Comment Nicolas Sarkozy a-t-il pu se rendre aux Seychelles alors qu’il a été condamné à porter un bracelet électronique ?

France's former President Nicolas Sarkozy (C) arrives to attend the funeral ceremony of France's former Minister of Culture, writer and TV host Frederic Mitterrand, at the Saint-Thomas-d'Aquin church in Paris on March 26, 2024. Frederic Mitterrand died at the age of 76, after a months-long fight against cancer on March 21, 2024. (Photo by STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Alors que Nicolas Sarkozy vient d’être condamné à trois ans d’emprisonnement, dont un an ferme aménagé en «détention à domicile sous surveillance électronique», plusieurs internautes s’insurgent des photos de voyage partagées par sa fille Giulia.

publié le 2 janvier 2025

Paris Match, Gala, Public… A peu près toute la presse people s’en est fait l’écho : partie en vacances aux Seychelles avec ses parents, Giulia Sarkozy partage des photos paradisiaques sur TikTok. Suivie, à seulement 13 ans, par plus de 23 000 abonnés sur le réseau social, la fille de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni-Sarkozy a publié différentes images de leur voyage, dont certaines ne sont plus visibles depuis (car mises en «story» et donc effacées au bout de vingt-quatre heures). Les clichés vont du trajet en avion devant un écran affichant «Seychelles Mahé» comme destination finale, aux noix de coco percées d’une paille et posées face à l’océan Indien… en passant par un selfie avec en fond «papa» en plein coup de téléphone. La présence de Nicolas Sarkozy aux Seychelles a été largement remarquée et commentée alors que l’ex-président vient d’être définitivement condamné pour corruption et trafic d’influence, dans l’affaire des écoutes (dite «affaire Bismuth»).

Le 18 décembre, la Cour de cassation a confirmé la décision de la cour d’appel de Paris, le condamnant à trois ans d’emprisonnement, dont un an de prison ferme et deux avec sursis, avec un aménagement de peine pour la partie ferme. Nicolas Sarkozy bénéficie d’une «détention à domicile sous surveillance électronique», terme technique du bracelet électronique. Dans ces conditions, est-il en droit de passer les fêtes de fin d’année à plus de 7 000 kilomètres de la métropole ?

«Le bracelet électronique de Sarkozy va jusqu’aux Seychelles»ironise ainsi sur X le compte «Marcel», renvoyant vers un article de Madame Figaro«Logiquement quand vous êtes condamné à de la prison avec un bracelet électronique, vous devez rester chez vous ou à proximité. Mais quand vous êtes Sarkozy, vous pouvez aller passer Noël aux Seychelles»tance sur le même réseau social un autre compte très suivi, au nom de Philippe Duval, qui renvoie pour sa part vers un contenu de Purepeople.

Bracelet posé dans les quatre mois

Mais si Nicolas Sarkozy peut profiter des plages seychelloises, c’est qu’il ne porte pas encore de bracelet électronique. Pour cause, cette mesure ne deviendra effective que lorsqu’un juge de l’application des peines (JAP) aura décidé de ses modalités. Comme l’expliquait Libération en décembre, le JAP doit convoquer le condamné, examiner ses justificatifs, puis rendre une ordonnance fixant notamment les horaires auxquels des sorties sont autorisées. Une fois saisi par le parquet général, le JAP dispose d’un délai maximum de vingt jours pour procéder à cette convocation (auparavant de trente jours, le délai a été abaissé à compter du 30 septembre 2024). Dans le cas de Nicolas Sarkozy, si le parquet a immédiatement saisi le JAP, cela signifie que la convocation doit intervenir d’ici le mardi 7 janvier. Sauf que, dans les faits, le délai est rarement respecté, soulignent les avocats interrogés par CheckNews. «En la matière, c’est une règle théorique dans la mesure où les juridictions d’application des peines sont surchargées et ne cessent d’incarcérer», confirme Olivier Cahn, maître de conférences à l’université Paris-Nanterre. Lequel relève par ailleurs qu’ici, «la personnalité de Nicolas Sarkozy joue en sa faveur» : «On a affaire à quelqu’un qui présente toutes les garanties de représentation, puisqu’il est facile de savoir où il est et ce qu’il fait. Donc il est moins prioritaire par rapport à une personne qui se trouverait à la rue par exemple.»

Même une fois la convocation passée, il peut s’écouler un certain temps avant que Nicolas Sarkozy soit tenu de porter son bracelet. De fait, le juge de l’application des peines doit rendre l’ordonnance fixant les modalités d’exécution de la détention à domicile sous surveillance électronique dans un délai de quatre mois. La pose du bracelet électronique peut donc intervenir plusieurs mois après que la condamnation est devenue définitive. La loi fixe tout de même une limite : «A défaut de décision du juge de l’application des peines dans les six mois», le code de procédure pénale autorise le parquet à lui-même mettre à exécution la peine

«Question plus morale que juridique»

En attendant, Nicolas Sarkozy est libre de se déplacer comme il l’entend. «Sa condamnation n’est assortie d’aucune mesure restrictive de sa liberté de circulation, tant qu’elle n’est pas mise à exécution, note Olivier Cahn. On ne lui a pas retiré à titre préventif ses documents de voyage.» L’interdiction de sortie du territoire (IST), dans tous les cas, ne peut être mise en œuvre que dans des cas particuliers : par le ministre de l’Intérieur lorsqu’un Français est soupçonné de participer à des activités terroristes, ou par un juge à la demande d’un parent qui craint que son enfant mineur quitte le territoire seul ou avec l’autre parent. Un seul cas de figure aurait permis de limiter les déplacements de Nicolas Sarkozy : si sa peine d’emprisonnement était, en plus de l’aménagement pour ce qui concerne la partie ferme, assortie de ce qu’on appelle un «sursis probatoire». Au lieu de placer le condamné en détention, le juge le soumet alors à un certain nombre d’interdictions et obligations, qui peuvent être «l’obligation d’aviser le juge de toute sortie du territoire», indique Maître Antoine Ory, qui exerce en droit pénal au barreau de Paris.

En définitive, Nicolas Sarkozy n’a enfreint aucune restriction en s’envolant pour les Seychelles. «La question est finalement plus morale que juridique, conclut Olivier Cahn de l’université Paris-Nanterre. Il peut paraître maladroit de s’offrir un voyage à l’étranger lorsqu’on vient d’être condamné et qu’on s’est battu pendant toute sa carrière politique en faveur d’une plus grande sévérité dans l’application des peines.»

Une fois son bracelet électronique à la cheville, l’ancien président de la République ne sera plus libre de se déplacer à l’étranger comme il l’entend, puisqu’il sera tenu de demander une autorisation préalable au JAP. Et conformément au code pénal, il ne pourra être autorisé à s’absenter de son domicile «que pour le temps nécessaire à l’exercice d’une activité professionnelle, au suivi d’un enseignement, d’un stage, d’une formation ou d’un traitement médical, à la recherche d’un emploi, à la participation à la vie de famille ou à tout projet d’insertion ou de réinsertion». A moins qu’il ne parvienne à échapper à la détention à domicile en usant d’une possibilité réservée aux condamnés de plus de 70 ans (Sarkozy les aura le 28 janvier prochain), qui permet de demander une libération conditionnelle quelle que soit la durée de la peine restant à effectuer.

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