Présentation.
Nous avons reçu cette contribution d’un camarade de la CGT sur les modalités de débat et de décision et la façon dont la direction de la CGT a choisi de participer au « conclave ».
Contribution de Joseph Diveres.
Et nous y voilà.. Ce vendredi 17 janvier, Sophie Binet s’approche des micros, avenue Duquesne devant le ministère du travail, et dit entre autre : « .. La CGT n’a jamais et ne participera jamais à aucun conclave.. Pour la CGT, la discussion doit être sous le regard des salariés. » Sauf que… sauf que ce que dit la secrétaire général de la CGT à ce moment là, elle n’y croit pas. Pire, elle a tout fait pour que la CGT soit bien présente dans ce conclave, peu importe la démocratie interne de l’organisation.
Retour en arrière.
Le 14 janvier, le nouveau Premier ministre François Bayrou lâche dans son discours de politique générale le terme de conclave pour évoquer la création d’une délégation permanente ayant pour mission de réouvrir le chantier des retraites. Conclave, « c’est ce qu’on dit quand on ferme les portes ». Il n’y a rien d’étonnant de la part d’un éminent représentant de la bourgeoisie traditionnelle française, bien catholique, d’introduire dans le débat public des références à la religion. C’est un procédé bien identifié de re-référencement culturel ( très employé par l’extrême droite) pour asseoir la primauté de la culture « judéo-chrétienne » en France, validant de manière sous-jacente la guerre de civilisation.
Ce conclave a donc pour objet dans les mots de Bayrou, de « répondre à la question des retraites qui occupe le débat public depuis longtemps. »
Il l’introduit, comme tous les libéraux, à travers l’angle du financement mais surtout de la dette. Cela aurait dû mettre la puce à l’oreille de n’importe quel dirigeant confédéral de la CGT. Ce qui a été énoncé était clair : le cadre de rediscussion ouvert par le Premier ministre se plaçait dès le début dans le cadre de l’austérité budgétaire, de la réduction des déficits publics et de la non-agression vis à vis des marges du capital. Il ne fallait pas se la jouer oracle pour prédire facilement que la discussion sur la réforme Borne n’irait pas sur la revendication de l’abrogation, la remise en cause de la réforme Touraine, la mise en place d’une conférence de financement, le retour à l’âge de départ à 60 ans pour une carrière complète (1) et in fine un référendum. C’était donc clairement un piège tendu par Bayrou pour amener les « partenaires sociaux » à s’accorder sur un aménagement de la réforme Borne dans un cadre budgétaire contraint, et même déjà acté par le vote du PLFSS puisque celui-ci devrait passer à l’Assemblée fin février (2).
Le résultat de cette séquence ne fera pas émerger des nouveautés dans les positions de chacun autour de la table. Il n’y a pas de « voie de passage » pour amener les autres participants sur les revendications de la CGT.
D’ailleurs, il faut s’arrêter quelques secondes sur les participants et ce qu’ils portent pour, là aussi, comprendre que c’est un piège.
Les « patrons » ( Medef, CGPME, U2P) qui, bien que n’ayant pas exactement tous la même position, revendiquent tous un nouveau recul de l’âge de départ et la baisse de la cotisation employeur « retraite ». À noter que ceux-ci sont aussi les promoteurs de l’introduction de la capitalisation. On retrouve également autour de la table la FNSEA qui, du fait de son statut particulier de représentant des patrons agricoles, défend des améliorations pour les pensions des agriculteurs mais peut tout à fait se retrouver sur les positions des autres « patrons ».
Les « réformistes », terme un peu galvaudé en la matière mais qui a pour objet de qualifier ceux qui veulent aménager la réforme sans revenir totalement dessus ( CFDT, CFTC, FO, UNSA et CGC). Il n’y a pas de communauté de points de vue dans ce groupe puisque pour la CFDT, un retour à 63 ans pourrait suffire à les faire signer, alors que ça n’est pas en premier affichage la position de FO.
Et enfin « la CGT », dont la position est de prime abord la « plus » révolutionnaire, si tant est que ça soit une révolution au rabais. Manquent à l’appel FSU et Solidaires, qui sont sur des positions identiques à celle de la CGT et dans une communauté d’action avec elle la majeure partie du temps.
C’est donc isolée sur ses positions que la CGT se rend dans ce marigot, coincée par un cadre intersyndical dont l’unité ne trompe plus personne et qui n’a pour fonction que de se tenir en joue les uns et les autres. La définition même du piège.
Il eut fallut dénoncer avec force l’absence de la FSU et de Solidaires, ce qui aurait permis de se porter en défenseur de l’Intersyndicale, pointant la duplicité des autres et s’aliénant une bonne fois pour toutes les organisations « réformistes ». De même, cet accroc dans le cadre préalable aurait été une occasion pour appeler à la mobilisation des travailleurs pour mettre sous pression les participants au conclave. En se positionnant tout de suite contre la méthode et en maintenant l’exigence d’abrogation préalable, cela n’aurait été que la démonstration de la cohérence de la position tenue dés le début du mouvement en 2022-2023.
Mais non, tête baissée, la secrétaire général s’est engouffrée.
Le 16 janvier, une réunion des fédérations de la CGT organisée par la confédération se tenait. Naturellement, le sujet de la participation au conclave fut l’objet du débat et bien que la majeure partie des représentants s’exprimèrent alors pour la participation, une poignée d’entre elles opposèrent un refus certain.
Le 17 janvier, en amont de la première réunion du conclave, un CCN était organisé. Plus précisément, un CCN en « visio » sur une durée d’une heure et demie.
Pour mémoire, le CCN est le « parlement » des organisations de la CGT [UD et FD], et les séances du CCN doivent être des lieux de débats et de votes. Sauf que la SG avait visiblement décidé qu’il n’en serait pas ainsi.
L’objet de ce CCN était donc le conclave, non pas pour solliciter une position politique actée par un vote, mais pour recueillir les avis, permettre l’échange et donc prendre la tendance. Il a fallut qu’une UD, l’UD 59, demande un vote pour que celui-ci soit organisé, ce qui n’a pas manqué de fâcher Sophie Binet qui n’avait manifestement pas prévu que cela soit demandé. Elle s’est même permise de dire que ce vote ne serait qu’indicatif et non impératif. Démocratie syndicale dites-vous ?…
Le vote fut sans appel, pour 64, contre 16 et abstention 14.
À noter qu’entre la réunion des fédérations du mercredi et le CCN du vendredi, deux d’entre elles ont changé de position en ralliant le camps de la participation.
Aussi, il est important de souligner que les abstentionnistes ne furent que des UD qui informèrent qu’elles n’avaient pas de mandat pour voter sur la position. Étonnant ? Non, car le vote n’avait pas été annoncé, preuve s’il en fallait que Binet n’avait pas l’intention de solliciter réellement l’avis des organisations.
C’est à priori une marque de fabrique chez elle dont elle a déjà fait preuve dans ses fonctions à l’UGICT. Cela provoque du remous dans les syndicats et organisations, et le prochain CCN du 28 et 29 janvier devrait être animé.
En décidant d’y participer « quoiqu’il en coûte », Sophie Binet a commis plusieurs erreurs.
Une erreur stratégique, puisqu’en s’y rendant ventre à terre, sans cohérence politique avec la position tenue durant des mois sur l’abrogation préalable, sans exigence sur l’intégration de la FSU et de Solidaires autour de la table, sans dénoncer le cadre d’austérité budgétaire et le fait que le PLFSS serait sûrement voté avant les conclusions du conclave, et enfin sans appeler à des manifestations partout en France dans les 15 jours, elle a dévoilé la faiblesse relative dans laquelle se trouve la CGT. Cette faiblesse repose sur deux points : il n’y a pas de stratégie de lutte et la direction confédérale n’a pas l’intention d’être à l’initiative pour renverser Macron. En cela, la stratégie de participation au conclave est une gageure.
Autre erreur politique dans laquelle Binet s’enferme non pas depuis l’annonce du conclave mais depuis son accession à la fonction de secrétaire général de la CGT. Elle considère que c’est par la voie parlementaire que la bataille des retraites peut se gagner et par conséquent, elle ne se met pas en situation de faire monter un mouvement social. Elle a porté à plusieurs reprises dans des réunions avec les fédérations, l’idée qu’il y avait une voie de passage parlementaire à travers soit les niches parlementaires, soit les débats. Cela a été prédominant dans son message aux organisations à l’automne, s’aveuglant sur les fractures déjà évidentes du NFP à l’époque.
Son obstination à s’imaginer que c’est par la persuasion, les bons arguments ou encore le soutien de l’opinion que nos adversaires de classe vont en rabattre, est confondante de naïveté. Ou de fausse naïveté, ce qui en fait une réformiste à son tour.
Il n’y a maintenant que peu de solutions pour sortir de ce piège. Organiser la sortie en mettant en évidence les compromissions de certains et les reculs sociaux en décalage complet avec les attentes des travailleurs, se coaliser avec ceux qui veulent pour mobiliser les travailleurs contre une énième contre réforme qui se profile, susciter le débat à la base, dans les entreprises, et faire que les portes du conclave soient tambourinées par celles et ceux qui créent la richesse.
JD, le 24/01/2025.
Notes
1: Le retour à l’âge de départ à 60 ans pour une carrière complète est arrivé comme une revendication « raisonnable », introduite par la confédération au cours du mouvement des retraites de 2019 et 2023, mais elle n’est pas issue des textes de congrès qui mentionnent uniquement la référence aux 60 ans pour tous. D’autre part, le sujet de la durée de cotisation et le retour aux 37,5 annuités font l’objet de débats au sein de l’organisation.
2: Éléments confirmés par le Ministre Lombard.
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