Bourse américaine: La claque !

Depuis des mois les marchés sont totalement indestructibles. Depuis que la FED a (soi-disant) pivoté, les bourses mondiales font preuve d’une force, d’une résilience et d’une abnégation sans précédent. Le FOMO, la peur de rater le train aura aidé les bourses mondiales à ne jamais regarder derrière elles, à ne pas se préoccuper de ce qui ne fonctionne pas, mais au contraire à se concentrer sur ce qui CARTONNE. Et parmi les choses qui cartonnent ces dernières années, l’Intelligence Artificielle fait clairement partie des meneurs et des secteurs qui attirent et qui font fantasmer. Hier les cartes ont été redistribuées et les rois du monde ont soudainement pris une claque monumentale.

Rocky IV

Ce matin, en faisant le tour des news, nouvelles qui étaient d’ailleurs concentrées à 99% sur le sujet de DeepSeek, j’ai longuement essayé d’imager ce qui a bien pu se passer pour les stars de l’IA depuis l’arrivée de l’application chinoise au top de l’Apple Store. Non, parce qu’il faut quand même noter que Nvidia a terminé en baisse de 17%, effaçant du même coup près de 600 milliards de market cap et passant instantanément de la place de numéro un mondial à celle de troisième mondial. Mais Nvidia n’était pas la seule victime de ce bain de sang déclenché quelque part en Chine par un obscur Hedge Fund qui a décidé de se lancer dans l’IA avec les moyens du bord et qui a fait comprendre aux Américains que ça n’était pas parce qu’ils avaient le meilleur du « hardware » que tu ne peux pas te faire démonter la gueule par une boîte qui a bricolé un truc dans son garage pour une fraction du prix.

Les autres victimes se nomment Broadcom, qui recule de 17% et plus, Taïwan Semi’s qui plongeait de 13%, Marvell qui frisait les moins 20%, AMD qui reculait de plus de 6%, sans oublier les ARM Holding ou encore ASML. Il n’y a pas eu de prisonnier dans l’Intelligence Artificielle hier, on a tiré d’abord et on a commencé à se poser des questions ensuite. D’ailleurs, on n’a pas encore fini de s’en poser des questions. Je reviens donc à mon « imagerie » de la chose. Ce qui s’est passé hier sur l’IA américaine, m’a fait penser au combat entre Ivan Drago et Rocky Balboa dans le volet numéro 4 de la série. Au début du match, le Russe pilonne littéralement Rocky qui ne fait qu’encaisser les coups. La domination est totale et on sent que Rocky pourrait mourir sur le ring dans les minutes qui suivent. Personne n’oserait mettre 5$ sur le boxeur américain. Et puis soudainement Rocky le frappe au visage et Drago saigne. À partir de là, tout le combat est remis en cause. Hier, DeepSeek a fait saigner Nvidia et la suite n’a jamais été aussi incertaine.

Les interrogations

Depuis hier, les statistiques ne mentent pas, des milliers d’articles ont été écrits sur le sujet. Tout le monde se pose des questions. Comment peut-on être aussi efficace que les Chinois alors qu’ils utilisent des puces qui n’ont rien à voir avec les dernières versions de Nvidia ? Pourquoi est-ce qu’il faudrait continuer à injecter autant de milliards dans du matériel extrêmement cher pour avoir les mêmes résultats que les gars qui bossent avec deux trombones, un rouleau de scotch et un couteau suisse ? Est-ce que Nvidia et tous les autres qui vendent des produits ultra-chers ne vont pas « soudainement » sentir un immense coup de frein dans les ventes ? Et s’il est si facile d’aller sur la lune avec trois fois rien, ne pourrait-on pas passer des ruptures de stocks dans lesquels les géants de l’IA se trouvent actuellement à des « surapprovisionnements » qui pousseraient les prix à la baisse ? Et quand on connait les attentes qui sont les nôtres sur la croissance des ventes de Nvidia, autant vous dire que le sang qui a giclé sur les murs hier, est parfaitement justifié.

Vous l’aurez compris, depuis 48 heures, le monde n’est plus pareil et comme nous n’avons pas toutes nos réponses, que les acteurs concernés n’ont encore pas donné d’indications sur leurs intentions futures, il y a de quoi être terrorisé. Et c’est un peu l’état dans lequel se trouve le secteur de l’IA actuellement. Sans compter que si l’on fait abstraction du cas DeepSeek, il ne faut pas oublier non plus que les valorisations de la technologie sont complètement délirantes si l’on se base sur ce que l’on connaît depuis plus de trente ans. Ou plutôt non ; les valorisations font parfaitement du sens si la croissance du secteur IA et technologique reste la même que l’on pratique depuis 3 ans. En revanche, si les taux de croissance venaient à subitement ralentir, il va falloir recalculer pas mal de choses et se demander si nos « price targets », si nos objectifs, font encore du sens. C’est ce qui tétanise le marché actuellement et on peut le comprendre.

Et maintenant ?

Nous voici donc au lendemain d’un bain de sang mémorable et nous sommes en droit de nous poser la question suivante : ET QU’EST-CE QU’ON FAIT MAINTENANT ? La réponse n’est – bien sûr – pas facile à donner. Si l’on essaie de voir le verre à moitié plein – comme nous savons si bien le faire depuis le mois d’octobre 2023, ce fameux mois d’octobre 2023 – on peut se baser sur la mémoire des marchés et se rendre compte que – statistiquement – lorsque des boîtes comme Nvidia se prennent 20% dans les dents à une vitesse pareille, ça a toujours été une opportunité d’achat sans précédent. Sans compter que l’on entend déjà des rumeurs comme quoi le gouvernement US va tout faire pour favoriser la préférence nationale et que l’on peut tout imaginer ; des droits de douanes gargantuesques à l’interdiction totale de l’utilisation de DeepSeek aux États-Unis, ce qui pourrait, à court terme redonner des couleurs au secteur de l’IA.

Cependant, si l’on se place du côté obscur de la force, il faudra tout de même noter que le mal est fait : on vient de se rendre compte que l’on pouvait faire aussi bien que ChatGPT, si ce n’est mieux, mais pour beaucoup, beaucoup moins cher. Alors on aura beau interdire, on aura beau taxer à tout va, le consommateur a compris qu’il peut avoir mieux pour moins cher. Et si le consommateur l’a compris, il est probable que l’investisseur le comprenne aussi. Hier nous avons vu des boîtes comme Oracle ou comme Softbank se faire massacrer parce que soudainement, on se demande si le projet Stargate fait encore du sens. Qui va vouloir engloutir des centaines de milliards si on peut le faire pour 90% moins cher ? Alors clairement, je ne suis pas compétent pour juger de l’avenir de l’Intelligence Artificielle – une chose est sûre, c’est qu’elle ne disparaîtra pas – mais en revanche là où nous sommes en droit de nous poser des questions, c’est sur le sujet des coûts, des investissements et des projections de revenus que nous avons peut-être un peu surestimés. Et c’est là qu’il va falloir refaire nos calculs et nos projections, afin de savoir si tout cela est encore crédible et s’il ne faudrait pas revenir un peu sur terre en termes de valorisations et surtout, est-ce que 20% de correction suffisent pour revenir sur terre en termes de valorisations ???

Pas de prisonniers

La journée d’hier aura donc été placée sous le signe des Chinois qui viennent déranger l’Amérique Great Again et ça n’aura pas plu à tout le monde. L’IA s’est fait exploser, mais on notera aussi que les boîtes comme Legrand et Schneider qui devaient fournir les infrastructures aux gigantesques datacenters qui sont super-chers, en ont pris pour leur grade, le SOX s’est fait massacrer, bien évidemment. L’indice des semiconducteurs a perdu près de 8% et se retrouve encore une fois tout en bas de son range latéral dont il n’arrive pas à se libérer depuis des mois, démontrant peut-être que le doute en nous s’était peut-être déjà immiscé. D’ailleurs, s’il fallait confirmer les doutes, l’indice de la PEUR, le VIX, s’est envolé de plus de 20% hier, touchant même les 22.5% avant de revenir en clôture sur les 18%.

Et puis, il faudra aussi noter qu’il y a eu des comportements positifs durant la séance d’hier. Tout d’abord, on retiendra qu’il y a eu une claire rotation des investisseurs qui sont violemment sortis des valeurs de croissance pour aller se positionner sur la « value ». Peut-être que le meilleur exemple à signaler, c’est le SMI qui termine en hausse de plus de 1% alors que le reste du monde adoptait la couleur rouge. Visiblement on n’a pas perdu de temps pour aller se planquer là où il fallait aller se planquer. Nestlé a tout de même récupéré près de 4% sur la séance, ça n’était pas arrivé depuis bien longtemps ! Le marché suisse, tout comme le Dow Jones font effet de zone de sécurité quand tout part en vrille et ça rappelle un peu les débuts de la baisse lors de l’implosion de la bulle internet en l’an deux mille, mais je ne fais aucun parallèle, bien sûr, ça n’est pas mon genre. Pour conclure ce chapitre « bonnes nouvelles », les actionnaires d’Apple peuvent se féliciter, parce qu’ils se sont tout de même extrêmement bien sortis de la séance d’hier avec une hausse de 3%, tout en reprenant du même coup le titre de « plus grosse capitalisation boursière mondiale », juste devant Microsoft et tout le cela, grâce à la déconfiture de Nvidia.

Le reste et l’Asie

Ce matin les marchés japonais étant en tête des losers dans le sillage de New York, avec toujours la même thématique en tête : l’IA et les fabricants de matériel lié à l’IA. Tokyo est en baisse de 1.25%. Les marchés en Chine et la Corée du Sud étaient fermés pour cause de Nouvel an et les volumes d’échanges régionaux devraient rester faibles tout au long de la semaine en raison de plusieurs autres jours fériés régionaux. À Hong Kong, le Hang Seng était légèrement en terrain positif avant de fermer un peu plus tôt pour aller festoyer. Pour le reste, le pétrole s’effrite toujours et se traite à 73$ et des poussières, pendant que l’or est à 2’775$ et que le Bitcoin va dans tous les sens. Pendant le pire de la crise d’hier la crypto-star est allé chercher les 97’500$ et ce matin, nous sommes de retour à 103’000$ et plus.

Dans les nouvelles du jour, Trump a parlé. Comme tous les jours et le Président a estimé que l’arrivée de DeepSeek devait être un « wake-up call » pour les sociétés américaines qui vont devoir se concentrer intensément sur la compétition. Trump estime que c’est sain de pouvoir imaginer obtenir les mêmes résultats avec des coûts inférieurs. Autrement dit, il ne semble pas avoir l’intention de « sanctionner » les Chinois pour ça. Pas forcément ce que certains auraient voulu entendre. On a également appris hier que Microsoft serait en discussion pour acheter TikTok, difficile de dire si c’est une bonne nouvelle ou si c’est le début de la fin, mais il faudra suivre attentivement l’histoire. Et puis, selon Bloomberg et des gens proches du dossier mais qui préfèrent garder l’anonymat et leur job, l’UBS a commencé une vague de licenciements à tous les niveaux de la banque et ce dans le cadre de l’intégration du Crédit Suisse. Ça n’est une surprise pour personne et les personnes concernées auront une année pour trouver un autre job à l’interne. Comme d’habitude. Chez SoFi, on a publié les meilleurs chiffres de tous les temps mais le timing n’est probablement pas le plus idéal étant donné l’ambiance et le titre perdait 11%.

La suite de la semaine

La saison des chiffres trimestriels va continuer dès aujourd’hui, puisqu’avant l’ouverture nous aurons Boeing, GM, Lockheed Martin et Royal Carribean. On attend d’ailleurs de voir ce que Boeing va annoncer, puisque des rumeurs font état du fait que l’avionneur voudrait liquider certaines de ses divisions pour faire rentrer du cash. Après la clôture, il y a Starbucks, SAP, Logitech et Stryker qui publieront leurs chiffres et à partir de demain matin, ça va vraiment chauffer avec l’arrivée des monstres de la cote qui sont attendus… Tesla, Meta et Microsoft en tête de gondole. Et puis, pour ce qui est de l’Europe, en fin de journée nous aurons les chiffres de LVMH qui seront très attendus dans le monde merveilleux des Chinois qui font du shopping. Au passage, on notera que Stella McCartney a racheté la participation minoritaire qui était détenue par le groupe de Bernard Arnault et volera dorénavant de ses propres ailes, tout en restant consultante pour le groupe.

Et puis, je sais que ça n’est pas le sujet, mais aujourd’hui nous aurons le premier jour du FOMC Meeting, on n’en saura pas plus avant mercredi soir, mais il faut tout de même noter qu’au vu de la période que l’on traverse sur la tech américaine, il semble clair que tout le monde se fout de ce que Powell pourrait bien faire ou dire. Enfin, en tous les cas jusqu’à demain soir. Et ensuite jusqu’à vendredi, puisque DeepSeek ou pas DeepSeek, Nvidia ou pas Nvidia, il va quand même bien falloir parler de l’inflation – enfin, du PCE – qui sortira vendredi. Mais peut-être que d’ici-là, l’IA sera de retour dans nos cœurs et nos portefeuilles. Côté chiffres économiques, nous aurons les Durables Goods et la Confiance du Consommateur, mais pas sûr que ça fasse bouger grand-chose. Il y aura aussi Dame Lagarde qui parlera. Lagarde qui n’est visiblement pas soumise aux restrictions qui sont celles des banquiers centraux américains qui doivent se taire 10 jours avant un meeting. Lagarde pourra tout de même donner son avis à 48 heures d’une nouvelle baisse de taux de la part de la BCE.

Pour le moment pas de rebond en vue sur le S&P500, mais il est encore tôt. En attendant d’y voir plus clair sur l’avenir de l’IA, il me reste à vous souhaiter une excellente journée et on se retrouve demain pour parler, j’espère d’autre chose que de DeepSeek et de milliards qui ont été dépensés pour rien !

Très belle journée et à demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

“Courage is not the absence of fear. Courage is the ability to act effectively, in spite of fear.”
― Donald Trump