive indignation, mais aussi une forme de surprise. Elle vient rompre une règle tacite en vigueur depuis de nombreuses années, selon laquelle les prisonniers politiques de l’ère Hassan II ne sont pas inquiétés à nouveau pour leurs opinions sous l’ère Mohammed VI.

Son aura d’économiste réputé, polyglotte et régulièrement invité dans des événements internationaux, accordait en outre à Fouad Abdelmoumni une forme de protection, aux yeux de certains de ses compagnons de route. « Je pensais qu’il avait un profil tel que n’importe quel Makhzenien [les hauts dignitaires et conseillers du roi – ndlr] y réfléchirait à deux fois avant de l’attaquer », reconnaît Aboubakr Jemaï, figure du journalisme d’investigation au Maroc, qui collabore de longue date avec Fouad Abdelmoumni. En 2020, il avait déjà été victime de chantage aux vidéos intimes, comme il l’avait raconté à Mediapart.

Cette fois-ci, l’alerte est venue à la veille de son arrestation, rappellent nos différents interlocuteurs, à la faveur de l’annonce de l’ouverture d’une enquête de la police judiciaire le visant. Une information opportunément parue dans la galaxie des sites d’information réputés proches des services de renseignement, habitués à relayer les campagnes du pouvoir. « On a l’habitude, désormais, des campagnes de diffamation avant arrestation, soupire Hicham Mansouri. On apprend les accusations quelques jours ou semaines avant l’interpellation, dont ces médias donnent parfois le jour exact. »

Comment, après avoir posé un genou à terre pour quémander des marchés, la France pourrait-elle embêter le Maroc sur la question des droits de l’homme ?

Aboubakr Jemaï, journaliste d’investigation et professeur des universités

Le timing de son interpellation, quelques minutes seulement après que l’avion du président français a décollé de Rabat, suscite aussi son lot de critiques et d’interrogations. « C’est une gifle et une humiliation pour Emmanuel Macron », pointe le journaliste Omar Brouksy, spécialiste des relations franco-marocaines.

Également professeur en relations internationales, Aboubakr Jemaï pointe aussi, avec ironie, la « coïncidence » « Comment, après avoir posé un genou à terre pour quémander des marchés, la France pourrait-elle embêter le Maroc sur la question des droits de l’homme ? Le régime sait que sa répression ne lui coûtera pas très cher. »  

Khadija Ryadi abonde en ce sens, pointant un sentiment de toute-puissance à Rabat. « Le Maroc se trouve très protégé à présent, après s’être rapproché d’Israël, des États-Unis et maintenant de la France, juge-t-elle. Maintenant qu’il est si fort, qui va aller l’interroger sur la façon dont il traite ses opposants et ses militants ? » Sollicité à ce sujet, l’Élysée n’avait pas répondu jeudi soir.

Hicham Mansouri, lui, se souvient de l’arrestation de l’historien Mâati Monjib en 2020, quelques jours après l’annonce de l’accord de normalisation avec Israël. « C’est dans l’ADN de ce régime, juge-t-il. Dès que le Maroc fait un pas en avant diplomatique, au lieu d’en profiter pour créer une ouverture politique, il fait exactement l’inverse. »

Un sit-in est prévu vendredi matin devant le tribunal de Casablanca, à l’appel des associations marocaines de défense des droits humains. Un problème de taille se présente toutefois aux avocat·es de l’économiste, expliquant peut-être le timing choisi par les autorités pour l’interpeller.

L’ensemble des avocats marocains a annoncé entrer en grève totale à compter du vendredi 1er novembre, pour protester contre une réforme judiciaire dont ils jugent qu’elle menace la défense des justiciables. Des avocats étrangers étaient contactés, ce jeudi, pour assurer en urgence la défense de Fouad Abdelmoumni.

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