« Un moratoire », c’est ce que « propose » la direction de la CGT avec un indéfectible attachement au « dialogue social » puisque naguère elle demandait à Barnier que « l’État prenne ses responsabilités ». Attachement à l’illusion d’un « plan d’urgence pour l’investissement productif » qui serait discuté dans les ministères de la macronie ? Hélas il ne reste plus à Sophie Binet qu’à espérer « un gouvernement qui tienne » tandis que le reste des « partenaires sociaux » de la CFDT à FO s’associent au MEDEF dans un communiqué réclamant « la stabilité gouvernementale ». La collaboration habituelle est devenue problématique avec les ministres illégitimes et/ou démissionnaires des gouvernements menacés.
Pédale douce ?
Pour ne pas menacer davantage la fragilité du macronisme, les directions syndicales lèvent le pied sur la mobilisation : l’intersyndicale de la fonction publique d’État a renoncé à appeler à l’action en expliquant qu’« il appartiendra au futur gouvernement de rétablir la confiance » ; FO Fonction Publique a annulé son appel à trois jours de grève « dans l’attente des orientations du nouveau gouvernement » (il lui faut feindre ne pas connaître l’orientation ultra-libérale de Bayrou pour lui accorder la paix sociale ). Mais il ne s’agit pas d’exemples isolés, la CGT Port et Docks, l’UNSA et la CFDT à la SNCF, ont retiré leurs appels à la grève pour le 12 décembre. Dans l’éducation, seuls Sud Éducation, la FSU et la CGT Educ ont appelé à “une journée nationale d’action le jeudi 12 décembre, y compris par la grève”. On est loin de la combativité qui s’était exprimée dans les manifestations et les AG de grévistes du 5 décembre.
Ou marche arrière toute ?
On assiste, au moins en ce qui concerne la CGT qui s’était engagée clairement dans la campagne du Nouveau Front Populaire dès la dissolution de l’Assemblée nationale, à un grave recul politique qui légitime et valide les gouvernements précaires de la fin du macronisme et devient la principale entreprise de sauvetage des institutions.
Évidemment, comme toute la CGT, Sophie Binet sait bien qu’aucun gouvernement nommé par le président parmi ses amis du socle de droite, avec la bienveillance du RN, n’abandonnera la « politique de l’offre » menée par Macron depuis son premier mandat et devenue, comme sa « réforme » des retraites, un emblème de sa présidence. D’ailleurs, la CGT écrit que « l’État ne joue pas son rôle de garant, et au contraire, il aggrave la situation. L’argent public est massivement versé dans des aides et subventions aux entreprises qui, sans contrepartie, licencient et délocalisent. En juillet 2023, la Cour des comptes estime à 260,4 milliards d’euros le soutien financier total aux entreprises, y compris les prêts garantis et le report du paiement des cotisations sociales. Aucun contrôle ni mécanisme coercitif n’empêche ces pratiques qui affaiblissent notre tissu industriel et nos emplois » .
Mais c’est à ce même État, celui gouverné par Macron et Bayrou que la direction de la CGT demande « un moratoire sur les licenciements » et « un plan national de maintien et de relocalisation des outils et emplois industriels, piloté par un État assumant un rôle d’acteur central de l’industrie ». L’ampleur de la crise politique contraint les dirigeants syndicaux qui craignent l’explosion sociale à afficher de tristes contorsions.
Lanceurs d’alerte ou droit de veto
La crise politique se développe sur fond de crise sociale. La courbe officielle du chômage repart à la hausse vers 7,6%. Les informations de nombreuses Unions locales faisaient bien apparaître, dès l’été dernier, une tendance à la multiplication des fermetures d’entreprise et des plans de licenciements qui toucheraient jusqu’à 300 000 salariés. La CGT alertait sur la catastrophe sociale qui menaçait d’abord l’automobile, ses équipementiers et sous-traitants, le secteur du BTP et celui de la grande distribution. Deux cent cinquante plans de licenciements en préparation étaient répertoriés fin novembre 2024.
Souvent le choc de la fermeture, le désespoir, toutes sortes de chantages patronaux, limitent des actions de la dernière heure à des pressions pour améliorer les conditions de départ.
D’autres syndicalistes réclament une loi interdisant les licenciements ou le droit de veto des CSE sur les dits « plans sociaux ». Cela ne constitue pas pour autant des perspectives immédiates et concrètes sur lesquelles se battre pour sauver les emplois quand l’entreprise annonce la fermeture de son site.
Mais entre la supplique au ministre de reconstruire « notre industrie » et l’attente de lendemains où les licenciements seront interdits, d’autres combats sont possibles. La grève lancée par les salariés de Vencorex depuis le 23 octobre en est un exemple.
« Nationalisation partielle et temporaire »
Leur entreprise s’est appelée Rhône Progil, puis Rhône Poulenc, puis Rhodia Chimie, puis Rhodia Intermédiaires, puis Rhodia Opérations et enfin Vencorex. Elle avait connu une certaine notoriété en 2022 quand il a été avéré que les ouvriers, soudeurs, techniciens, manutentionnaires, électriciens, etc. qui travaillaient sur la plateforme de Pont-de-Claix dans l’Isère, avaient été exposés à l’amiante, pendant des dizaines d’années.
Aujourd’hui, c’est un plan de licenciements qui cible les 460 salariés du site. Un repreneur, Borsod Chem, a fait une « offre améliorée » dans laquelle 54 emplois seraient conservés. Les salariés avec leur syndicat CGT, organisent quotidiennement un piquet de grève devant l’usine. « La nationalisation temporaire de l’entreprise Vencorex est pour nous inévitable » déclare le délégué CGT. Le prix de cette nationalisation temporaire a même été chiffré à 300 millions d’euros par les élus locaux, contre plusieurs milliards en cas de fermeture, pour le coût social, le démantèlement, la dépollution, etc.
Ceux qui se souviennent des nationalisations du gouvernement d’Union de la Gauche, en février 1982, dont la nationalisation de Rhône-Poulenc, connaissent les vices du rachat des entreprises par l’État. Celles qui étaient en difficulté ont vu leurs actifs comptables surévalués pour donner lieu à des indemnisations exorbitantes des actionnaires. Puis, l’État recapitalisait ces sociétés pour combler leur pertes et poursuivre leur exploitation. Enfin, dès le retour des bénéfices, il les cédait à des groupes privés à prix bradés. Un pillage en trois actes des fonds publics. Sans qu’à aucun moment, le contrôle des salariés sur leur outil de travail ne puisse s’exercer. Nationaliser les pertes, privatiser les profits, étatiser la gestion, ce sont ces écueils qu’il s’agit d’éviter.
Exproprier les licencieurs
La première exigence est l’expropriation sans indemnité ni rachat de ces groupes. La seconde, c’est la recapitalisation pour que la production ou les activités puissent reprendre sous la direction des salariés qui exerceront tout le contrôle sur la gestion, ce qui inclut de questionner l’impact écologique des méthodes de production et leurs conséquences sur la santé au travail.
On n’en est pas encore là à Pont de Claix où les élus du département dont certains ont fait le déplacement sur le piquet de grève, mêlent un discours protectionniste à des audaces de « nationalisation partielle et temporaire » qui les effraient eux-mêmes et dont ils sentent le besoin de préciser qu’« il ne s’agit pas de gros mots ». Grève avec occupation, expropriation, contrôle ouvrier, il ne peut s’agir que de gros mots pour Bayrou et ses prochains ministres, comme il ne peut s’agir que de gros mots pour le RN qui soutiendra les gouvernements, puis les censurera pour sauver la forme du régime présidentiel.
Empêcher 300 000 suppressions d’emplois en expropriant les licencieurs et en reprenant les productions sous le contrôle des comités de salariés, cela ne pourra se faire que sous un gouvernement de la gauche unie, un gouvernement du NFP, que les syndicats soutiendront. Et encore faudrait-il que des comités de base du NFP se constituent et mettent les mains dans le cambouis du social, tandis que les sections syndicales mobiliseraient les salariés pour « aider leur gouvernement » à tenir de tels engagements.
Luigi
Le 19/12/2024
Post scriptum :
Ce jour,19/12/2024, deux organisations syndicales de Vencorex, « CFDT et CFE-CGC, ont signé un protocole de fin de conflit », a déclaré un porte-parole de l’entreprise. De son côté, « la CGT maintient la grève, donc pour l’instant on est sur un statu-quo. Le blocage des accès à la plateforme est toujours en place. C’est notamment le cas de la vanne permettant le transport d’éthylène entre le sud et le nord du pays », a indiqué la même source patronale.
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