Madagascar: l’insurrection du 29 mars 1947, mémoire collective de la Grande Île

Madagascar commémore, ce samedi 29 mars, la date anniversaire de l’insurrection de 1947. Ce jour-là, des insurgés malgaches se soulèvent contre les troupes coloniales françaises à Moramanga à une centaine de kilomètres de la capitale. D’autres foyers de révoltes naissent le long de la côte est de l’île. S’ensuivent le déploiement de 18 000 soldats français et 21 mois de répression marquées par des exécutions sommaires, des civils torturés et des villages incendiés. L’épisode représente l’une des premières révoltes contre l’administration coloniale française en Afrique subsaharienne. Aujourd’hui, 78 ans plus tard, que reste-il de cet événement chez les Tananariviens ?

Au musée de la Gendarmerie de Moramanga, dans l’est de Madagascar, on expose une réplique de l’un des trois wagons où ont été fusillés des nationalistes malgaches en 1947. © Laetitia Bezain/RFI

Avec notre correspondante à Madagascar, Pauline Le Troquier

« Le 29 mars, nos ancêtres sont morts à cause des Français, quand on a fait la guerre ». C’est avec ces mots que Miarina, 10 ans, résume l’histoire de mars 47. Son école, située à Ambohijatovo en plein cœur de la capitale, donne directement sur la stèle commémorative de l’insurrection. Mais à la différence de ses camarades, ce jeune garçon connaît bien le symbole de ce monument. Lui a été bercé par le récit familial des événements.

« Il est dans nos coeurs »

« Mon arrière-arrière grand-père, il est mort durant cette guerre, répète Miarina. C’est ma grand-mère qui m’a raconté cette histoire. Chaque 29 mars, on se rend sur sa tombe pour célébrer sa mémoire et dire qu’il est dans nos coeurs. »

Chaque année, le 29 mars est décrété férié et chômé dans le pays. À la télévision et à la radio, des chansons célèbrent l’héroïsme des combattants malgaches. De quoi réveiller un sentiment de patriotisme légitime et nécessaire pour Vololona. Mais cette passante dénonce une récupération politique de la classe dirigeante.

« Cet événement, dit-elle, est utilisé par les politiciens pour prouver qu’ils sont patriotes. Alors que, selon moi, ils ne le sont pas vraiment. Quand on voit la situation dans laquelle se trouve le peuple, je pense que la classe politique fait plus attention au paraître qu’au bien du peuple. »

Douloureux

Dans la mémoire collective, l’insurrection de mars 1947 représente l’un des événements les plus douloureux de la colonisation de l’île. Sans présenter d’excuses officielles, l’ancien président français François Hollande avait reconnu – en 2016 – les crimes commis par l’administration coloniale à l’époque. La répression française a fait entre 12 000 et 23 000 victimes, selon les historiens.


Madagascar: insurrection du 29 mars 1947, les dessous d’une révolte

Il y a 75 ans, le 29 mars 1947, vers 22h, des insurgés malgaches attaquaient la caserne militaire française de Moramanga dans le centre du pays. Leur but, prendre les armes et étendre la révolte partout sur l’île pour bouter les colonisateurs hors de Madagascar. Cette insurrection sanglante sera durement réprimée pendant plus d’une année et ne prendra réellement fin que lors de la capture des principaux chefs insurgés en septembre 1948.

La place du 29-Mars 1947 à Moramanga, la ville où a débuté l'insurrection.
La place du 29-Mars 1947 à Moramanga, la ville où a débuté l’insurrection. Jeanne Richard / RFI

Avec notre correspondante à AntananarivoSarah Tétaud

A l’occasion de l’anniversaire de l’insurrection du 29 mars 1947, RFI revient sur les prémisses, tombées dans l’oubli, de cette insurrection, avec l’un des plus grands spécialistes de cette période de l’histoire coloniale de Madagascar.

Durant la seconde guerre mondiale, alors que Madagascar, colonie française, est contrainte de participer à « l’effort de guerre » en envoyant 15 000 tirailleurs malgaches combattre en Europe, deux sociétés secrètes, la Jina et le Panama, se forment sur la Grande Île. Toutes deux ont un seul et même but.

« Leur objectif, c’est la revendication de l’indépendance de Madagascar par la lutte armée, renseigne Jeannot Rasoloarison, professeur au département d’histoire de l’Université d’Antananarivo. En 1946, les militants de ces deux sociétés secrètes intègrent les rangs du parti MDRM, le Mouvement du parti Démocratique de la Rénovation Malgache qui veut l’indépendance de Madagascar. Au sein de ce parti, il y a 2 tendances qui s’affrontent : l’une pour la lutte pacifique, l’autre pour la lutte armée. »

Entre 30 et 40 000 morts

Cette lutte armée n’est soutenue que par une minorité des 500 000 adhérents du parti. Toutefois, cette petite frange va trouver un écho auprès des petits paysans de la côte Est, victimes d’abus et d’injustice pendant et après la guerre.

« Pourquoi la côte Est ? C’est parce qu’il y a les petits colons qui ont fait souffrir les paysans malgaches par le travail gratuit, qu’on a appelé la réquisition et les corvées. Et les paysans veulent se débarrasser de ces petits colons. Les grands colons étaient ceux qui avaient de grandes superficies agricoles. Les grands colons employaient une main d’œuvre salariée. Alors que les petits colons ont exploité les paysans et c’est cette exploitation que les paysans n’ont pas acceptée. Et c’est ça qu’ils ont contesté à travers cette lutte armée. »

C’est grâce à cette prise d’armes des petits paysans que cette insurrection contre la domination coloniale a pu voir le jour. Les historiens estiment entre 30 et 40 000 le nombre de morts causés par la répression. L’indépendance ne sera obtenue que 13 ans après.


Madagascar: les femmes, ces oubliées des insurrections de mars 1947

Le mois de mars à Madagascar est chaque année rythmé par les commémorations de l’insurrection de mars 1947. Une date charnière dans l’histoire de la Grande Île, puisque les révoltes initiées lors de ce mois marquent un tournant dans le rapport de domination exercé par le pouvoir colonial français. Seulement, aussi nombreuses soient-elles, les études sur cette période de l’histoire malagasy ont toutes en commun d’avoir négligé le rôle joué par les femmes. Un aspect « oublié » qu’une historienne s’est mise en tête de réparer.

Monument commémoratif de l'insurrection de 1947 à Madagascar.
Monument commémoratif de l’insurrection de 1947 à Madagascar. Robin Taylor from Bamako, Mali/cc-by-2.0

Lorsque la chercheuse en histoire Shannaëlle Armanaly commence à s’intéresser au rôle des femmes lors de l’insurrection de mars 1947, son enseignant lui répond que « la femme à Madagascar n’a pas du tout participé aux événements de 1947 ». Une réponse qui ne satisfait pas la chercheuse. En quelques semaines, elle découvre alors une multitude de documents qui font mention de noms de femmes, pour la plupart totalement inconnues aujourd’hui : Rakrisy Ramarovoa, Henriette Ravelomanantsoa, Marthe Razafiarisoa, Augustine Razafindrasoary, Henriette Vita, Delphine Todihana, les filles du roi Tanala Manambola…

« Les documents d’archives que j’ai trouvés par la suite nous montrent bien qu’en plus de Mme Gisèle Rabesahala qui était déjà très connue en tant que militante, il y a bien d’autres femmes qui restent dans l’angle mort du sujet, explique la chercheuse. Je pense qu’en tant qu’historien, on a le devoir de mettre en lumière le travail de tous les acteurs d’un événement historique. C’est un devoir de mémoire de traiter de la problématique de la femme en 1947. »

Plus « que des noms dans des listes »

Celles dans les campagnes auraient également participé, notamment en créant des canaux de communication clandestins. « Elles faisaient passer les messages entre les différents insurgés dans les différents villages. Leur participation est indéniable et a été vitale pour le bon déroulement de cette révolte-là », insiste Shannaëlle Armanaly. Des insurgées qui ont écopé de peines de prison, qui ont été torturées, voire qui ont été éliminées. Mais « contrairement aux hommes, elles ne sont aujourd’hui que des noms dans des listes » déplore-t-elle.

L’historienne souhaite exhumer ces combats et ces récits, à l’instar de celui de Zèle Rasoanoro. « C’était une journaliste qui assistait Mme Gisèle Rabesahala dans ses travaux, au cours de ses cercles de discussions. Elle a été emprisonnée de 1948 à 1950. On ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’elle était « prisonnière politique ». On retiendra surtout qu’en 1950, quelques mois après sa sortie de prison, nous n’avons plus de traces d’elle. Elle a disparu des radars. » Selon la chercheuse, il s’agit d’un destin sur lequel enquêter pour proposer à la population une vision plus complète des figures qui ont œuvré pour l’indépendance de Madagascar.

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