Affaire des assistants parlementaires : Marine Le Pen condamnée et immédiatement inéligible

Le RN accusé de détournements de fonds européens

L’ex-présidente du RN a été reconnue coupable et condamnée à quatre ans de prison, dont deux ans ferme, et à cinq ans d’inéligibilité avec application immédiate. La députée d’extrême droite a quitté le tribunal avant même le prononcé des peines.

Michel Deléan

Marine Le Pen a été condamnée à quatre ans de prison dont deux ferme (sous le régime de la détention à domicile) et cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire dans l’affaire des assistants européens du Rassemblement national (RN), lundi 31 mars au tribunal judiciaire de Paris.

Douze ans après les premières révélations de l’affaire par Mediapart, les juges ont suivi l’accusation, et considéré que le parti d’extrême droite avait effectué des économies illicites sur le dos du Parlement européen, en déclarant certain·es de ses permanent·es comme assistant·es parlementaires.

Cette décision compromet fortement sa candidature à la présidentielle de 2027, sauf à ce que la cour d’appel vienne à l’infirmer d’ici là. Son avocat a annoncé qu’elle faisait appel de sa condamnation. Marine Le Pen conserve en revanche son mandat de députée, les parlementaires bénéficiant d’un régime particulier au regard des conséquences de l’inéligibilité. Elle perd cependant son mandat de conseillère départementale du Pas-de-Calais.

Le RN est condamné à 2 millions d’euros d’amende dont un avec sursis. Le parti d’extrême droite doit en outre verser 4,4 millions de dommages et intérêts au Parlement européen.

Marine Le Pen à son arrivée au palais de justice de Paris, le 31 mars 2025. © Photo Raphael Lafargue / Abaca

Les principaux responsables du parti ont été condamnés lundi. Louis Aliot, vice-président du RN, écope de six mois de prison ferme sous bracelet électronique, de 8 000 euros d’amende et de trois ans d’inéligibilité, mais pas immédiate, ce qui lui permet de rester maire de Perpignan (Pyrénées-Orientales). Bruno Gollnisch, député européen et ancien vice-président du FN, a droit à un an de prison ferme sous bracelet électronique, 50 000 euros d’amende, et deux ans d’inéligibilité avec exécution provisoire.

Wallerand de Saint-Just, conseiller régional, ancien avocat et ex-trésorier du parti, écope d’un an de prison ferme sous bracelet électronique, 50 000 euros d’amende et trois ans d’inéligibilité immédiate. Le député européen Nicolas Bay est condamné à six mois sous bracelet électronique, 8 000 euros d’amende et trois ans d’inéligibilité immédiate. Quant au député Julien Odoul, il a droit à huit mois de prison avec sursis, et une inéligibilité d’un an sans exécution provisoire.

Les neuf député·es européen·nes jugé·es pour détournements de fonds publics et les douze assistant·es jugé·es pour recel ont aussi été déclaré·es coupables. Le tribunal a pris le soin d’individualiser les peines prononcées. Compte tenu du lien de subordination les unissant à leur employeur, les ex-assistant·es ont ainsi été condamné·es à des peines symboliques. Enfin, un ancien tiers payant du parti, Christophe Moreau, a été relaxé. Son successeur, l’expert-comptable Nicolas Crochet, a en revanche écopé d’un an sous bracelet électronique, 100 000 euros d’amende, trois ans d’inéligibilité immédiate, et une interdiction d’exercer les fonctions de tiers payant pendant quatre ans.

Lundi matin, en présence notamment des prévenu·es Marine Le Pen et Louis Aliot, la présidente du tribunal, Bénédicte de Perthuis, a pris le temps d’expliciter en détail, dans un but pédagogique, les motivations du jugement. « Personne n’est jugé pour avoir fait de la politique. La question est de savoir si ces contrats de travail litigieux ont eu un début d’exécution. »

Devant une Marine Le Pen faisant non de la tête, la présidente précise : « On ne peut pas être 100 % dans un parti et considérer qu’on travaille pour un député européen. » Avant de poursuivre : « Il ne s’agit pas d’erreurs administratives mais de détournements dans le cadre d’un système mis en place pour alléger les charges du parti », au détriment du Parlement européen. 

Concernant l’ensemble du système, le tribunal retient un préjudice de 4,4 millions d’euros. Concernant la seule Marine Le Pen, le tribunal retient un préjudice d’environ 1,8 million d’euros : 474 000 pour les contrats de ses assistant·es, 1,4 million pour tous les contrats lorsqu’elle était présidente du parti.

Alors que le RN n’a cessé de minimiser les faits en assurant qu’il n’y avait pas d’enrichissement personnel dans cette affaire, le tribunal estime que le système frauduleux a permis à ses dirigeant·es d’avoir un « confort de vie » et favorisé « l’enrichissement du parti ».

La présidente a jugé qu’au regard des éléments débattus lors du procès, Marine Le Pen a bien donné l’instruction en 2014 aux député·es européen·nes de se contenter d’un·e assistant·e parlementaire et de laisser le solde de leur enveloppe au parti.

Marine Le Pen est également déclarée coupable de complicité de détournements de fonds publics en tant que dirigeante du parti de 2011 à 2016. Des fonctions qu’elle a exercées « avec autorité et détermination » pour « optimiser la gestion centralisée des enveloppes des députés européens », note le tribunal correctionnel.

La fille de Jean-Marie Le Pen a quitté le tribunal sans attendre le prononcé de sa peine, quand elle a compris des explications de la présidente que sa culpabilité était retenue et que des peines d’inéligibilité avec exécution provisoire seraient prononcées.

Le parquet a été suivi

Pour expliciter les peines prononcées, la présidente de la XIe chambre correctionnelle a notamment mis en avant « le contournement démocratique vis-à-vis des électeurs et du Parlement européen » que constitue ce système d’emplois fictifs au FN devenu RN. C’est « une rupture d’égalité favorisant leur parti et leurs candidats », a ajouté Bénédicte de Perthuis. Elle a également souligné « la gravité des faits, leur caractère systématique, leur durée sur douze ans, et la qualité d’élus » des protagonistes du dossier.

La magistrate a également déclaré que la peine complémentaire d’inéligibilité, prévue par la loi, « a vocation à être prononcée quand des élus se rendent coupables d’atteintes à la probité » et compromettent « les règles du jeu démocratique ». S’agissant de l’exécution provisoire de cette peine, elle a estimé que s’il fallait respecter le principe de proportionnalité, « la proposition de la défense de laisser le peuple souverain décider revient à demander un privilège ou une immunité » pour les candidats.

Elle a également invoqué « un risque de récidive », au vu du système de défense adopté pendant l’instruction puis au cours du procès. Certains prévenus « ne manifestent pas d’intérêt pour la manifestation de la vérité »« nient parfois les évidences », ou ont « une construction narrative de la vérité », a cinglé Bénédicte de Perthuis. La présidente du tribunal a enfin évoqué le « trouble majeur à l’ordre public » que constituerait la candidature à la présidentielle ou l’élection d’une personne condamnée à une peine d’inéligibilité sans exécution provisoire.

Le 13 novembre 2024, dans leur réquisitoire à deux voix, les procureurs du parquet de Paris avaient déjà fustigé des faits « d’une particulière gravité », un « enrichissement partisan inédit », une « atteinte profonde aux règles du jeu démocratique », avec des « salaires confortables accordés aux proches et aux fidèles de la famille Le Pen », et une « entreprise de détournement systématisée ».

Ils avaient réclamé contre Marine Le Pen, doublement poursuivie en tant qu’ancienne présidente du RN et ex-députée européenne, cinq ans de prison, dont trois avec sursis, 300 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, c’est-à-dire immédiate.

La peine d’inéligibilité est devenue obligatoire pour les faits de détournements de fonds publics, avaient tenu à rappeler les procureur·es Nicolas Barret et Louise Neyton. « Il ne s’agit pas d’une immixtion de l’autorité judiciaire dans la vie publique, mais d’une simple application dans le respect de la loi de la volonté du législateur. » « Ces personnes vous ont-elles rassurés sur leur capacité à gérer avec probité des fonds publics ? La réponse est non. »

Les député·es européen·nes Catherine Griset et Nicolas Bay, le maire de Perpignan Louis Aliot, ainsi que le député Julien Odoul, s’étaient également vu menacé·es d’une peine d’inéligibilité immédiate – tout comme la totalité des prévenu·es –, ainsi que de peines de prison mixtes aménageables et de fortes amendes. Aucune relaxe n’avait été requise par les deux procureurs. Contre le RN, le parquet avait par ailleurs réclamé une amende de 4,3 millions d’euros, dont 2,3 millions avec sursis, et la confiscation de 1 million déjà saisi.

Trous de mémoire

Pendant deux mois, en octobre et novembre, quelque vingt-cinq personnes (ainsi que le RN en tant que personne morale) avaient comparu pour des faits de détournements de fonds publics, complicité et recel. Des faits passibles d’une peine de dix ans d’emprisonnement, d’une amende de 1 million d’euros, ainsi que d’une peine complémentaire d’inéligibilité.

Jean-Marie Le Pen et Jean-François Jalkh n’avaient pas comparu pour raisons de santé. Au cours de débats longs et techniques, les explications peu convaincantes ou carrément farfelues des prévenu·es, ainsi que certains trous de mémoire opportuns, n’ont pas convaincu les magistrats du tribunal correctionnel de leur innocence.

Dans sa dénonciation initiale, en mars 2015, le président du Parlement européen Martin Schulz faisait état d’un préjudice annuel de 1,5 million d’euros pour son institution, en ciblant vingt contrats d’assistant·es de seize député·es européen·nes RN qui travaillaient en réalité au siège du parti. Au fil de l’enquête judiciaire, le Parlement européen avait revu son préjudice à hauteur de 3,2 millions d’euros pour l’ensemble de la période concernée, de 2004 à 2016, avant de le chiffrer finalement à 4,6 millions pendant le procès – une somme sur laquelle 1,1 million a déjà été remboursé.

Le procès a permis d’éplucher les contrats litigieux des assistant·es européen·nes et le travail, parfois infime ou inexistant, qu’ils et elles ont effectué. Les débats ont confirmé que le RN, parti longtemps très endetté, a sciemment réalisé des économies substantielles sur le dos du Parlement européen, en faisant prendre en charge par des eurodéputé·es les salaires de plusieurs de ses permanent·es.

Très critique sur les institutions européennes, le RN a bien profité de la manne, chaque eurodéputé·e pouvant dépenser jusqu’à 24 164 euros par mois pour rémunérer ses assistant·es. Dans les faits, c’est le parti qui répartissait les postes en fonction de ses besoins propres.

C’est ainsi que le garde du corps personnel de Jean-Marie Le Pen puis de Marine Le Pen a été salarié comme assistant parlementaire de plusieurs députés européens, entre 2005 et 2012. Même schéma pour Yann Le Pen, sœur aînée de Marine Le Pen, salariée comme assistante parlementaire de plusieurs députés de 2009 à 2014, alors qu’elle travaillait au siège du parti à la « cellule événements » puis à la délégation aux « grandes manifestations ».

Ni hasard ni bricolage

Jean-François Jalkh, successivement conseiller régional, secrétaire national aux élections puis délégué général du parti, a lui-même bénéficié de plusieurs contrats d’assistant parlementaire entre 2004 et 2014. Idem pour le directeur de cabinet, la secrétaire et l’homme à tout faire de Jean-Marie Le Pen, ou un conseiller spécial et une assistante de Marine Le Pen, ou encore un graphiste du parti, entre autres exemples.

Lors de l’instruction déjà, les enquêteurs avaient conclu que la fraude ne devait rien au hasard ni au bricolage. « Il ressort des investigations que le Front national, par l’intermédiaire de ses cadres et dirigeants, a mis en place un système organisé frauduleux de détournements de fonds européens à son profit, par le biais d’emplois fictifs d’assistants parlementaires », écrivaient les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF).

« Divers éléments permettent d’envisager la mise en place d’un système de fraude destiné initialement à assurer le financement d’emplois attachés à des proches de Jean-Marie Le Pen, alors président du FN, et qui progressivement a bénéficié plus généralement au FN devenu RN », exposaient quant à eux les juges d’instruction. Ils pointaient par ailleurs « une gestion globalisée des enveloppes, la recherche d’une optimisation des imputations salariales, et pour certains assistants le caractère purement comptable de leur rattachement », ainsi que le « caractère systémique des détournements […] opérés au profit d’une gestion pilotée par les dirigeants successifs du FN dans un contexte de difficultés financières ».

Marine Le Pen était visée à double titre dans ce procès : elle y avait en effet une double casquette d’eurodéputée, c’est-à-dire employeuse d’assistants et d’assistantes, et de présidente du parti. Elle s’était vu tout d’abord reprocher personnellement trois contrats litigieux d’assistant·es parlementaires : d’après les enquêteurs, ils ont servi à rémunérer son assistante personnelle au siège du parti, ainsi que le directeur de cabinet de son père Jean-Marie Le Pen, et aussi le garde du corps de ce dernier.

En outre, plusieurs témoins, ainsi que des mails et des SMS saisis au cours de l’enquête judiciaire, avaient attesté que Marine Le Pen ordonnait et supervisait le système. Elle « avait un réel pouvoir d’impulsion et de décision sur le principe du recrutement, l’affectation d’un collaborateur à l’enveloppe de tel ou tel député, les primes, et ce indépendamment du député européen auquel l’assistant parlementaire était théoriquement rattaché », écrivent les juges d’instruction.

Certains témoins précisant par ailleurs que l’ex-présidente du RN était « la décisionnaire principale in fine », et qu’elle « supervisait l’utilisation des crédits ».

Dès 2009, elle a ainsi demandé à un responsable du parti de rationaliser la gestion des enveloppes des assistant·es parlementaires. Et en 2014, le trésorier du parti lui adressait le courriel suivant : « Dans les années à venir et dans tous les cas de figure, nous ne nous en sortirons que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen et si nous obtenons des reversements supplémentaires. »

Pour sa défense, le RN, qui conteste depuis le début de l’affaire tout emploi fictif et tout système frauduleux, a régulièrement brandi le spectre d’un « complot politique » et de « règlements de comptes ». Adoptant elle aussi une défense très politique et assez agressive, Marine Le Pen avait pourfendu pendant le procès le travail des enquêteurs et des juges d’instruction, en réfutant avec force l’existence d’un système frauduleux au sein de son parti.

La fille de Jean-Marie Le Pen avait répété que les assistant·es parlementaires du FN puis du RN avaient été « mutualisés », et pouvaient effectuer plusieurs tâches à la fois en toute légalité. Sentant que les débats ne lui étaient pas favorables, l’ancienne présidente du RN avait déjà mis en doute l’issue d’un procès, qu’elle trouvait injuste. « J’ai le sentiment que tout ce qui est dit à décharge est écarté comme une gêne. Ça m’a un peu déstabilisée », déclarait-elle le 5 novembre, à la fin des débats.

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