

Les détracteurs de M. Recep Tayyip Erdoğan voient dans cette arrestation un palier supplémentaire dans l’interminable dérive autoritaire du numéro un turc. Sur décision d’un juge, le maire d’Istanbul, M. Ekrem İmamoğlu – ainsi que plusieurs douzaines de ses collaborateurs -, visé par diverses accusations de corruption et de terrorisme, a été incarcéré dimanche 23 mars, au moment même où l’édile était désigné comme le candidat officiel du Parti républicain du peuple (CHP, la formation historiquement créée par Atatürk) pour la prochaine présidentielle.
Point d’orgue d’un climat de durcissement perceptible depuis des semaines, cette mise sous les verrous a eu lieu quatre jours après que M. İmamoğlu a été cueilli au petit matin à son domicile, au terme d’une opération ayant mobilisé des centaines de policiers. La vague de protestation soulevée par son interpellation apparaît comme la plus massive depuis l’élan de contestation spontané contre la suppression du parc Gezi à Istanbul au printemps 2013. En dépit des interdictions à manifester et du verrouillage des réseaux sociaux, la foule, entraînée par la jeunesse étudiante, a de nouveau battu le pavé dans une vaste majorité de provinces pour la sixième soirée consécutive lundi. De source gouvernementale, plus d’un millier de personnes ont été appréhendées, dont plusieurs journalistes, sans que rien ne permette d’anticiper un essoufflement rapide du mouvement.
Passé de l’ombre à la lumière en accédant à la mairie d’Istanbul en 2019, M. Ekrem İmamoğlu fait figure de rival politique le plus sérieux au chef de l’État et le supplante systématiquement dans les sondages. Le prochain scrutin présidentiel doit, en principe, se tenir en 2028. En vertu de la Constitution qu’il a faite remanier en 2017, M. Erdogan ne peut se représenter. À moins, spéculent certains observateurs, qu’un tour de passe-passe électoral n’intervienne d’ici-là.
Moribond il y a quelques années, le CHP gouverne aujourd’hui les cinq principales villes du pays (Istanbul, Ankara, Izmir, Bursa et Antalya), soit plus d’un tiers de la population nationale. Cette formation a fait de la dénonciation de l’autoritarisme présidentiel l’un de ses fers de lance politique et apparaît comme la seule en mesure d’incarner l’alternance face au Parti de la justice et du développement présidentiel (AKP), dominant depuis 2002.
D’une dictature éclairée à la démocratie menacée
Si M. Ekrem İmamoğlu se voit parfois reprocher une certaine versatilité idéologique, à Istanbul, il a fait la preuve de sa capacité à séduire au-delà des partisans de son propre parti, lui-même traversé par une variété de courants bien qu’apparenté à l’Internationale socialiste. À mesure qu’il gagnait en visibilité nationale, le natif de Trabzon, sur les bords de la mer Noire, a dû affronter un nombre croissant d’obstacles judiciaires, sans se départir de ses ambitions. « Je vais continuer à courir comme un lion », affirmait le quinquagénaire la veille de son interpellation, alors que son diplôme universitaire – condition sine qua non d’une candidature à la fonction suprême – venait d’être révoqué. M. Erdogan, maire de l’ancienne Constantinople entre 1994 et 1998, n’a-t-il pas lui-même un jour affirmé que celui « qui conquiert Istanbul conquiert la Turquie » ? Une prophétie reprise à son compte par M. İmamoğlu peu avant que les Stambouliotes le réélisent haut la main en 2024.
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Le règne de l’AKP se poursuit
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