Droit du travail – Le patronat installe sa machine à licencier. Par Jean Gersin.

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Par aplutsoc le 24 mars 2025

Servi par l’État qui a massacré le droit du travail

Le patronat installe sa machine à licencier

Vencorex, Michelin, Casino… La vague de plans de licenciements massifs, déferle. Et s’installe. La Banque de France espère un taux de chômage à 7,8 % pour 2025-2026, ainsi que 150 000 destructions d’emploi.

Ce désastre est le fruit des cadeaux aux grandes entreprises sans exigence de contreparties, une facilitation des règles de licenciement et une économie financiarisée.

L’État a détruit méthodiquement toutes les digues qui avaient été créées pour encadrer les licenciements. Il a créé un droit sur mesure qui les facilite.

Un arsenal de lois a détricoté le droit du licenciement pour motif économique (LME) et de nouveaux accords de réorganisation ou de compétitivité ont vu le jour, au détriment de la protection des actifs.

1) Ordonnances Macron, tellement positives pour les patrons !

Septembre 2017 – Attaque contre les prud’hommes, possibilité d’accumuler de négocier un moins-disant social dans chaque entreprise, irruption du référendum d’initiative patronale, diminution du nombre de représentants du personnel… Cette remise en cause du Code du travail a satisfait les employeurs, qui ont les coudées bien plus franches pour imposer leurs choix dans les entreprises.

Le barème, corsetant étroitement les sommes que les salarié·es peuvent toucher en cas de licenciement jugé abusif par la justice, est la mesure phare des ordonnances qui ont réformé à marche forcée le droit du travail à l’automne 2017, juste après l’élection d’Emmanuel Macron. Afin de « libérer le travail », le tout nouveau président avait en quelques mois mis à bas des pans entiers du Code du travail, sans rencontrer d’opposition majeure.

CSE, morne plaine – La fusion dans le comité social et économique (CSE) de trois instances de représentation du personnel auparavant autonomes (délégués du personnel, comité d’entreprise, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) a entraîné une chute radicale du nombre des élus du personnel.

Moins nombreux, ils ont été éloignés de leurs collègues et doivent maîtriser un nombre croissant de sujets, sur la vie économique de l’entreprise, mais aussi la santé et la sécurité du personnel, et depuis juillet 2021, sur l’impact écologique de la production. Au risque de l’incompétence, de l’épuisement, et de ne plus trouver de relève.

Les APC, outils d’un chantage à l’emploi – les accords de performance collective ( APC), entrés en vigueur début 2018.

Ils permettent de modifier le salaire, le temps de travail ou le lieu de travail et doivent être avalisés par les syndicats majoritaires dans l’entreprise, ou bien approuvés par un référendum. Si les salariés·es en acceptent les termes, les APC se substituent aux conditions prévues par leur contrat de travail. En cas de refus, c’est le licenciement, sans mesure d’accompagnement particulier.

Les missiles contre le droit du travail avant les ordonnances

2) La loi dite de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 – L’un des points de départ du démantèlement.

Avec cette loi, le contrôle des plans de sauvegarde de l’emploi qui relèvent du Conseil des prud’hommes dépend de l’administration. Et ce contrôle porte uniquement sur la procédure de licenciement, ainsi que sur le PSE.

Alors ? Comme le contrôle du motif intervient a posteriori, la justification économique du licenciement n’est plus centrale, ce qui permet aux entreprises de licencier alors même que leurs difficultés ne sont pas avérées.

En l’absence de motif, la sanction que risque l’entreprise est exclusivement indemnitaire. Bon nombre d’entreprises adhèrent au plan de sauvegarde de l’emploi en se préoccupant très peu du motif.

Depuis, les ordonnances Macron ont instauré des barèmes prud’homaux pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse.

Les indemnités en cas d’absence de motif économique sont plafonnées depuis 2017, en fonction de l’ancienneté dans l’entreprise.

Les sommes versées sont plus faibles qu’elles ne l’étaient auparavant et les salariés qui ont été embauchés depuis peu n’ont plus guère d’intérêt à ester en justice. Les frais de justice et les indemnités qu’ils peuvent espérer n’en valent pas la chandelle.

Les employeurs ne risquent pas de grand-chose au licencier de manière abusive. Il leur suffit de provisionner le coût de la violation du droit et d’attendre une hypothétique saisine du Conseil de Prud’hommes. Ils peuvent d’ailleurs être rassurés sur ce point : depuis l’instauration de la rupture conventionnelle, les recours sont en chute libre.

3) La loi travail du 8 août 2016 a modifié la définition du motif économique. C’est un jalon important sur le chemin de la dérégulation des licenciements .

Jusqu’alors, la jurisprudence avait contribué à protéger les salariés contre les licenciements intempestifs, le PSE devait être justifié par des problèmes économiques avérés. À partir de 2016, une liste d’indicateurs comptables a été introduite et l’évolution d’un seul d’entre eux suffit à établir l’existence de difficultés économiques.

Lorsqu’une entreprise voit son chiffre d’affaires ou ses commandes baisser sur un certain nombre de trimestres par rapport à l’année précédente, elle a la possibilité de licencier.

C’est notamment ce qui a pu se passer avec la crise sanitaire : plusieurs entreprises ont vu leur carnet de commandes ou leur chiffre d’affaires chuter avec l’épidémie de Covid-19, mais pas nécessairement au point d’être en danger. Pourtant, certaines ont pu licencier plus facilement grâce à la loi.

Depuis les ordonnances Macron, le périmètre géographique de référence a évolué . Avant ces textes, un groupe, prospère à l’étranger, mais traversant une mauvaise passe en France, pouvait beaucoup plus difficilement licencier pour motif économique. Depuis 2017, les ordonnances ont réservé le contrôle du motif économique aux entreprises situées sur le territoire national. La situation à l’étranger du groupe n’est donc plus prise en compte.

4) Les ordonnances Macron ne s’arrêtent pas là. Avec elles, le caractère « suffisant » des mesures qui sont prévues dans le plan de sauvegarde de l’emploi n’est apprécié qu’au regard des moyens de l’entreprise, et non plus au regard des moyens du donneur d’ordre.

Cela constitue un gros changement pour les entreprises qui font appel à des sous-traitants.

Un exemple ? MA France. Cet équipementier automobile, dont l’usine est située en Seine-Saint-Denis, est en liquidation judiciaire depuis le printemps 2024. 80 % de ses commandes provenant de Stellantis. Or, lorsque l’administration va étudier la qualité du PSE, elle va regarder les moyens de MA France seulement, et pas du tout ceux du donneur d’ordre qui auraient pu avoir ou qui a une influence sur l’entreprise.

5) Les pouvoirs publics ont multiplié les accords collectifs qui facilitent les départs .

Le droit du licenciement pour motif économique est non seulement plus contraignant et plus coûteux pour les employeurs mais aussi plus protecteur pour les salariés.

Il offre des garanties (contrat de sécurisation professionnelle, consultation des élus qui peuvent faire appel à un expert pour analyser la situation ou pour établir le plan de sauvegarde de l’emploi). Toutes choses éludées avec les accords de réorganisation.

Aujourd’hui, si les licenciements pour motif économique restent majoritaires, ils ont largement chuté en dix ans (128 000 en 2013, 89 000 en 2023).

Le nombre de ruptures de contrat de travail augmente via un foisonnement d’accords de réorganisation (ex-accords de compétitivité remplacés par les accords de performance collective, ruptures conventionnelles collectives, accords d’activité partielle de longue durée…). Et cela permet de contourner librement le droit du licenciement économique !

6) Plus aucune contrepartie en matière de sauvegarde de l’emploi n’est en outre demandée à l’entreprise .

À commencer par ces accords de performance collective (APC), introduits avec les ordonnances Macron => Les APC constituant un bulldozer contre le droit du travail .

Ils permettent d’écarter complètement le contrat de travail. Ils peuvent changer le « socle contractuel », à savoir les trois éléments les plus importants : la rémunération, le lieu et le temps de travail. De ce fait, on se retrouve depuis quelques années avec des accords qui demandent des sacrifices importants très aux salariés sans que l’employeur ne fournisse de garanties sur l’emploi ou les conditions de travail.

7) Les ruptures conventionnelles collectives (RCC), apparues avec les ordonnances de 2017, obéissent également à cette logique de simplification des licenciements.

Il y a des verrous pour les RCC. Ce sont des accords collectifs qui doivent donc être signés par des syndicats. Mais on ne peut pas dire que les entreprises qui choisissent de supprimer des emplois par ce biais le feraient dans un contexte de négociations classiques. Le rapport de force nécessaire à la négociation n’est pas nécessairement équilibré.

Pris dans une logique de chantage à l’emploi, les syndicats se retrouvent souvent « le pistolet sur la tempe ». Ils sont contraints d’accepter des modalités dégradées pour les salariés. Ce que confirme une note de la Dares, publiée dans le cadre du comité d’évaluation des ordonnances Macron, instance supprimée par le gouvernement en 2022 :

« L’analyse de l’échantillon montre qu’en contrepartie de restructurations moins importantes, les salariés et leurs représentants acceptent pour une grande majorité des clauses (aménagement des rémunérations, du temps de travail ou de la mobilité) plus favorables à la partie employeur. »

8) Alors que le droit du licenciement a longtemps été choisi en modèle de protection pour les salariés, comment se fait-il que les pouvoirs publics ont pu de déconstruire cet édifice, brique par brique ?

La justification repose sur une thèse que l’on peut résumer ainsi : « un droit du licenciement trop strict serait un frein à l’embauche ». Ce postulat a été largement repris par les économistes libéraux et les politiques pour inspirer les lois et dispositifs qui se sont succédé depuis vingt ans.

Ce postulat, asséné depuis des années pour réformer le droit du licenciement, n’a jamais été démontré.

Le droit qui devrait en théorie définir quels sont les licenciements injustifiés et ceux qui ne le sont pas, ne remplit plus son office.

Sur la base de la destruction du droit du travail, le capitalisme aborde en fanfare sa nouvelle ère, celle du « zéro droit pour ceux d’en bas », « tout est permis aux milliardaires », « fait des canons, on s’occupe des profits ». Ce sont les canons du syndicalisme qui sont à reconsidérer à l’orée d’une période si prometteuse en rebondissements.

Jean Gersin, mars 2025.

Article à paraitre dans le prochain numéro du bulletin Interventions Syndicales .

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