
Le dessinateur de « Silex and the City » avait été choisi pour l’opération « Un livre pour les vacances », grâce à laquelle des milliers d’élèves reçoivent un classique de la littérature française revisité.
CULTURE – Une version modernisée mais jugée trop adulte du conte La Belle et la Bête de l’auteur Jul a heurté l’Éducation nationale, qui a annulé une commande de 800 000 livres illustrés destinés aux CM2, a révélé Le Monde ce mercredi 19 mars.
Jul, connu comme scénariste de Lucky Luke ou dessinateur de Silex and the City, a déploré une « décision politique » de « censure » pour des « prétextes fallacieux ».
Julien Berjeaux, de son vrai nom, avait été choisi pour l’opération annuelle « Un livre pour les vacances », grâce à laquelle 800 000 élèves de CM2 obtiennent un classique de la littérature française revisité. Il illustrait La Belle et la Bête, conte traditionnel dans la version de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont en 1756.
Un personnage ivre et les réseaux sociaux présents
Quand le père de la Belle boit « quelques coups de vin », Jul le représente ivre, bouteille à la main, en train de chanter Les Lacs du Connerama. Téléphones portables et réseaux sociaux sont par ailleurs très présents au fil des 80 pages.
Cette version n’a pas semblé adaptée au ministère, qui l’a expliqué à l’auteur dans une lettre datée de lundi, signée de la directrice générale de l’enseignement scolaire, Caroline Pascal.
« L’ouvrage finalisé », selon elle, ne permet « pas une lecture en autonomie, à domicile, en famille et sans l’accompagnement des professeurs pour des élèves âgés de 10 à 11 ans », et « pourrait susciter nombre de questions chez les élèves qui ne trouveraient pas nécessairement de réponse adaptée ». « En effet, les deux illustrations de l’ouvrage abordent des thématiques qui conviendraient à des élèves plus âgés, en fin de collège ou en début de lycée, telles que l’alcool, les réseaux sociaux, ou encore des réalités sociales complexes », ajoute-t-elle.
« Jul a beaucoup de talent, il manie l’ironie, le second degré. Mais sans accompagnement pédagogique, je pense que ça n’est pas adapté. Mais c’est un très beau livre qui pourra être utilisé dans un autre cadre », a elle commenté la ministre de l’Éducation nationale Élisabeth Borne jeudi matin sur Europe 1.
« Réserves » et « critiques »
Tout un paradoxe, puisque le livre avait visiblement plu initialement à la ministre, qui avait écrit en préface : « vous découvrirez dans cette version, dessinée pour vous, la touche malicieuse et le regard affûté de Jul, qui insufflent à ce conte une modernité nouvelle ».
Selon Jul, le problème est ailleurs. « Les prétextes fallacieux et pour partie mensongers invoqués pour justifier la censure ne tiennent pas la route une seconde devant l’examen du livre en question, espiègle, tendre et féerique », écrit-il dans un communiqué. « La seule explication semble à chercher dans le dégoût de voir représenté un monde de princes et de princesses qui ressemble un peu plus à celui des écoliers d’aujourd’hui », avance l’auteur. « Le “grand remplacement” des princesses blondes par des jeunes filles méditerranéennes serait-il la limite à ne pas franchir pour l’administration versaillaise du ministère ? », s’interroge-t-il.
Le budget de l’opération « Un livre pour les vacances », lancée en 2018 avec les Fables de La Fontaine et reconduite chaque année depuis, n’est pas connu non plus. Les livres devaient être édités par la filiale édition de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais.
D’après l’auteur, l’annulation a eu lieu « la veille du lancement de l’impression », qui devait atteindre 900 000 exemplaires. Les délais nécessaires risquent de ne pas permettre aux CM2 de 2025 de recevoir un autre livre.
La lettre de Caroline Pascal rappelle que le ministère avait émis des « réserves » devant de premières illustrations qui lui avaient été soumises en décembre. Mais dans un commentaire de cette lettre, transmis à l’AFP, Jul indique au contraire que « les éléments qui ont soulevé des critiques ont été pris en compte ».
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