Du « calife à la place du calife »

Du « calife à la place du calife », ou comment (ne pas) faire gagner la démocratie. Contribution de Rémy Victor.

Par aplutsoc le 27 janvier 2025

Interviewée par GDS, Raquel Garrido pose le problème en ces termes :

« Il ne suffit pas de dénoncer Emmanuel Macron : il faut correctement cibler le problème du pouvoir présidentiel quel qu’en soit le titulaire. Si le problème n’était que la personne, alors le problème pourrait être résolu par une nouvelle personne. Or, si la gauche et les écologistes se contentent d’avoir comme seule stratégie d’être « calife à la place du calife », ce sera, in fine, la victoire du pouvoir personnel présidentiel contre le peuple. Les conditions de vie de plus en plus difficiles des habitant-e-s de notre pays appellent une grande transformation sociale et écologique. Si ces deux objectifs paraissent clairs, pourquoi y a-t-il des réticences à propos d’une grande transformation démocratique ? Il faut être lucides. Nous n’obtiendrons les modifications profondes des modes de production que si elles sont portées par le plus grand nombre. Seule la démocratie permet l’engagement du nombre, fruit d’une délibération de qualité et d’un consentement sincère. Il serait naïf et vain de faire reposer la conquête d’une vie meilleure sur l’arrivée au pouvoir d’un président-sauveur-suprême.« 

On ne peut que souscrire à cette appréciation, qui soulève la question des actions à mettre en œuvre concrètement, les jalons à poser pour aboutir à une Assemblée constituante qui ne soit pas un bac à sable pour citoyens « tirés au sort » (avec une avalanche de guillemets) octroyée par le monarque présidentiel de la Ve République.

L’exercice est cependant difficile : à peine cette perspective commençait-elle d’être esquissée et incarnée par le mouvement des gilets jaunes, qu’elle fut étouffée dans l’œuf grâce à une répression d’une violence telle qu’elle a déclenché des alertes d’Amnesty International, qu’on est habitués à voir intervenir contre des régimes dictatoriaux.

Néanmoins, gilets jaunes, mobilisations contre les réformes des retraites de fin 2019 / début 2020 et du premier semestre de 2023, et dernièrement la grève massive de la fonction publique du 5 décembre ont donné des coups de boutoir décisifs à un pouvoir qui, tout en devenant plus autoritaire, est de plus en plus à la peine pour faire passer en force ses contre-réformes. L’exécutif commence à plier sous le rapport de force, à lâcher du lest pour ne pas s’écraser : c’est maintenant qu’il faut l’enfoncer.

Oui, mais comment ? Considérons d’abord les obstacles, car ils nous bouchent la vue, bloquent toute perspective, notre première tâche est donc de les déblayer.

La caution de « gauche » pseudo-radicale de la Ve République, une LFI sous la férule de l’équipe dirigeante formée par J.L. Mélenchon, essaie par tous les moyens de propagande à sa disposition d’orienter l’électorat du NFP vers des élections présidentielles anticipées, récitant sa sempiternelle fable de la possibilité (en réalité à probabilité nulle) de l’élection du leader maximo par un peuple de France qui, en l’absence de candidature unique et unitaire du NFP, risque bien plutôt de donner au RN un nombre de suffrages suffisant pour qu’il entre à l’Élysée pour restaurer un régime écorné par l’usure de la succession depuis 2017 de gouvernements, de plus en plus illégitimes et de plus en plus autoritaires.

Les partis réformistes assumés tentent quant à eux, même s’ils sont moins focalisés sur l’élection reine de la Ve République, de tout canaliser dans le cadre du calendrier de cette dernière. Mais ce calendrier est bousculé par les convulsions d’un exécutif blessé et affaibli par sa guerre contre l’immense majorité des travailleurs du pays. L’unité du NFP, entérinée en juin-juillet par les partis de gauche, qui ont compris, sous la pression populaire, qu’ils auraient trop à perdre électoralement à maintenir leur politique de division, se trouve menacée, au sommet, par une orientation gauche plurielle – collaboration avec le capital, en lui promettant une « bonne gestion » de gauche, en demandant à la bourgeoisie quelques concessions sociales pour mieux faire tourner la machine économique.

Néanmoins, cette unité par en haut, mais sous pression populaire, a ouvert la boîte de Pandore : la base s’aperçoit que les querelles de clocher reprennent sitôt qu’elle a le dos tourné, et prend conscience du fait que le véritable facteur d’unité, c’est elle.

Quels sont les instruments dont elle peut se servir pour constituer ou plutôt renforcer ce front unique ? Ce front unique, pour l’instant pas ou peu formalisé comme tel, peu conscient de lui-même, pour la défense de des intérêts de la population (contre les exploiteurs), pour mener l’offensive décisive pour renverser un système capitaliste destructeur – et construire une société véritablement humaine, émancipée de ces parasites, de ces ravageurs, régie selon le principe « à chacun selon ses besoins, de chacun selon ses moyens ».

Dans l’immédiat, nous avons à notre disposition des leviers qui sont :

– les syndicats de base, dont nous pouvons nous saisir de manière beaucoup plus offensive maintenant que les directions fédérales et confédérales ont fait la preuve de leur absence de volonté (voire de leur refus) d’organiser le rapport de force pour obtenir des reculs du gouvernement, et ce malgré la puissante vague venue d’en bas. Cette contradiction creuse un fossé entre la volonté d’en découdre de la base et les pratiques habituelles, empirant d’ailleurs, de collaboration de classe des bureaucrates. C’est une guerre entre la base et la bureaucratie lui confisquant l’outil syndical qui se profile, et qu’il s’agit de préparer pour faire gagner la base, reconstruire les syndicats comme organismes vivants et démocratiques préfigurant, introduisant l’écosocialisme ;

– les comités NFP, au sein desquels, malgré les confusions idéologiques distillées par les appareils dans les têtes des militants et sympathisants, le caractère désorienté et démuni des mêmes appareils face à l’inédit de la situation actuelle de crise politique profonde, une orientation révolutionnaire habilement présentée et imprimée patiemment a toutes les chances de vertèbrer et de donner un débouché aux aspirations démocratiques, sociales et écologiques (survie et bien-vivre à long terme) des classes laborieuses.

Aucun triomphalisme n’est de rigueur, mais dans ces conditions et selon ces axes, un combat est possible.

RV, le 26/01/2025.

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