Dossier 2: : L’État face aux « Gilets jaunes »Violence physique et violence symbolique

People walk down the Champs ELysees avenue on February 16, 2019 during the 14th consecutive week of Yellow vest (Gilets Jaunes) movement nationwide protests against French President's policies and top-down style of governing, high cost of living, government tax reforms and for more "social and economic justice." (Photo by Eric FEFERBERG / AFP)
  1. L’exercice du monopole de la violence physique légitime
  2. L’exercice de la violence symbolique

Pages 107 à 114

Max Weber définissait l’État comme une « communauté humaine qui, à l’intérieur d’un territoire déterminé […] revendique pour elle-même et parvient à imposer le monopole de la violence physique légitime » [1]. Pierre Bourdieu a complété ultérieurement cette définition en ajoutant au monopole des « instruments de coercition » [2] (i. e. la « violence physique » : policière ou militaire), celui de « la violence symbolique légitime » (i. e. discursive). L’État est alors défini par « le monopole de la violence physique et symbolique légitime » [3], le deuxième « monopole » étant la condition de l’exercice du premier [4].

Les pratiques étatiques mises en œuvre face au mouvement des « Gilets jaunes » confirment et actualisent cette définition wébérienne de l’État complétée par Bourdieu. Face aux « Gilets jaunes », Emmanuel Macron s’est efforcé, en effet, de maintenir une domination fondée sur « la combinaison de la force et du consentement qui s’équilibrent de façon variable, sans que la force l’emporte par trop sur le consentement, voire en cherchant àobtenir que la force apparaisse appuyée sur le consentement de la majorité » [5]. Violences policières d’un côté, « Grand débat » de l’autre, l’accent se déplace d’un versant à l’autre au gré de la conjoncture.

Ainsi, l’acte XVIII (16/3/2019) du mouvement des « Gilets jaunes » a-t-il été un moment de basculement en faveur du recours à la violence physique [6]. Alors qu’« Emmanuel Macron espérait avoir repris la main et avoir suffisamment calmé les esprits pour préparer posément les conclusions qu’il entendait tirer du grand débat » [7], force était, en effet, de constater, quelques jours plus tard, que « le grand débat n’avait rien calmé » [8]. Selon Le Monde qui s’insurgeait alors, au nom « des Français », « contre ce déferlement de rage de casseurs aguerris et de gilets jaunes radicalisés, déterminés à s’attaquer aux forces de l’ordre et à détruire tout ce qui, à leurs yeux, représente les symboles d’un système qu’ils dénoncent : boutiques de luxe, banques, Fouquet’s, et jusqu’à des kiosques à journaux et, à travers ceux-ci, une presse vilipendée » [9], le gouvernement se voyait « contraint de répondre aux violences » et Édouard Philippe d’« assumer les risques d’une ligne dure face aux « casseurs »» [10]i. e. de mobiliser avec ostentation son monopole de la violence physique légitime.

L’exercice du monopole de la violence physique légitime

En fait, face aux manifestations des « Gilets jaunes », chaque samedi, dans les grandes villes (à commencer par la capitale et les sites du pouvoir) [11], l’État a très vite mobilisé une débauche de moyens : gaz lacrymogènes, lances à eau, armes dites « sub-létales » (LBD 40, grenades de désencerclement GLI-F4) [12] et véhicules blindés. C’est ainsi que, selon le décompte du ministère de l’Intérieur du 4 février, 2060 manifestants avaientété blessés, dont 69 urgences absolues. Quelques semaines plus tard, le 14 mai, le directeur-adjoint de la rédaction duMonde citait le recensement de David Dufresne [13] : « un mort – une octogénaire de Marseille touchée le 1er décembre 2018 à sa fenêtre par un éclat de grenade –, 283 blessés à la tête, 24 personnes éborgnées, 5 dont la main a été arrachée ». « Le bilan de ces manifestations est incroyablement lourd », concluait-il. Le 6 avril, l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) avait été saisie de 200 requêtes pour des violences policières présumées, mais aucun policier n’avait été suspendu ou mis en cause [14].

Le 14 février, une r

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