Procès Sarkozy-Kadhafi : le parquet requiert sept ans de prison ferme contre l’ancien président

L’argent libyen de Sarkozy

C’est une première dans l’histoire pénale et politique française : jamais une telle peine n’avait été requise pour un ancien président de la République, décrit par les procureurs comme le « commanditaire » d’un pacte de corruption avec la dictature libyenne.

Fabrice Arfi

La gravité des faits mis au jour et la qualité des personnes accusées de les avoir commis avaient déjà rendu le procès historique. Les peines réclamées jeudi 27 mars par le Parquet national financier (PNF), au terme de deux jours et demi de réquisitions accablantes, le sont tout autant dans l’affaire des financements libyens.

Les magistrats du PNF ont demandé sept ans de prison ferme et 300 000 euros d’amende à l’encontre de Nicolas Sarkozy pour corruption, association de malfaiteurs, recel de détournements de fonds publics et financement illicite de campagne électorale. Une peine assortie d’une inéligibilité et interdiction d’exercer une profession juridictionnelle pendant cinq ans.

© Photo illustration Simon Toupet / Mediapart

C’est une première dans l’histoire pénale et politique française : jamais des procureurs, qui représentent les intérêts de la société dans l’ordre judiciaire, n’avaient requis de telles peines contre un ancien président de la République (déjà condamné définitivement pour corruption dans une autre affaire), mais aussi contre plusieurs de ses anciens ministres.

Jugé depuis le 6 janvier devant le tribunal de Paris pour avoir scellé à l’automne 2005 un pacte corruptif avec le régime dictatorial de Mouammar Kadhafi dans la perspective de l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy a écouté sans broncher, mâchoires serrées. Le procureur Sébastien de La Touanne l’a brièvement regardé dans les yeux avant d’énoncer sa demande. L’ancien président s’est ensuite entretenu avec son équipe d’avocats.

Le procureur a estimé que l’affaire des financements libyens a dessiné « le tableau très sombre d’une partie de la République ». « Un tableau marqué par une corruption de haute intensité, attisée par l’ambition, la soif de pouvoir, la cupidité et qui a tissé sa toile jusqu’aux plus hautes sphères de l’État. »

Le procureur a expliqué que Nicolas Sarkozy s’était « engagé aux côtés de son plus proche collaborateur place Beauvau [Claude Guéant – ndlr] et de son ami de trente ans [Brice Hortefeux – ndlr], dans une quête effrénée, à la recherche des financements nécessaires à la satisfaction de ses ambitions politiques dévorantes. Une quête qui le conduira en Libye, où il conclura, avec l’appui d’un agent de corruption [Ziad Takieddine – ndlr] un pacte de corruption faustien, avec un des dictateurs les plus infréquentables de ces trente dernières années, pour lui permettre d’accéder à la magistrature suprême. Un dictateur dont la folie meurtrière avait notamment coûté la vie, le 19 septembre 1989, à 170 personnes au-dessus du désert du Ténéré [attentat du DC-10 d’UTA – ndlr], mais aussi à 270 personnes quelques mois auparavant, le 21 décembre 1988, dans un petit village écossais [attentat de Lockerbie – ndlr]. »

Sur le réseau social X, Nicolas Sarkozy a dénoncé le « postulat idéologique » du PNF et des « constructions intellectuelles ». Selon lui, « la fausseté et la violence des accusations et l’outrance de la peine réclamée ne visent qu’à masquer la faiblesse des charges alléguées ». 

Le PNF, qui a mis en lumière depuis le 25 mars l’impressionnante charpente de l’accusation, a également demandé des peines de prison ferme à l’encontre de ses deux principaux lieutenants politiques, Claude Guéant, qui fut son plus proche collaborateur pendant dix ans, et Brice Hortefeux, intime parmi les intimes, tous deux ayant la particularité d’avoir été ministres de l’intérieur de Sarkozy : six ans et 100 000 euros d’amende contre Claude Guéant et trois ans et 150 000 euros d’amende contre Brice Hortefeux.

Les deux hommes étaient absents, Claude Guéant pour des raisons médicales et Brice Hortefeux pour des raisons liées à un deuil récent.

Le parquet a également requis trois ans de prison et 150 000 euros d’amende à l’encontre de l’affairiste Thierry Gaubert, un autre proche de Nicolas Sarkozy dont il fut le collaborateur à la mairie de Neuilly-sur-Seine puis au sein du gouvernement Balladur (1993-1995). Gaubert avait notamment perçu en février 2006 sur un compte aux Bahamas près d’un demi-million d’euros d’argent libyen, inscrivant dans une note d’agenda quelques jours avant de recevoir les fonds la mention « Ns-Campagne ».

Une peine d’un an de prison aménageable (le maximum encouru pour un financement illicite de campagne) a été réclamée contre Éric Woerth, trésorier de la campagne présidentielle de 2007, soupçonné d’avoir laissé circuler des espèces en grosses coupures durant l’élection.

Le procureur a estimé que les faits reprochés aux prévenus « fissurent la confiance dans nos institutions et contribuent au sentiment de désarroi démocratique », affirmant que seule une réponse pénale « dissuasive » serait susceptible d’être porteuse de « lendemains meilleurs » avec l’objectif de « combattre avec force l’impunité dans le domaine des atteintes à la probité ».

Les deux agents de corruption présumés du dossier, Ziad Takieddine et Alexandre Djouhri, dont le procès a montré combien ils avaient pu pénétrer de manière inédite l’intimité des cercles du pouvoir sarkozyste en dépit de leur toxicité notoire, n’échappent pas au scalpel du PNF : six ans et 3 millions d’euros d’amende contre Ziad Takieddine ; 5 ans et 4 millions d’euros d’amende contre Alexandre Djouhri.

Le PNF a en outre requis une peine de six ans de prison et 4 millions d’euros d’amende contre l’ancien directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi, Bachir Saleh, qui est en fuite.

Une montagne d’éléments objectifs

À partir de la semaine prochaine, il reviendra aux avocats de la défense – il y a douze personnes au total sur le banc des prévenus, qui démentent tous les faits – de répondre à la charge du PNF. Les avocats de Nicolas Sarkozy, défendu par le cabinet Darrois, ont prévu de plaider en toute fin de procès, le 8 avril.

En dépit d’une communication médiatique, qui consiste à dénoncer un dossier « vide » construit sur le sable d’un « complot » monté de toutes pièces par des kadhafistes revanchards après la guerre de Libye en 2011, les avocats de Nicolas Sarkozy et de ses proches n’ignorent pas, en réalité, que la pente est raide.

Il leur faudra déminer la montagne d’éléments objectifs et leur impitoyable cohérence d’ensemble soumis au tribunal par le PNF : les archives de l’agent de corruption présumé Ziad Takieddine, les carnets de Choukri Ghanem, des rencontres secrètes à Tripoli, des traces de virements bancaires entre la Libye et la France par l’intermédiaire des places offshore, des notes des services de renseignement, des mails, des écoutes téléphoniques, des retraits en cash, la location d’une chambre forte, etc.

La corruption franco-libyenne présumée, qualifiée de « pacte faustien » entre Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi par le PNF, s’est nouée dans la soirée du 1er octobre 2005, à Tripoli, selon l’accusation. Ce jour-là, Claude Guéant, directeur de cabinet du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy, dîne dans un restaurant avec le numéro deux du régime libyen, chef des services secrets militaires et beau-frère de Kadhafi, mais aussi terroriste condamné six ans plus tôt à la perpétuité par la France pour l’attentat contre le DC-10 d’UTA (170 morts).

Claude Guéant a plaidé le « piège » pour justifier ce dîner inavouable, qui s’est tenu dans le dos de l’ambassade de France, sans conseiller, sans diplomate ni traducteur. Le PNF a pu démontrer à l’audience, documents à l’appui (une note manuscrite de Guéant et une note tapuscrite de Takieddine), que ce dîner était en réalité « planifié » depuis au moins huit jours par Takieddine, qui y a d’ailleurs assisté. Et c’est ce jour-là, selon l’accusation, qu’a été discutée pour la première fois entre les numéros deux de Sarkozy et Kadhafi la possibilité d’un soutien financier de la Libye à l’élection de 2007.

123 jours

La chronologie qui en découle se résume ensuite « à 123 jours », pas un de plus, ayant scellé définitivement la mise en œuvre du pacte de corruption présumé, a insisté le PNF :

  • Le 6 octobre 2005, Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi se rencontrent à l’occasion d’un voyage éclair du premier à Tripoli.
  • Le 25 novembre, l’avocat et ami personnel de Sarkozy, Thierry Herzog, se rend en Libye pour proposer aux avocats de Senoussi une solution afin de tenter de lever son mandat d’arrêt dans l’affaire du DC-10.
  • Le 21 décembre, le ministre délégué aux collectivités territoriales françaises, Brice Hortefeux, s’envole à Tripoli, où il rencontre à son tour secrètement Abdallah Senoussi en présence de Takieddine.
  • Le 31 janvier 2006, des premiers fonds libyens sont envoyés sur une société de Takieddine, Rossfield Limited, dont une partie (440 000 euros) est ventilée vers Thierry Gaubert, et une autre partie retirée en espèces par Takieddine en Suisse.

Comme l’a expliqué le PNF à plusieurs reprises, nul besoin de connaître la destination finale des fonds pour qualifier en droit une corruption ou une association de malfaiteurs. D’autant que l’accusation a relevé que plusieurs actions de la France sous Sarkozy pouvaient être considérées comme des contreparties au financement occulte : le « faste » de la réception de Kadhafi en décembre 2007 à Paris, la volonté d’améliorer la situation judiciaire de Senoussi, les pressions de l’Élysée sur Areva pour vendre un réacteur nucléaire à la dictature libyenne…

Pour le PNF, un autre événement porte la marque du lien coupable qui unit Nicolas Sarkozy, ses proches et le régime Kadhafi. Il s’agit de la double exfiltration du directeur de cabinet de Kadhafi, Bachir Saleh : de la Libye vers la France en 2011, puis de la France vers le Niger en 2012, au lendemain de révélations de Mediapart sur l’affaire des financements libyens, et ce, alors qu’il était visé par un mandat d’arrêt. Dans les deux cas, c’est l’équipe Sarkozy, appuyée par l’agent de corruption présumé Alexandre Djouhri, qui a œuvré au bénéfice de « l’homme qui en savait trop », selon l’expression du PNF.

Enrichissement personnel

Un second volet du dossier a concerné l’enrichissement personnel de Claude Guéant, qui a reçu des mains d’Alexandre Djouhri en 2006 une luxueuse montre Patek Philippe puis, en mars 2008, a perçu 500 000 euros derrière lesquels se cache de nouveau Alexandre Djouhri et, indirectement, Bachir Saleh.

Claude Guéant avait tenté d’expliquer à la barre, comme durant l’instruction, que les 500 000 euros correspondent au produit de la vente de deux petites toiles d’un peintre hollandais, dont l’enquête a établi qu’elles n’en valaient pas le dixième et que, selon toute vraisemblance, il n’en avait en fait jamais été propriétaire.

Cette vente qualifiée de « fictive » cache, d’après l’accusation, un montage financier international où l’argent voyage certes beaucoup (Arabie saoudite, Suisse, Malaisie) mais pour rester finalement dans un tout petit cercle français, au centre duquel se trouvent Claude Guéant et Alexandre Djouhri.

Le RIB du premier avait d’ailleurs été retrouvé par la police dans le sous-sol de la villa en Suisse du second. Alexandre Djouhri a dit ne pas savoir comment ce document était arrivé là, suggérant même qu’il avait pu être déposé… par les enquêteurs. « Alexandre Djouhri est bien l’organisateur de ce schéma » au bénéfice de Claude Guéant, selon le PNF.

Les fonds envoyés pour financer le bras droit de Sarkozy ont ensuite été compensés par des fonds libyens prélevés sur une opération immobilière organisée dans le sud de la France, à Mougins (Alpes-Maritimes), par Alexandre Djouhri et Bachir Saleh.

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